Madame Isaac de Thellusson

 

Il y a des ces émotions qu'on ne contrôle pas, de ces instants de perfection durant lesquels on oublie tout, toutes nos références, pour simplement admirer la beauté et la grâce. Aussi nous ne résistons pas à les exprimer.


Telle est l'effigie de Madame Isaac de Thélusson, née Sarah Le Boullenger (1700-1770), fracassante de naturelle et de féminité, sorte d'apparition incontrôlée et incontrôlable de tout l'art d'un Nicolas de Largillière... L'image même de l'élégance, une harmonie parfaite des couleurs, passant de l'une à l'autre sans force, liant même leur agitation sans s'entrechoquer... Bleu profond, orcre d'or et rose sucré.

 

Huile sur toile. H. 137,5 ; L. 104. « Peint. Par./N. de. Largilliere/1725 ».

Brodsworth Hall, The English Heritage (Brodsworth Hall). Inv. 90006927.

 

Historique : Commandé par Isaac de Thellusson ; par héritage à Peter Thellusson en 1761-69; par héritage à Charles Sabine Augustus Thellusson avant 1885 ; par héritage à Pamela Williams ; acquis par la National Heritage Memorial Fund en 1990. Voir Dars, C., Catalogue of Paintings in British Collections: English Heritage etc., London, 1993, cat. no. 59, p. 29.

 

Le fils cadet d’Isaac et de Sarah, Peter (1737-1797), vint en Angleterre en 1761, année où il fut naturalisé par acte du Parlement. Il fit construire le palais Brodsworth. Le portrait de Sarah est mentionné à Brodsworth Hall dans l’inventaire après décès de Charles Sabine Augustus (« Portrait of a lady by Largillierre [sic] »). Il demeura dans la bibliothèque juqu’à l’inventaire de 1931 (« [Oil painting] Portrait of Lady, by Largilliere ») et celui de 1952 (« 1 Portrait of a lady by Largillierre [sic] gilt frame »).

 

Monsieur Thélusson, quant à lui, préféra Rigaud pour son portrait de 1722 qu'il paya 1200 livres (Roman, 1919, p. 193). Le genevois Isaac Thélusson (1690-1755) était le fils de Théophile Thélusson (1646-1705) et de Jeanne Guigier (1662-1712). Il épousa en 1722, Sarah Le Boullenger, ce que commémore sans doute son passage chez Rigaud. Sarah était la fille d’Abraham Le Boullenger de Leiden (né v.1670) et d’Anne Van der Hulst (v.1674-1702). Thélusson, négociant et banquier, intéressé dans les fermes générales et les approvisionnements de Paris, sera ministre de la République de Genève à la cour de France de 1730 à 1744 et associé dans la banque Tourton-Thélusson-Guigair avec son oncle Jean-Claude Tourton (1655-1724), lequel sera peint par Rigaud en 1710 (Roman, 1919, p. 152). Le portrait par Rigaud suppose une mise en scène assez élaborée ou inédite, ce que la fortune du modèle devait aisément supporter.

 

Cette histoire de famille avait eu des démêlés fort complexes mais fort goûtus :

 

L'associé de Thélusson, Jean-Claude Tourton (1655-1724), était né et mort à Lyon. Il fut contrôleur des rentes de la ville de Paris puis banquier dans la capitale. Il était fils (parmi onze enfants) de Claude Tourton (v.1630-av.1686), épicier confiseur à Lyon et de Jeanne I Guigair (1622-1688), fille de Léonard I Guigair (1593-1643), négociant suisse à Lyon et tailleur d’habits et de Marie Penin (1599-1679). Il est important de préciser que Jeanne I était la sœur de Léonard II Guigair (1632-1710) lequel épousa, le 30 novembre 1659, Elisabeth Tourton (1641-1724). Parmi les huit enfants de ce dernier couple, Jeanne II Guigair (1662-1712), cousine de Jeanne I, se maria à Théophile Théllusson (1646-1705) en 1679. Le lien entre le portrait de Tourton et celui du banquier Thélusson est ainsi fait. Après plusieurs années d’apprentissage à Francfort notre modèle s’établit à Paris dès 1685 et, en 1703, s’associa à son cousin Louis Guigair. Dès 1707, la maison Tourton-Guigair était l’une des quatre ou cinq grandes banques parisiennes et possédait un établissement à Londres. En 1715, Jean-Claude Tourton et Louis Guigair remirent leur banque à leur premier commis et neveu Isaac Thellusson, tout en en restant commanditaires. En 1748, Tourton et Baur créèrent avec Pâris de Montmartel la Société pour le commerce de la traite des nègres à la côte d’Angola et de là aux îles de Saint-Domingue. La maison Tourton survécut à la Révolution et était encore en activité sous le Premier Empire.


Issac Thélusson sollicitera une seconde fois Rigaud pour un second portrait en buste (sans prix indiqué) en 1725 (Roman, 1919, p. 193). Notons que son fils, Isaac-Louis de Thellusson (1727-1801) sera peint en 1760 par Jean-Etienne Liotard (1702-1789) à l’occasion de son mariage avec Julie de Thellusson-Ployard (1640-1820).

 

Isaac Thellusson avait était nommé, le 26 juillet 1724, légataire universel de Jean-Claude Tourton (1655-1724), lequel fut peint par Rigaud en 1710. Rappelons également que la famille Thellusson était originaire du canton de Genève avant de s’installer à Saint-Symphorien-sur-Coise (Rhône).

 


Retour à l'accueil