Atelier d'Hyacinthe Rigaud (?), portrait de Guy Crescent Fagon. Villeubanne, galerie Fabienne Lamberger-Ponvianne (détail) © d.r.

Atelier d'Hyacinthe Rigaud (?), portrait de Guy Crescent Fagon. Villeubanne, galerie Fabienne Lamberger-Ponvianne (détail) © d.r.

 

« Le docteur est une figure dont vous aurez peine à vous faire une idée. Il a les jambes grêles comme celles d’un oiseau, toutes les dents de la mâchoire supérieure pourries et noires, les lèvres épaisses, ce qui lui rend la bouche saillante, les yeux couverts, la figure allongée, le teint bistre et l’air aussi méchant qu’il l’est en effet ; mais il a beaucoup d’esprit et il est très politique. Je ne crois pas, je le répète, et vous en conviendrez après cette description, qu’il vous eût été possible de vous faire une idée exacte de ce personnage ». Ces mots peu amènes, écrits à Port-Royal le dimanche 15 juillet 1696 par la truculente princesse palatine à Sophie de Hannovre, et décrivant le médecin du roi Guy Crescent Fagon (1636-1718), comte des Archiâtres, sont demeurés célèbres.

 

Atelier d'Hyacinthe Rigaud (?), portrait de Guy Crescent Fagon. Villeubanne, galerie Fabienne Lamberger-Ponvianne © d.r.

Atelier d'Hyacinthe Rigaud (?), portrait de Guy Crescent Fagon. Villeubanne, galerie Fabienne Lamberger-Ponvianne © d.r.

 

Dans l’effigie du praticien qu’il eut à réaliser en 1694, Hyacinthe Rigaud transcrivit avec précision les traits difficiles de son modèle. En buste, de trois quarts vers la gauche, vêtu d’un habit sombre et d’un grand rabat de mousseline, le visage enfermé dans une large perruque léonine, le portrait de Fagon popularisa une image sévère. Si les archives de la faculté de médecine de Paris mentionnaient dans ses collections un ancien portrait du médecin aujourd’hui disparu[1], et qu’il serait présomptueux de rattacher sans preuve iconographique à l’œuvre de Rigaud, nous ne connaissions jusqu’ici le tableau du Catalan que par les estampes de Gérard Édelinck (1695) et d’Étienne Ficquet (1734), en contrepartie l’une de l’autre[2]. Chacune semblaient reprendre le cadrage initial adopté par l’artiste, montrant moults détails d’une vêture riche en effets moirés.

 

Gérard Edelinck, portrait de Guy Crescent Fagon, 1695. Perpignan, musée Rigaud © Stéphan Perreau

Gérard Edelinck, portrait de Guy Crescent Fagon, 1695. Perpignan, musée Rigaud © Stéphan Perreau

 

C’est dire toute l’importance que peut avoir un premier témoignage peint du tableau que nous avons redécouvert et ré-identifié, proposé dans la galerie d’un antiquaire de Villeubanne. Donné initialement comme portrait de magistrat par l'antiquaire qui a renommé le modèle après que nous l'ayons contacté le 8 mai dernier, cet ovale au cadrage plus court reprend indéniablement les traits particuliers de Fagon, du menton en retrait, à la peau couperosée en passant par les mèches caractéristiques de la perruque qui cachent le front du modèle. Grâce à cet exemplaire inédit, sans doute peint par un élève du maître compte tenu de la relative faiblesse de l’habillement mais montrant d'indéniables qualités dans le visage[3], y a tout lieu de penser que la composition fut primitivement peinte à gauche, comme le montre l’estampe de Ficquet. L’ovale présente maintes analogies avec le portrait tout aussi austère du commissaire de police d’Argenson dont une belle réplique est conservée au musée de Caen.

 

Gérard Edelinck, portrait de Guy Crescent Fagon, 1695 (détail). Perpignan, musée Rigaud © Stéphan Perreau

Gérard Edelinck, portrait de Guy Crescent Fagon, 1695 (détail). Perpignan, musée Rigaud © Stéphan Perreau

 

 

Malgré sa figure hideuse, son accoutrement singulier, et bien qu’il ait été asthmatique et bossu si l’on en croit Saint Simon, Fagon, fit une carrière exemplaire à la cour : médecin du régiment des gardes suisses (1678), de Marie-Christine de Bavière, l’épouse du Grand Dauphin (1680), de la reine Marie-Thérèse d’Autriche qu’on l’accuse d’avoir envoyé à la mort en peu de temps, il est chargé ensuite de la santé des enfants de France. Ennemi farouche de son collègue D’Aquin dont il prend la place de premier médecin du roi (1693), il sera également surintendant du Jardin du roi et des eaux minérales du royaume.

 

Les 280 livres exigées par Rigaud prouvent sans doute que l’estampe d’Edelinck fut fidèle à l'original et que la version de Villeurbanne ne nous donne qu’une idée tronquée de la posture. Selon Vicq d’Azur et d’Alembert : « La Faculté témoigna à Fagon sa reconnoissance [il avait employé son crédit auprès du roi pour obtenir la suppression de la chambre des médecins provinciaux]. Elle décida le 16 avril 1695, que son portrait seroit placé dans les écoles supérieures. Ce portrait peint par le célèbre Rigaud, fut gravé la même année par Édelinck ». En serviteur fidèle du roi Fagon commande également en cette année 1694, une copie en buste du portrait de Louis XIV valant 140 livres (ms. 624, f°10, v° : « Une du Roy pr m r. fagon »).

 

 

 


[1] Vicq d’Azur et d’Alembert, 1791, p. 258 ; Faucheux, 1884, p. 57 ; Legrand, 1911, p. 275-278.

[2] Roman, 1919, p. 40, 48 ; Weigert, IV, 1961, n° 143, p. 38 ; Amiel, 1981, p. 193-194 ; Perreau, 2013, cat. *P.384, p. 111 ; James-Sarazin, 2016, II, cat. *P.416, p. 143-144 ; Perreau, Hyacinthe Rigaud online, octobre 2016, http://www.hyacinthe-rigaud.com/catalogue-raisonne-hyacinthe-rigaud/portraits/470-fagon-guy-crescent, mis à jour le 07/05/17.

[3] Il n’est toutefois pas aisé de la faire correspondre avec la copie officielle réalisée par l’aide d’atelier Leroy en 1695 pour 10 livres. Une future restauration devrait pouvoir statuer sur la qualité de cette copie. Nous remercions vivement Madame Lambergier-Ponvianne de nous avoir envoyé des clichés complémentaires à ceux de sa fiche catalogue.

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