Hyacinthe Rigaud : Fortune critique & témoignages divers...
Sur la noblesse de Hyacinthe Rigaud
Joseph Xaupi, Recherches historiques sur la noblesse des citoyens honorés de Perpignan et de Barcelone, connus sous le nom de Citoyens Nobles ; pour servir de suite au Traité de la Noblesse de la Roque, par M. L’abbé Xaupi, Docteur en Théologie de la Faculté de Paris & de la Maison Royale de Navarre, Chanoine & Archidiacre de l’Eglise de Perpignan, abbé de Jau, Honoraire de l’Académie des Belles-Lettres Sciences & Arts de Bordeaux, Paris, Nyon, 1763, p. 344, 345.
« Le sieur Hyacinthe Rigaud peintre du roi, professeur de l’Académie de peinture avoir été créé citoyen noble de la matricule de Perpignan en 1709. Il se trouva à l’avènement du roi régnant dans le cas d’obtenir la confirmation de fa noblesse. Sa Majesté, par l’arrêt de son conseil du 8 novembre 1723, déclara de nouveau que celui de 1702 seroit exécuté suivant sa forme & teneur ; & ce faisants elle maintint le sieur Rigaud Dans Sa Noblesse, ensemble ses enfans & defcendans & postérité nés & à naître en légitime mariage dans tous les privilèges dont jouissent les Autres Nobles du royaume (V. l’inventaire, nomb. 58).
Le cardinal Dubois étoit alors premier ministre. II voulut, avant de faire expédier cet arrêt de confirmation, connoître parfaitement la noblesse qui en étoit l’objet. Il écrivit dans cette vue à l’intendant de Perpignan. M. d’Andrezel, qui remplissoit cette place, voulut de son côté ne donner son avis qu’avec pleine connoissance. Il écrivit pour cet effet à Barcelone ; il en reçut un mémoire en Espagnol qui est conservé aux archives de l’intendance.
Suivant ce mémoire, qui est l’ouvrage des premiers magistrats de Barcelone, la noblesse est un arbre majestueux : les citoyens nobles en font une branche ; les titres, les nobles de titre & les chevaliers en forment les trois autres. Elle est un ordre hiérarchique composé de quatre divisions : l’une des titrés, la seconde des nobles de titre, la troisième des chevaliers & la quatrième des citoyens nobles.
La noblesse des citoyens n’a pas, suivant ce mémoire, d’autre principe que les loix municipales & le consentement des peuples ; son origine est fixée au temps de l'expulsion des Sarrasins au neuvième siécle ; les ciroyens de matricule & de rescrit, tant ceux de Barcelone que ceux de Perpignan, entrent aux ordres de Malte, de saint Jacques, d’Alcantara & de Calatrava ; ils sont reçus aux places de cadet dans la cavalerie Espagnole, qui exigent des preuves de noblesse ; tous les tribunaux de la principauté les reconnoissent pour nobles. L’avis de M. d’Andrezel dressé en conséquence expose les mêmes motifs ; il est également aux archives de l’intendance, daté du 6 juin 1723.
Les autres citoyens nobles créés fous le règne de Louis XIV se trouvèrent dans le même cas que le sieur Rigaud, & furent assujettis, en exécution de la déclaration du 27 septembre 1723 & de l’arrêt du conseil du 30 du même mois, à payer le droit de confirmation. »
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[Abbé Pierre de Villiers] Poèmes et autres poésies de ***, Paris, Collombart, 1712 cité dans le Mercure de France, mars 1729, p. 496 et suivantes où il est précisé : « Après ces Poèmes, fuivent deux Livres d'Epitres où l'on trouve une agréable varieté de sujets & de caractères. Dans la seconde du I. Livre, adressée à M. Rigaud, Professeur de l'Académie Royale de Peinture, &c. On diroit que le Poëte est devenu lui-même un excellent Peintre, il n'ignore rien des finesses, des beautez & des convenances de ce bel Art. Il s'arrête sur tout à ce qui concerne en particulier l'Art des Portraits, en quoi on sçait que M. Rigaud a excellé. Il lui rend sur tout justice sur sa Religion & sur sa probité, sur quoi il prend occasion de faire cette morale ». [L'épître a été éditée également séparément dans les Oeuvres en vers de M. l'abbé de Villiers, La Haye, Sauzet, 1717, p. 203 et suivantes, cliquer ici pour le texte entier ]
Epître première.
A M. Rigaud, peintre célèbre.
De la vanité de ceux qui veulent être flatez dans leur portrait
« Des visages en vain prompte à saisir les traits,
Ta docte main fait vivre & parler tes Portraits,
En vain, non moins sçavant en l’Art des draperies,
Des habits, qu’à ton choix, tu peins & tu varies,
On se trompe à l’étoffe & L’on croit que Gautier[1]
Te la fournit brillante au sortir du métier :
Si tu ne peins l’esprit, les mœurs, le rang & l’âge,
Je ne te connois point dans ton plus grand ouvrage :
Je n’y vois qu’un Pinceau des temps toujours vainqueur,
Mais je n’y trouve point ta droiture & ton cœur.
Ennemi du mensonge, abhorrant l’imposture,
Jamais n’a de ton cœur hésité la droiture,
Et pour la vérité ton zele impétueux
De ta langue toujours a délié les nœuds.
Inspire à ton Pinceau la même hardiesse,
Au mauvais goût du temps oppose ta sagesse,
Et ne te rend jamais dans un Portrait flatté,
Complice du mensonge & de la vanité,
C’est ainsi que Vandeik, sans parure étrangère,
A d’un Pinceau fidele & d’une main légère,
Fait en habit de Bure, au Cabinet des Rois,
Entrer le Bourguemestre & le simple Bourgeois,
Et qu’on voie de Remhand, mise en place éclatante,
A côté des Héros, la rustique Servante.
D’où vient donc qu’aujourd'hui, nez un siècle plus tard,
Nos Rembrand, nos Vandeik, sçavans Maîtres de l’Art,
Quittant la verité, manquant aux vrai-semblances,
De leurs meilleurs Portraits, gâtent la ressemblance ?
C’est que plus complaisant, ou plus âpres au gain,
Connoissant aujourd’hui combien tout homme est vain,
Ils ont crû qu’il vouloit qu’aux traits de son visage,
De sa vanité folle on ajoutât l'image.
Je sçai bien, (c’est Rigaud en quoi ta main excelle,)
Qu’en peignant laNature, il faut la peindre telle ;
Mais cet Art n’est permis à l’égard des Portraits,
Que pour en exprimer plus sçavamment les traits,
Et du Peintre en ce gente exact, docte & fidèle,
L’Original qu’il peint est l’unique modèle.
Mais s’il s’agit de peindre, ou Lambert ou Bignon,
Et ceux dont la vertu fait révérer le nom,
Je veux qu’en leurs Portraits éclatte la sagesse,
La probité, l’honneur, l’aimable politesse,
Et qu’ils soient tels enfin, qu’à la peindre invité,
Toi-même tu voudrois avoir peint l’Equité.
[…]
Qu’au bon sens tes desseins toujours subordonnez,
Eloignent des Tableaux, au Temple destinez,
Et des Portraits de ceux qu’y mène la Prière,
Tout air profane & vain, toute attitude fière ;
Que ton Tableau nous prêche, & qu’on y trouve peint,
L’air que doit le Pecheur porter au Temple Saint.
Ainsi Porbus a peint les vœux de nos Ancêtres !
Ainsi dans ses Tableaux admirez des grands Maîtres,
Le modeste Prévôt, le dévot Echevin,
En implorant la grace & le secours divin,
Disent leur patenôtre, humbles, les yeux en terre,
Tels dans d’autres Tableaux qu’on cherche & qu’on déterre,
Tel celui du Chartreux, Ouvrage du Sueur,
Dont si bien en priant il peine l’humble ferveur,
Qu’on ne peut s’empêcher, voyant cette peinture,
D’envier le bonheur d’une âme simple & pure.
Rigaud, telle du Peintre est souvent l’imposture.
Que qui veut se masquer emprunte la Peinture,
Et qu’enfin pour finir par ce bizare trait,
Rien ne déguise mieux l’homme que son Portrait. »
[1] Gautier, marchand de soie et d’étoffe d’argent, où s’approvisionnait la cour. « Les étoffes de soye, d’or et d’argent, sont amplement commercées par Messieurs Gautier et Begnault, rue des Bourdonnois. » Les Adresses de la ville de Paris, etc., par Abraham de Pradel, etc. Paris, M.dcxci., in-8°, pag. 23. Charles Gaultier, marchand drapier à Paris et à Marie Sandreu.
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Charles d'Aigrefeuille, Histoire de la ville de Montpellier, 1737, chap. V, p. 393 :
« Hyacinte Rigaud, connu dans toute l'Europe par ses beaux Portraits, prit set premières leçons de peinture à Montpellier, où il surpassa bien-tôt ses Maîtres, & se fit un chemin aux emplois les plus honorables de fa profession. Áprès avoir été Professeur & Recteur de l'Académie Royale, il fut choisi pour faìre les Portraits en grand, des Rois Louis XIV, & Louis XV. »
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Mercure de France, décembre 1735, p. 2735-2736 :
LETTRE écrite de Perpignan le 20 Novembre 1735 par M. . ..ancien Consul de la même Ville.
« La Ville de Perpignan vient de recevoir, Monsieur, la preuve la plus satisfaisante qu’elle put désirer des sentimens que M. Rigaud a toujours eu pour saPatrie, elle ne croit pouvoir mieux marquer la reconnoissance qu’elle en conserve que par son empressement à la rendre publique. Cette Ville espère que vous. contribuerez volontiers à faire connoître combien elle est touchée de la générosité d’un Citoyen qu’elle aime, et qui lui fait autant d'honneur par les qualités de son cœur, que par les talens qui font sa grande réputation. Vous êtes si capable, Monsieur, de lui rendre justice, que je me contenterai de vous informer de ce qui donne lieu à cette Lettre, m’en raportant à vous avec confiance sur la manière de l’aprendre au Public.
Les Magistrats de cette Ville reconnoissant depuis long temps que tous ses habitons regrettoient bien sincèrement d’être prives du bonheur de voir leur auguste Maître, ont tâché de les consoler, en faisant placer dans l’Hôtel de Ville un Portrait du Roy qui rendit parfaitement la Majesté et les grâces de notre Monarque ; dès qu’ils ont sçu que M. Rigaud travailloit à un nouveau Portrait de Sa Majesté, ils se sont adressés à lui et l’ont prié de leur en procurer une copie. L’Illustre Peintre a senti le mérite des motifs qui faisoient désirer à nos Magistrats d’avoir le Portrait de notre Maître, et il a voulu avoir l’honneur de l’exécution ; il a fait avec tout le zèle et tout l’art imaginable ce Portrait qui est de neuf pieds de haut, il l’a travaillé avec tant de soin et d’amour, qu’on peut le comparer à l’original ; il l’a orné de la bordure la plus magnifique, il nous l’a envoyé, et il a joint à ce Présent une Lettre qui augmente le prix de ce qu’il a fait pour nous. S’il m’étoit permis de vous en adresser une copie, vous reconnoîtriés la modestie qui accompagne toutes les actions de M. Rigaud, et qui ne surprend point en luy parce qu’elle forme toû jours le principal caractère des Grands Hommes.
Depuis que le Portrait a été placé, le Concours gêneral qu’il a attiré est difficile à exprimer : à la vue de cette image respectable, tous les Habitans s’empressent à marquer leur respect et leur amour pour le Roy et dans les transports de leur joy ils en sentent une particulière de devoir à leur compatriote la satisfaction d’avoir le Portrait du Roy si excellemment peint. Voilà, Monsieur, ce que la Ville de Perpignan vous prie d’aprendre au Public quelques termes que vous puissiés employer pour répondre à ce qu’elle espère de vous, ils n’égaleront jamais la vivacité de sa reconnoissance.
Je suis, Monsieur, &c. »
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L. C. Baillet de Saint-Jullien, Lettre sur la peinture, la sculpture et
l'architecture, Amsterdam, 1749, p. 118 :
« M. Tocqué a composé le portrait en pied de feue M. la Dauphine, comme le meilleur Peintre d'histoire auroit pu le faire. On pourroit dire de cet Auteur, ce que l'on disoit de M. Rigaud, qu'il est né pour peindre les Rois 8c les Princes : fon pinceau est séduisant & facile. Personne ne rend les étoffes avec plus d'art. Quelques-uns cependant ont trouvé des tons noirs dans le coloris de ce Tableau. »
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Sur les relationes entre le sculpteur Robert Le Lorrain (1666-1743) et Hyacinthe Rigaud (Pierre Jean Mariette, Abecedario de P. J. Mariette et
autres notes inédites de cet amateur sur les arts et les artistes. Ouvrage publié par Philippe de Chennevières & Anatole de Montaiglon, tome III, Paris,
1854-1856, p. 127) :
« On ne peut pas reprocher à ce sculpteur de n’avoir pas été un fort galant homme. Il ne fit jamais rien que d’honnête ; mais, peu endurant et trop sec, il ne pouvoit souffrir qu’on le contredît, et il disoit alors, sans ménagement et tout crument, les vérités qui lui venoient à la bouche. Ce n’étoit pas le moyen de se faire des amis, et comme, avec ce défaut, il ne pouvoit se plier à faire sa cour, il fut trop souvent oublié et n’eut que très-peu de part aux ouvrages que le roi, sous la direction de M. le duc d’Antin, faisoit faire, quoyque ses talents le méritassent. Ce n’étoit pas l'ami de M. Rigault. Ils eurent ensemble des altercations en pleine Académie, qui furent assez vives pour que M. Rigault se crût avoir été offensé et ne plus devoir assister aux assemblées jusqu’à ce qu’on lui en eût fait des excuses ; mais on ne pouvoit pas l’attendre de l’humeur dure de le Lorrain, et pendant longtemps l’Académie souffrit de cette espèce de schisme. Pour donner un exemple du peu de ménagement que notre sculpteur mettoit dans ses discours, il suffit de ce trait : il osa dire un jour à l’abbé de Ravannes, qui peut-être le traitoit un peu trop cavalièrement, mais qui n’en étoit pas moins tout-puissant auprès du cardinal de Rohan, dont il étoit le factotum, et que par cette raison le Lorrain devoit extrêmement ménager, qu'en vingt-quatre heures on pouvoit faire un homme à petit collet comme lui, tandis que, pour former un bon sculpteur tel qu'il se croyoit être, trente années suffisoient à peine. »
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Témoignage sur la fabrique, en 1704[1], du portrait Roger Brulart (1640-1719), Marquis de Sillery, Vicomte de Puisieux, Baron de Fontaine, Seigneur de Verzenay et de Lude, Chevalier du Saint-Esprit le 1er janvier 1705 ce qui explique probablement son passage chez Rigaud. Lieutenant général, le marquis avait pris comme son secrétaire Néricault Destouches (peint par Largillierre), alors qu’il officiait comme ambassadeur en Suisse. Il était le fils de Louis-Roger Brulart de Sillery (1619-1691) et de Marie-Catherine de La Rochefoucault (1622-1698) et frère de Louis-Roger Brulart de Sillery, marquis de Puysieux (1619-1691). Rigaud avait été mis en relation dès 1701 avec le marquis de Puysieux par le célèbre collectionneur Roger de Gaignières (mort en 1716). La lettre qu’écrivit le catalan à Gaignières en janvier 1705 semble prouver que le paiement ce fit dès 1704, témoignant d’un rendez-vous manqué entre Rigaud et son modèle (Ph. de Chennevières, Anatole de Montaiglon, Archives de l'Art Français, I, Paris, 1851-1852, p. 159, 160). Il s’agit là d’un portrait en buste assez austère, cuirassé, sans les mains, d’où son prix modeste. L’année suivante Rigaud peindra le portrait de la fille du marquis, Gabrielle-Françoise Brulart de Sillery (1649-1732), marquise de Tibergeau par son mariage en 1675, avec Louis de Tibergeau, marquis de la Motte.
« Je suis bien faché, Monsieur, de ne m’estre pas trouvé chez moy lorsque vous m'avez fait l'honneur d’y venir avec monsieur l’evesque de Soissons [Fabio Brulart de Sillery] et monsieur le marquis de Pisieux. J’accepte l’heure que vous me mandez qu’il viendra chez moi pour commencer son portrait, puisque le matin lui convient, je vous prie de lui dire que ce soit à neuf heures affin que j’aie le temps de faire l’ebauche avant midy, et s’il le faut, je ne m’engageray pas même l’apres midy de demain parce que s’il estoit necessaire je le continueray la même journée pour gagner du temps. Je suis ravy, Monsieur, que vous me procuriez l’honneur de peindre monsieur le marquis de Pisieux, j'y profiteray par plus d’un endroit, puisqu'il me procurera celuy de vous voir chez moy et de vous y assurer qu’on ne peut être avec plus d'estime et de respect que je le suis, Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
Rigaud.
Au dos : A Monsieur
Monsieur de Gagnère en sa maison
près les incurables à Paris. »
réponse
« Ce samedi matin 17 janvier 1705.
Je suis revenu de Versailles il y a trois jours, Monsieur, si cruellement enrhumé, que j’en ay eu la fièvre la nuit, et que je n’ay point sorti ces deux derniers jours. Je croy devoir vous informer que j’ay ceans le portrait de feu M. de Puyzieulx mon grand père que m’a prêté M. le Mis d’Estempes. Vous en ferez l’usage que vous jugerez à propos ou bien vous me manderez celuy que j’en dois faire. Je croy qu’il nous faudroit prendre jour à lundi pour aller chez M. Rigaud achever mon portrait ; mandez-moy s’il vous plait votre sentiment la dessus et me faites l’honneur de me croire toujours Monsieur très passionnément votre très humble et très obéissant serviteur
Puyzieulx.
Pour M. de Gaignières »
[1] Paiement inscrit aux livres de comptes en 1704 pour 150 livres (« M. le marquis de Puysieux ») ; J. Roman, 1919, p. 109. Collection des comtes de Dunraven à Adare (Limerick, Irlande) ; vente Londres (Philips), 6 juillet 1996, lot. 108, repr. p. 127 du cat. (non vendu).
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François de Salignac de La Mothe Fénelon, « Lettre à l'Académie Françoise », in Opuscules académiques de Fénelon, Nouvelle édition par C. O. Delzons, Paris, 1861, p. 114 :
[ En note : « Fénelon s'attache à justifier Homère du principal reproche qu'on lui faisait alors, la grossièreté de ses
Dieux et de ses Héros. C'est le point sur lequel La Motte insiste le plus dans le Discours sur Homère, en tête de son Iliade, et l'on voit par ses lettres à Fénelon que
cette question était la plus agitée, dans la querelle qui occupait alors l'Académie et les beaux esprits » ].
« Blâmer Homère d'avoir peint fldèlement d'après nature, c'est reprocher à M. Mignard, à M. Detroy, à M. Rigaud, d'avoir fait des portraits ressemblants . Voudroit-on qu'on peignît Momus comme Jupiter, Silène comme Apollon, Alecto comme Vénus, Thersite comme Achille ? Voudroit-on qu'on peignît la Cour de notre temps avec les fraises et les barbes des règnes passés ? »
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« Jean Jouvenet » in Philippe de Chennevières-Pointel, L. E. Dussieux, P. Mantz, A. de Montaiglon, E. Soulié, Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture, publiés d’après les manuscrits conservés à l’école impériale des beaux-arts, Paris, Dumoulin, II, 1854, p. 26 :
« M. Jouvenet a peint à Versailles, dans les appartements, un plafond dont le sujet est tiré des travaux d'Hercule; dans la chapelle du roi, un saint Louis qui fait panser les blessés et enterrer les morts après la bataille de Damiette ; au-dessus de la tribune de Sa Majesté, uneDescente du Saint-Esprit; et aux Récollets de la même ville, un excellent tableau représentant la résurrection du fils de la veuve de Naïm. Ce morceau est d'une composition qui va au sublime, selon le sentiment de M. Rigaud et des gens de l'art les plus éclairés. »
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Anecdotes des beaux-arts, contenant tout ce que la peinture, la sculpture, la gravure, l’architecture, la littérature, la musique, & la vie des artistes, offrent de plus curieux & de plus piquant, chez tous les peuples du mode, depuis l’origine de ces différens arts, jusqu’à nos jours, Paris, 1776, t. II, p. 196-200.
« Rigaud est dans ce recueil comparé à Vandick pour le portrait ; il rendoit, ajoute l’Editeur, les étoffes avec un art qui va jusqu’à séduire. On peut néanmoins reprocher à Rigaud que son goût de draper sent trop l’étude. Ses draperies sont jetées avec art, si l’on veut, mais elles laissent appercevoir que tous ces petits plis ou ces cassures que Rigaud croie nécessaires pour l’effet de son tableau, ont été recherchées par le Peintre, & que sans lui ils ne seroient pas où ils sont. Vandick est beaucoup plus naturel. Il rendait la nature comme elle se présentoit à lui, Rigaud comme il l’avoie disposée. Il l’imitoit alors avec scrupule, bien différent en cela de l’Argillière, son contemporain, qui faisoit tout de pratique ou de souvenir.
Rigaud, dit l’Editeur des Anecdotes, se maria par une aventure singuliere. Une Dame ayant envoyé son Domestique pour avertir quelque barbouilleur de venir mettre en couleur son plancher, le Laquais alla s’adresser à Rigaud, qui, charmé de la méprise, voulut s’en amuser, promit de se rendre à l’heure indiquée, & n’y manqua pas en effet. La Dame voyant paroître un homme de bonne mine, habillé magnifiquement, se douta du qui pro-quo de son Domestique, en fis des excuses à Rigaud, & le reçut d'une manière très-distinguée. L’Artiste, charmé de l’esprit & de la beauté de cette Dame, demanda la permission de venir quelquefois lui faire fa cour. Enfin la sympathie agit entre ces deux personnes ; on parla bientôt de mariage, &c leur union fut des plus heureuses. Ce fait est encore altéré dans ses détails.
Rigaud étoit venu loger dans la rue Coquillière, au coin de la rue des vieux Augustins, chez un Notaire. Un Huissier du Conseil, nommé le Juge, logeoit dans le voisinage. Sa femme qui vouloit faire peindre en marbre un chanbranle de cheminée, dit à sa Domestique d'aller chercher un Peintre qu’elle lui nomma. « II y en a un, dit cette Servante, qui vient d'arriver dans votre voisinage. Eh bien, allez lui dire de venir, repart la Maîtresse ». Rigaud etoit naturellement haut, & l’on comprend aisément qu’il dût recevoir assez mal ce message ; on ajoute même que peu s’en fallut qu’il ne fit jeter la Servante du haut en bas de l’escalier. Revenue à la maison, elle raconta la façon dont elle avoit été reçue, & s’en plaignit au mari, qui connoissant Rigaud, trouva fort mauvais que sa femme eût fait une telle méprise. «Y pensez-vous, » dit-il, M. Rigaud est un Peintre distingué, qui ne mérite point qu’on lui fasse une telle avanie ». La femme ne savoit ce qu'il vouloir dire par un Peintre distinguée. Le mari alla cependant faire des excuses à Rigaud, qui lui rendit sa visite. Il trouva la Dame à son goût ; il lui donna dès-lors son affection, et lorsqu’elle fut veuve, il en fit sa femme, & une femme tendrement aimée.
Une Dame qui avoit beaucoup de rouge, & dont Rigaud faisoit le portrait, se plaignit de ce qu’il n’employoit pas d’assez belles couleurs, & lui demanda dans quel endroit il les achetoit. « Je crois, Madame, répondit le Peintre, que nous nous fournissons chez le même marchand ».
Voici une autre saillie de cet homme célèbre, qui n'est pas rapportée dans ce recueil. Un homme qui n’avoit d’autre mérite que d’être riche, vint un jour chez Rigaud pour se faire peindre. Il marchandoit sur le prix que l’Artiste mettoit alors à ses ouvrages. Il offroit même une somme très-modique,ajoutoit que c’étoit assez pour tirerun portrait. « Monsieur, lui répondit Rigaud avec beaucoup de flegme, il n’y a pas là de quoi vous tirer les oreilles ».
Quoique Rigaud eut naturellement l’esprit très-galant, il n’a jamais aimé à peindre les femmes : « Si je les reprefente telles qu’elles sont, disoit-il, elles ne se trouveront pas assez belles ; si je les flatte, elles ne feront pas ressemblantes ».