homme

Hyacinthe Rigaud et Claude Bailleul - Portrait de Pierre de Monthiers - 1709

Collection privée © Brissonneau & Daguerre svv

 

Comme un écho au portrait de Magnianis récemment réapparu, le protrait présumé de Pierre V de Monthiers (1677-1743), lieutenant particulier du baillage de Pontoise qui sera proposé par Brissonneau et Daguerre le 16 novembre prochain[1], illustre une posture nouvelle qui fit le succès de Rigaud entre 1708 et 1710. Sur une toile de 50 sols, l’artiste campe son personnage à mi-corps, la tête tournée presque de face vers le spectateur, tenant d’une main « baroque » et précieuse un large manteau dont les plis et les doublures de brocard n’étaient qu’un prétexte à la virtuosité de son auteur. Nous avions publié le tableau dès 2004, signalant sa qualité et sa haute tenue. Il avait en effet déjà connu les salles de ventes, une première fois à Paris, à l’hôtel Drouot le 23 mai 1986 sous le lot 17 puis au Palais des Congrès de Versailles, le 28 janvier 1988 sous le lot 57.

 

La pose employée ici, était donc reprise du terminus ante quem constitué pour le moment par l’effigie de Magnianis, mais le modèle avait perdu son identité. D’autres clients, listés dans les livres de comptes, s’avéraient donc de possibles candidats pour « l’homme de Versailles » et il n’est donc pas inutile d’opérer une petite digression afin de mieux comprendre le processus d’identification qui nous a conduit. Il fallait donc éplucher les comptes de l’artiste[2] et examiner les portraits produits sur cette période, notamment ceux qui avaient été payés 300 livres. Mais encore leur description devait-elle corresponde à un « buste avec une main sur une toile de 50 sols » comme aima à le préciser Rigaud.

 

1707 (v) - homme au rouleau de papier (Groussay)

Hyacinthe Rigaud et Claude Bailleul - Portrait présumé de Jean-Baptiste Drouard du Bousset  - 1707 

Coll. J.-L. Remilleux © d.r.

 

Ainsi, le portrait présumé du compositeur Jean-Baptiste Drouard du Bousset (1662-1725), fut-il écarté. Absent du premier manuscrit de l’Institut, il fut rajouté à celui-ci, en 1707 au verso du folio 26 par Hulst, l’ami de Rigaud qui corrigea les comptes après la mort du peintre[3]. Huslt avait été en effet alerté par le paiement à Claude Bailleul, porté au second manuscrit de l’Institut en 1707, de 24 livres pour avoir « habillé Mr Dubousset avec une main »[4]. Il s’agissait en réalité d’un premier pas de Rigaud du buste classique vers le « prototype Magnianis », pour lequel Bailleul sera presque toujours sollicité. Sur une toile plus petite, mais avec une main comme accessoire justifiant une majoration du prix, Rigaud figurait le musicien en buste, tourné vers la gauche, tenant non pas son manteau mais une partition de musique, comme le fera Alexis III Loir (1712-1785) pour son effigie du violoniste Jean-Marie Leclair l’aîné (1697-1764). La posture dérivait des bustes des années 1700-1705 et se muait peu à peu en d’autres plus au goût du jour.

 

Dupleix-et-Monthiers 1666

Mention du tableau dans les livres de comptes de Rigaud.

Paris, bibliothèque de l'Institut © photo Stéphan Perreau

 

Tout en considérant la vraisemblance de l’âge du personnage représenté, et, en partant du principe majoritairement vérifié que les clients de Rigaud aimaient à se faire peindre dans les habits de leur principale fonction, nous avions également d’emblée écarté plusieurs modèles possibles. Le premier était le maître des requêtes André-Pierre Hébert (1637-1707), seigneur du Bec et de Villiers, peint dès 1702 contre 400 livres[5] puis revenu chez Rigaud en 1707 où son portrait en « demie figure avec une main ; attitude répétée » fut rajouté par Hulst sur les listes[6].

 

col

Hyacinthe Rigaud et Claude Bailleul - Portrait de Pierre de Monthiers - 1709 (détail) 

Coll. priv. © Brissonneau & Daguerre svv

 

Charles d’Astorg (1682-1753), comte d’Aubarède peint en 1710 sur le même principe, était quant à lui un capitaine de cavalerie d’à peine 28 ans ce qui empêchait de le reconnaître dans le présent portrait. Même chose pour André, comte de la Rivière (m. 1715), dont la production du portrait n’est attestée que grâce à un travail de Bailleul en 1712, mais qui ne pouvait pas non plus être retenu du fait de sa fonction de militaire. « L’homme d’affaire » rouennais Louis de Waubert (1660-1739), peint en 1710 contre 300 livres sous la mention Mr de Bauver était par contre un candidat plus vraisemblable[7]. Mais pouvait-on reconnaître ici un homme à la cinquantaine bien affirmée ? Enfin, lorsque Rigaud fixera les traits, en 1710 de Joseph de Mailly (1677-1755), marquis de Mailly, page de la petite écurie, il sembla avoir réinventé une autre attitude originale, reléguant la posture « type Magnanis » à l’oubli[8].

 

Notre « homme de Versailles » ne pouvait donc qu’être Pierre V de Monthiers (1677-1743), seigneur du Fay, peint en 1709 « avec une main » sur une toile aux dimensions identiques à celle de Magnianis[9]. La concordance de l’âge du modèle avec celui du portrait, appelait d’ailleurs, avec quelque vraisemblance, à cette hypothèse.

 

tête

Hyacinthe Rigaud et Claude Bailleul - Portrait de Pierre de Monthiers - 1709 (détail) 

Coll. priv. © Brissonneau & Daguerre svv

 

D’une ancienne famille originaire de la Beauce « où elle a possédé longtemps la terre de Monthiers de son nom et celle de la Folie-Herbault »[10], Monthiers était le second fils de Pierre (1649-1713), seigneur de Saint-Martin, du Fay, Mardalin et Ripernelle, lieutenant général de Pontoise (1679), subdélégué (1680), lieutenant de police (1699), commissaire des guerres des Invalides par brevet 1er mars 1708 et de sa première épouse, Marie Angélique Hédoul (m.1680)[11].

 

Profil de la ville de Pontoise Israel Silvestre 1650

Israël Silvestre - plan de la ville de Pontoise - 1650  © d.r.

 

La présence du portrait de Monthiers en 1709 dans les livres comptes de Rigaud n’est pas un hasard et correspond à un évènement particulier de la vie du modèle. Monthiers venait en effet d’épouser le 17 janvier 1708, en l’église Saint Maclou de Pontoise, Louise Le Maistre (1683-1756), fille de Jean-Baptiste (1650-1722), receveur du grenier à sel de la ville depuis le 23 janvier 1705. La jeune mariée était la récente veuve de Jean-Baptiste Oudaille (1667-1704), conseiller du roi, receveur du grenier à sel, auquel elle s’était unie le 19 novembre 1703. Elle venait d’accoucher de manière posthume d’une fille, Marie-Louise (1705-1748) et s’assurait ainsi une certaine stabilité. Dans son livre de raison, et à la date du 17 janvier 1708, Jean-Baptiste Le Maistre précisa que « monsieur du Fay », son nouveau gendre, avait « esté receu le jour d’auparavant en l’office de Conseiller du Roy, lieutenant particulier, assesseur civil et criminel, commissaire enquesteur et examinateur au baillage de Pontoise »[12].

 

GG32, n.471

Signature de Pierre de Monthiers à son mariage en 1708 © Pontoise, archives municipales

 

Quelques années plus tard, le 14 mars 1714, Le Maistre témoigne de l’ascension de Pierre de Monthiers : « j’ai esté à Senlis avec Monsieur du Fay mon gendre où il a été receu en l’office de Président Lieutenant général civil et criminel de Pontoise le seize dudit mois et le 23 du mesme mois il a esté installé à Pontoise auxdits offices ».

 

Partageant son temps entre la ville et Paris, Monthiers n’eut aucun enfant de son épouse. Il reporta toute son affection sur sa belle-fille, Marie-Louise, qui devait bientôt épouser le 16 juin 1721, Jean-Baptiste Maximilien Titon (1696-1768), conseiller en la grand’-chambre du parlement de Paris. L’union, célébrée en l’église Saint-Pierre de Pontoise, réunissait deux familles de hauts magistrats qui avaient sollicité les plus grands peintres de la capitale.

 

Jean-Baptiste Maximilien Titon

François de Troyl - Portrait Jean-Baptiste Maximilien Titon - coll. priv. © Kahn svv

 

Titon avait en effet été peint par François de Troy et ses grands-parents, Maximilien (1632-1711) et Marguerite Bécaille (1632-1721) l’avaient été respectivement par Rigaud en 1688 et par Nicolas de Largillière. L’oncle du marié, le célèbre Evrard Titon du Tillet (1677-1762), il avait également payé un beau portrait à Largillière, bientôt suivi dans le même atelier par son neveu, Pierre-Joseph Titon (1686-1758), seigneur de Cogny et son épouse Jeanne-Cécile Le Guay de Montgermon.

 

Villotran

Façade du château de Villotran sur le parc © d.r.

 

En 1731, Pierre de Monthiers se démit de sa charge de président au profit de son unique frère, Jacques de Monthiers (1679-1754), alors procureur au parlement. Il se retira chez son « gendre », au château de Villotran où il mourut le 13 octobre 1743, enterré le lendemain dans le chœur de l’église, en présence de Titon et de Titon du Tillet qui fréquentait régulièrement cette retraite giboyeuse. Quant à son épouse, elle mourut dans sa maison de la rue Basse, à Pontoise, le 5 août 1756 et fut enterrée à Saint-Maclou.

 

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Acte d'inhumation de Pierre de Monthiers - 1743 © Archives départementales de l'Oise

 

Monthiers, riche et quelque peu satisfait, opta donc volontiers en 1709 pour un portrait ostentatoire et ne manqua pas d’exiger manteau dont le velours lie-de-vin s’accordait parfaitement avec le riche revers de brocard tout à fait ostentatoire pour lequel l’aide d’atelier Claude Bailleul fut également payé 24 livres. La qualité du travail de cet aide, attestée par son portrait de l’évêque Fénelon, daté et signé sur le bureau Bailleul p. 1718 (Périgueux, musée d’art et d’archéologie. Inv. 72-2), montre le degré d’exigence de Rigaud envers ses collaborateurs les plus précieux, comme ce sera le cas pour Adrien Leprieur.

 

main

Hyacinthe Rigaud et Claude Bailleul - Portrait de Pierre de Monthiers - 1709 (détail) 

Coll. priv. © Brissonneau & Daguerre svv

 

Il était en effet nécessaire que le tableau fisse son effet et, de manière illusionniste, ne laisse point deviner la seconde main qui aida un Rigaud débordé de travail mais qui retoucha probablement l’ ensemble. On admirera le haut degré de finition des carnations, plus particulièrement dans la peau de la main au travers de laquelle on devine le réseau veiné sous-jacent. L’œil pétillant et plein de malice, Monthiers posait pour ce qui lui semblait probablement une heureuse postérité.

 

Le succès de la pose fit des émules. Elle sembla définitivement séduire Jean-Baptiste Oudry (1686-1755), élève non moins fameux de Largillière, pour qu’il la singe sans état d’âme. Alors tout occupé à sa jeune carrière de portraitiste qu’il abandonnera après 1718 pour se consacrer à la peinture animalière, Oudry emprunta tout le vocabulaire Rigaud pour son portrait du marchand Lecamus. La comparaison est suffisamment confondante pour ne pas voir ici un lien de parenté évident entre la toile peinte par le Catalan et le tableau perdu d’Oudry, connu par un dessin de son Livre de raison conservé au Louvre (RF31101 recto)... 

  Portrait de monsieur Lecamus, marchand

Jean-Baptiste Oudry - Portrait de Mr Lecamus, marchand.

Paris, musée du Louvre © Musée du Louvre, département des arts graphiques - Direction des musées de France, 1997

 

À la mort de Rigaud, Oudry sera d’ailleurs, avec François-Louis Colins (1699-1760), l’un des experts nommés pour la prisée de la collection du vieux maître, preuve qu’il connaissait bien le style et la valeur des toiles de son aîné.

 

 

[1] Huile sur toile, 96 x 65 cm. Lot 52.

[2] Qui sont, rappelons-le, conservés à la bibliothèque de l’Institut de France en deux cahiers, l’un pour le paiement des portraits originaux (ms. 624), l’autre pour les règlements faits aux aides d’ateliers qui ont collaboré ou exécuté des copies (ms. 625).

[3] ms. 624, f°26 v° (« Mr du Bousset, id. [habillement répété] », 300 lt). Roman, op. cit., 1919, p. 133.

[4] ms. 625, f°23 : « habillé Mr Dubousset avec une main ». Roman, op. cit., 1919, p. 136.

[5] ms. 624, f°20 v° (« Mr Hébert »). Roman, op. cit., 1919, p. 94.

[6] Ms. 624, f°26 v°. Roman, op. cit., 1919, p. 133. A ce portrait correspondait dans le ms. 625 au verso du folio 22 « un dessein du portrait en buste de mr Ebert » payé 3 livres à B. Monmorency et le règlement de 40 livres à Bailleul, la même année au folio 23, pour avoir « habillé mr Ebert, toille de 50s ».

[7] Hulst ne l’avait pas identifié et rajouta le portrait en doublon, au bas du verso du folio 30 du manuscrit des originaux (« Mr de Waubert, demie figure avec une main, Toile de 30s attitude répétée ») car il avait remarqué le travail correspondant de Bailleul payé 24 livres en 1711 (ms. 625, f°27 v°).

[8] « Demi figure avec une main, l’attitude originale ». Ms. 624, f°30 v°. Roman, op. cit., 1919, p. 151.

[9] Roman, op. cit., 1919, p. 146 (sans proposition d’identification).

[10] Nicolas Vitton de Saint-Allais, Nobiliaire universel, t. 2, Paris, 1814, p. 297 & 308.

[11] Ils s’étaient unis le 15 décembre 1676. Veuf, Il se remariera le 31 décembre 1683 Nicole Angélique Touret.

[12] M. E. Seré-Depoin, « Le livre de raison de Jean-Baptiste Le Maistre (1650-1722) », Mémoires de la Société historique et archéologique de l’arrondissement de Pontoise et du Vexin, tome XVI, Pontoise, 1894, p. 103.

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