Le premier contrat de mariage d'Hyacinthe Rigaud (1703)
Contrat de mariage entre Rigaud et Mlle de Chastillon - 17 mai 1703
Archives Nationales. Minutier central. Notaires. Etude XCV. 31. Me De Beauvais
(publié par Claude Colomer en 1973)
« Furent présens sieur Hiacinthe Rigaud, peintre ordinaire du Roy, demeurant à Paris, rue Neuve-des-Petits-Champs, paroisse Saint-Eustache, majeur, ainsy qu’il a dit, fils de défunt sieur, Mathias Rigaud, bourgeois de la ville de Perpignan, et de damoiselle Marie Serre, à présent sa veuve, dont il a dit avoir l’agrément à l’effet du présent contrat de mariage pour lui et en son nom, d’une part ;
Et damoiselle Marie-Catherine Chastillon, aussy majeure, ainsy qu’elle a dit, fille de Me Charles Chastillon, procureur en la cour de Parlement, et de défunte dame Marie Dubuisson, sa femme, assistée dudit sieur son père, autant que besoin en serait, à ce présent, demeurant ensemblement rüedes Prouvaires, susdite paroisse, pour elle et en son nom, d’autre part.
Lesquelles parties, en présence et de l’agrément de très haut et très puissant seigneur Anne, duc de Noailles, pair et mareschal de France, chevalier des Ordres du Roy, capitaine commandant une compagnie de ses gardes du corps, de haut et puissant seigneur, Monseigneur Jean-Batiste Colbert, marquis de Torcy, chevalier, chancellier des Ordres du Roy, Conseiller du Roy en tous ses Conseils, ministre et secrétaire d’Estat et de ses commandements, et de messire Julle Hardouin-Mansart, chevalier de l’Ordre de Sainct-Michel, comte de Sagonne, Conseiller du Roy en ses Conseils, Surintendant et Ordonnateur général de ses bastiments, jardins, arts et manufactures, et, outre, en la présence et du consentement de Jean de Civille, bourgeois de Paris, grand oncle maternel de ladite damoiselle de Chastillon ;
Volontairement reconnaissent et confessent avoir fait et accordé entre elles de bonne foy les traitté de mariage, doüaire et autres conventions qui suivent, c’est à savoir : led. sieur Rigaud et lad. damoiselle Chastillon ont promis respectivement se prendre l’un l’autre par nom et loy de mariage, et en faire la célébration en face de notre mère sainte Église dans le plus bref tems que se pourra et qu’il sera avisé entre eux et leursdits parens et amis.
Pour estre ainsy qu’ils seront communs en tous biens meubles et conquetz immeubles, suivant la coustume de Paris, au désir de laquelle leur communauté sera régie et gouvernée, soit qu’ils fassent ci-après leur demeure ou des acquisitions en d’autres contraires, auxquels ils ont dérogé et renoncé.
Ne seront néantmoins tenus des dettes et ypothecques l’un de l’autre, faines avant leurs espouzailles, et si aucunes se trouvent, elles seront paiées et acquittées par celuy ou celle qui les aura faictes, et sur ses biens, et sans que l’autre ni ses biens en soient aucunement tenus.
Lesdits sieur et damoiselle futurs époux se prennent respectivement aux droits et biens qui leur apartiennent, qu’ils promettent aporter et mettre ensemble la veille de leurs espouzailles, suivant les estats que chacun d’eux en a faits, qui sont demeurés joints au présent contract, après qu’ils les ont paraphés, et les notaires soussignés à leur requisition ; et encore celuy de lad. damoiselle certiffié véritable par led. sieur son père, lesquels biens et droits à l’esgard dud. sieur futur époux lui demeureront propres et à ceux de son cos té et ligne} avec tout ce qui lui adviendra et écherra pendant led. mariage, tant en meubles qu’immeubles, par succession, donation ou autrement. Et à l’égard de ceux de lad. damoiselle, ils entreront en lad. communauté jusqu’à la somme de quinze mil livres, et le surplus, avec ce qui lui adviendra et écherra, tant en meubles qu’immeubles pendant led. mariage par succession, donation, ou autrement, lui sera et demeurera propre et à ceux de son costé et ligne.
Led. sieur futur espoux a doüé et doüe ladite damoiselle future épouse de la somme de mil livres de rente de douaire préfix par chacun an, soit qu’il ait enfants ou non dud. mariage lors de la dissolution d’iceluy, à l’avoir, prendre, dès qu’il aura lieu, sur tous ses biens meubles et immeubles, présents et à venir qu’il en a chargé, ses effects obligez et ypotecquez, à la réserve, toutefois, d’une maison, terres et autres héritages sçis au village de Vaux, près Meulan, à lui apartenant de son acquisition, qui ne seront tenus ni chargez dud. douaire et autres conventions de lad. damoiselle, soit envers elle, soit envers ses enfants ; led. sieur futur époux se réservant de la vendre ou d’en disposer ainsy que du prix qui en proviendra quand et ainsy qu’il luy plaira, sans que la présence ny le consentement de lad. damoiselle soit nécessaire ; et si, au jour du déceds dud. sieur futur espoux, lesd. héritages sont encore en nature, ils feront partie des biens de sa succession, à l’exception toutes fois de l’usufruit.
Le survivant desd. sieur et damoiselle futurs époux prendra, par préciput, des biens meubles de la communauté, tels qu’il voudra choisir, réciproquement, suivant la prisée de l’inventaire qui en sera faite, et sans crüe, jusqu’à la somme de trois mil livres ou ladite somme de deniers aussi à son choix.
Sera permis à ladite damoiselle future épouse et aux enfants qui pourront naître dud. mariage de renoncer à lad. communauté ; ce faisant, reprendre tout ce qu’elle aura aporté aud. mariage et ce qui lui sera avenu et escheu pendant icelui par succession, donation ou autrement ; et encore lad. damoiselle sesd. douaires et préciput, le tout sans être tenus d’aucune dette de lad. communauté, soit qu’elle s’y fust obligée ou y eust esté condamnée, dont elle et sesd. enfants seront acquittez et indemnisez par led. futur espoux et ses biens.
Si pendant led. mariage il est vendu ou racheté aucuns biens propres apartenans à l’un ou l’autre desd. futurs espoux, remploy en sera fait en autres biens pour sortir pareille nature de propre à celui auquel cesd. biens auront apartenu et aux sieurs de son côté et ligne; et si, au jour de la dissolution de lad. communauté, led. remploy n’est fait, les deniers qu’il conviendra seront pris sur les biens d’icelle, s’ils suffisent, sinon ce qu’il s’en deffaudra à l’égard de lad. damoiselle sera pris sur les propres et autres biens dud. sieur futur époux.
Si ladite damoiselle prédécède led. sieur futur époux, sans enfants, ou ses enfans sans enfans, les héritiers de ladite demoiselle ou de ses enfants ne pourront avoir ni prétendre aucun droit ni chose quelconque aux biens de ladite future communauté, lesquels biens apaniendront entièrement au sieur futur époux, à quelque somme qu’ils se montent, en rendant toutesfois auxd. héritiers ce que led. futur époux pourra avoir reçu des biens de lad. damoiselle en les acquittant des dettes et charges de lad. communauté quand même elle y serait obligée.
Et, voulant led. sieur et damoiselle futurs espoux se donner des marques sensibles de l’amitié qu’ils ont l’un pour l’autre, ils se font respectivement don mutuel égal au survivant d’eux et acceptant par led. survivant, de l’usufruit et jouissance de tous les biens, meubles et conquestz immeubles qui se trouveront apartenir au premier mourant, lors de son déceds, à quelque somme qu’ils se montent et en quelques lieux qu’ils soient assis, à J’exception, toutefois, desd. maison, terres et héritages sçis près Meulan, qui ne seront point compris dans le don mutuel s’ils sont encore en nature, pour jouir de l’usufruit de tous ses biens, à la réserve susdite, par lesd. survivants du jour du déceds dud. premier mourant, pourvu qu’il n’ait Iprs aucun enfant né ou à naître dud. mariage ; et, s’il y en a et qu’il décède avant led. survivant desd. sieur et dame futurs époux, sans avoir atteint l’âge pour disposer et sans a voir disposé de ses biens, led. don mutuel reprendra sa force du jour dud. déceds en faveur dud. survivant. Et pour faire insinuer ces présentes au greffe des insinuations au Chastelet de Paris et ailleurs, si besoin en est, dans les quatre mois portez par l’ordonnance, les parties constituent leur procureur et porteur auquel elles en donnent pouvoir et d’en requérir acte, car ainsy promettant, obligeant chacun en droit, etc.
Fait et passé, savoir : à l’égard desd. seigneurs, mareschal duc de Noailles, marquis de Torcy et Mansart, en leurs hôtels, à Versailles, et à l’esgard des parties comparantes et contractantes, en la maison de laditte damoiselle Chastillon, susdite rue des Prouvaires, l’an mil sept cent trois, le dix-septième jour de may, avant midy, et ont signé le présent contract de mariage.
Le marl duc DE NOAILLES ; - DE TORCY ; - MANSART ; MOREAU ; - Hyacinthe RIGAUD ; - DE CIVILLE ; - Marie Catherine CHASTILLON ; - CHASTILLON ; - CHASTILLON ; DUBUISSON ; - CLIGNET ; - DEBEAUVAIS.
[Au contrat de mariage sont joints les pièces suivantes de la main de Rigaud]
Estat des tableaux que j’ay des grands maistres
De Rembran :
Un homme armé 600 liv.
Une femme tenant une fleur à la main 800
Le portrait en buste de Raimbran 500
Un portrait du mesme 200
Une teste de vieillard 100
Une teste de femme 80
Un chef de saint Jean 100
De Rubens :
Une Adoration des trois Roys 800
Saint Jean l’Evangéliste 300
Une saint Georges 600
Un Crist chez le Pharisien 150
De Vandec :
Une grande Vierge avec des anges 800
Une esquisse d’un bourguemestre de Bruxelles 150
Une esquisse d’une Vierge 60
Un petit enfant dormant sur une teste de mort 600
Un portrait d’un Espagnol en fraise 400
Le portrait de Vandec 600
Une Fortune 200
Une Assomption de la Vierge 150
De Jourdans :
Un Scevola 150
Du Titien :
Une teste de vieillard 500
De Forest :
Une paisage 300
Autre paisage en rond 150
Autre paisage en rond 0 60
De Bourdon :
Un paisage 0 80
Autre paisage 0 40
De Pol Véronèze :
Une esquisse de la Circoncision 200
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Somme totalle 8 670 liv.
tableaux de mes ouvrages sur le pied du prix ordinaire
Portrait de Mr Desjardins 500 liv.
Portrait de M. Mignard 500
Portrait de front de Mme Rigaud 200
Deux testes de profil de Mme Rigaud 600
Portraits de Mlle Rigaud, de sa fille et de son époux 600
Portrait de La Fontaine 200
Portrait de Santeuil 200
Tableau de Monseigneur 450
Mr le duc de Bourgogne 450
Mme la princesse de Conty 400
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Somme totale 4100 liv.
Coppies de ma main des tableaux des grands maistres
Deux grandes coppies en pied, d’après Vandec 600
Un portrait en pied du chevalier Dicby 150
Un Amour tenant une flèche 200
Deux portraits des Princes Palatin 300
Portrait de Rimbran et de sa fille, en ovalle 200
Une leste de païsanne, après Rimbran 150
Une Magdelaine, d’après Le Guide 200
Un petit Loussar [houssard ?] tenant un ridau, original de mo 150
Un saint Pierre, original 300
Une Vierge, d’après Carlo Maratte, en petit 100
Une Charité, d’après le Signagny 080
Deux esquisses des eschevains 1500
Deux autres esquisses de deux familles 100
Une esquisse d’un portrait armé 0 50
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Somme totale 2730 liv.
D’ouvrages arrestez et commancez pour plus de 20 000 liv.
Des meubles au moins pour 7 000
D’argent qui m’est deub [dû] 8 000
En maison et terres et à la campagne 20 000
Un billet sur Laplace 8 000
Autre billet sur Laplace 6 000
Autre billet sur Laplace 10 000
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Somme totale 79 000 liv.
Signé et parafé au désir du contrat de mariage passé devant les notaires soussignés, ce jourd’hui dix-sept mai mil sept [cent] trois.
Marie-Catherine CHASTILLON ; - Hiacinthe RIGAUD ; - CHASTILLON ; - CLIGNET ; - DEBEAUVAIS.
ESTAT DES BIENS APPARTENANS A Mlle CHASTILLON
Deux mil livres en deniers comptants, provenant de la vente qu’elle a fait de partie des meubles meublans provenans de la succession de la demoiselle sa mère, et douze cent livres en bagues, diamans et argenterie de toilette.
Le surplus desd. meubles ayant esté laissé au sieur son père pour en jouir sa vie durant et revenir, après son déceds, à ladite damoiselle, suivant l’acte passé devant Pelion, notaire, le 15 septembre 1696.
Une maison sise en cette ville de Paris, rue des Prouvaires, qu’elle a prise pour 12,000 livres par ledit acte.
Une rente de 95 livres 15 sols, rachetable de 1,865 livres, faisant le quart de 373 livres de rente due par la succession de Mr de Vignaux et par dame Marie Viole, sa femme.
Le tiers par indivis d’héritages à Nanterre, affermés 150 livres le tiers.
Cent livres de rente, de bail d’héritage d’une maison, jardin et dépendances sis à Aubervilliers.
Cent cinq livres de rente ; moitié de 210 livres faisant partie de 230 de bail d’héritages d’une ferme au village de Villeneuve-le-Cornüe appelée à présent Salins, près Montreau, vendue au sr du Sault et sa femme, à titre de rente, de laquelle le sr Chastillon, chanoine à Corbeil, doit jouir sa vie durant.
Ce qui lui reviendra en principal et intérest à prendre sur ledit sieur son père, suivant l’acte du 15 septembre 1696, pour sa part des conventions matrimoniales de sadite mère.
Ce qui lui reviendra pareillement de la donation à elle faite par le sr Dubuisson, son onde, advocat au Parlement, pour en jouir après le décès du sr Dubuisson, suivant le contrat passé devant Le Masle et son compagnon, notaires, le 24 mars 1699, insinué au Châtelet de Paris.
Certifié véritable par Mr Charles Chastillon, procureur en Parlement, paraphé par sieur Hiacinthe Rigaud, peintre ordinaire du Roy, et par damoiselle Marie-Catherine Chastillon, fille du sieur Chastillon, suivant le contrat de mariage d’entre le sieur Rigaud et lad. damoiselle, passé devant les notaires soussignés le 17 mai 1703.
Marie-Catherine CHASTILLON ; - Hyacinthe RIGAUD ; - CHASTILLON ; - CLIGNET ; - DEBEAUVAIS
Annulation du contrat de mariage
Le 23e jour de novembre 1703, après midy, sont comparus pardevant les notaires soussignés led. sieur Rigaud, d’une part et ladite damoiselle Chastillon, assistée du sieur Chastillon, son père, d’autre, lesquels se sont volontairement désistez du contrat de mariage des autres parts escrit ; consentent et accordent respectivement qu’il soit et demeure nul et résolu, comme non fait, sans aucuns despens, dommages et interestz prétendre ny demander de part et d’autre. Fait et passé en la maison du sr Debeauvais, les jour et an, et ont signé.
Marie-Catherine CHASTILLON ; - H. RIGAUD ; - CHASTILLON ; - CLIGNET ; - DEBEAUVAIS
D’un procès-verbal de comparution, tait en l’hôtel et pardevant monsr le lieutenant civil, le 11 du présent mois, par Me Nicolas Humblot, procureur de Jean de Civille, bourgeois de Paris, et Me Jean-Batiste Dubuisson, avocat au Parlement, ledit sr Dubuisson présent, par lequel ils ont persisté dans la révocquation de leurs signatures apposées en suitte de la minute du contrat de mariage et de nullité d’icelles, appert avoir requis lettres de leur comparution et demande. Ensuite duquel procès-verbal est l’ordonnance de Mr le lieutenant civil portant acte aud. sieurs Humblot et Dubuisson de lad. révocation de leurs signatures et qu’il sera fait mention d’icelle sur la Minute du présent contrat. En conformité de laquelle, la présente mention a été faite ce jourd’huy, 13 décembre 1703, par les notaires soussignés, à la réquisition du sr Dubuisson à ce présent, et, pour la validité d’icelle, a été cy jointe coppie desd, procès-verbal et ordonnance estant ensuite et a signé.
DUBUISSON ; - DECAMBON ; - DEBEAUVAIS.
L’an mil sept cent trois, le unzième jour de novembre, pardevant nous, Jean Le Camus, Chevalier, Conseiller du Roi en tous ses Conseils, maistre des requestes ordinaires de son hostel, lieutenant civil de la Ville, Prévôté et Vicomté de Paris, en nostre hostel est comparu Me Nicolas Humblot, procureur de Jean de Civille, bourgeois de Paris, et J. -B. Dubuisson, avocat en Parlement, ledit sr Dubuisson présent, lequel nous a dit que par nostre sentence du 5 du présent mois, il lui a esté donné lettres de la révocation faite par ses partyes des signatures apposées au contrat de mariage entre le sieur Rigaud et la damoiselle Chastillon, et après qu’il a dit que le contrat estoit imparfaict, ordonné que au premier jour Me Debeauvais seroit tenu d’en représenter la minute pardevant nous en nostre hostel, laquelle sentence a été signifiée, etc.
LE CAMUS »