Une nouvelle version de la Nativité d’après Hyacinthe Rigaud
12 avr. 2017Anonyme français du XVIIIe siècle d'après Hyacinthe Rigaud, La Nativité (détail). Rodez, cathédrale © Photo. Jean-François Peiré - DRAC Occitanie
C’est au hasard d’une visite à la cathédrale de Rodez en Aveyron, que nous avons pu redécouvrir une nouvelle version inédite de la Nativité peinte par Hyacinthe Rigaud en 1687. Ce très grand format (H. 3,94 ; L. 2,93 m), présenté dans une chapelle du déambulatoire sud du chœur, était d’autant plus intriguant que son auteur et son sujet n’étaient pas clairement identifiés dans l’édifice, même si aisément reconnaissable dans la mesure où l’on avait à l’esprit la composition créée par le célèbre portraitiste[1].
Anonyme français du XVIIIe siècle d'après Hyacinthe Rigaud, La Nativité. Rodez, cathédrale © Photo. Jean-François Peiré - DRAC Occitanie
Selon Hulst et Mariette « Rigaud exécuta ce sujet d’histoire en petit vers la fin de l’année 1687, dans le temps que quelques membres de l’Académie parurent vouloir faire difficulté de le recevoir autrement que comme peintre de portraits », témoignant ainsi qu’il ne fut fait aucun grand format. Une esquisse conservée à Rennes, considérée habituellement comme un modello ou étude préalable à la pensée définitive de l’artiste, présente de nombreuses différences par rapport à la scène gravée. Le cadrage est en effet plus resserré et l’on note l’absence de bœuf sous le râtelier ou, au premier plan, du gros rocher (et non du panier comme on a pu le lire parfois dans certaines études).
L’intérêt était donc grand car la toile de Rodez semblait jeter un nouvel éclairage sur la popularité méconnue de cette œuvre de Rigaud ; pièce que l’on croyait finalement assez confidentielle, même si elle avait été mise à la gravure par Pierre Drevet en 1696[2]. Ignorée des spécialistes[3], la toile ruthénoise s’inspirait très nettement de l’estampe puisqu’elle reprenait le sens inverse donné par le graveur à la composition initiale, dont seule une petite esquisse conservée au musée des Beaux-arts de Rennes pouvait indiquer l’orientation primaire.
Jusqu’ici, on ne connaissait que peu de versions peintes de manière aboutie, la mention d’un « tableau peint sur toile, représentant une Adoration des Bergers, peinte d’après M. Rigaud » évoquée dans l’inventaire après décès de Pierre-Imbert Drevet en 1739 n’étant pas assez précise pour statuer sur sa juste paternité. S’agissait-il d'une copie faite par l’atelier de Rigaud ? D’une réplique réalisée par un autre artiste, et en sens inverse dans le but de préparer Drevet dans son travail ?
Une Nativité de Rigaud avait été pareillement mentionnée dans l'inventaire après décès du comte de Hoym, de Saxe, sans que l'on puisse, là encore, savoir s'il s'agissait d'une version aboutie ou du modello de Rennes.
Dans tous les cas, les historiens se référaient principalement dans leurs historiques à la grande version, peinte en 1756 par le vannetais Pierre-François Lhermitais (1704-1779) pour le retable du collatéral sud de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul de Spezet en Finistère (prononcez « Spezète »)[4]. Prenant quelques libertés avec le sujet, principalement par l’ajout de grands anges dans les nuées en lieu et place de têtes d’angelots ainsi qu’un nouveau personnage à droite, cette copie proposait également des variations dans les couleurs des vêtements des protagonistes.
Pierre-François Lhermitais d'après RIgaud, La Nativité, 1756. Spezet, église paroissiale © DRAC Bretagne
À Rodez, l’artiste anonyme a davantage suivi l’estampe de Drevet. Si, là encore, les couleurs ne sont pas toutes celles de l’esquisse de Rennes, on retrouve dans la toile tous les détails de la gravure. Initialement attribuée dans sa notice extraite du dossier « objet mobilier » de la cathédrale à un membre de la famille Van Loo [5], le tableau fut plus sûrement relié à Rigaud lors de sa restauration en 1997, comme nous l’a aimablement confirmé Ariane Dor, conservatrice du patrimoine à la Drac Occitanie.
Madame Dor nous a également confié le sentiment que nous avions eu lors de notre visite de la cathédrale, à savoir que cette Nativité avait probablement été réalisée au XVIIIe siècle pour un couvent de la ville, détruit à la Révolution, et faisant partie d’une série d’au moins neuf tableaux représentant des scènes de la vie du Christ, de dimensions similaires et toutes encadrées de façon semblable. Fruits d’une possible commande, cette série comprenait des copies de compositions célèbres tels Le retour d’Égypte d'après Rubens, Jésus guérissant l'aveugle de Jéricho d'après Eustache Le Sueur, le Christ servi par les anges et la Sainte famille ou le bénédicité d'après Le Brun, le Baptême du Christ d'après Mignard, La résurrection de la fille de Jaïre d'après La Fosse et un Christ chez Marthe et Marie (ces deux dernières identifications selon une communication de Guillaume Kazerouni, responsable des collections de peintures et dessins anciens au musée des Beaux-arts de Rennes).
Anonyme français du XVIIIe siècle d'après Le Brun, le Christ servi par les anges. Rodez, cathédrale © Photo. Jean-François Peiré - DRAC Occitanie
Lors de la restauration du Christ servi par les anges, des traces de semence furent découvertes sur le cadre, indiquant que la toile avait été décadrée et remontée une seule fois, des repeints disposés régulièrement prouvant également qu'il avait été roulé pour être transporté d'un autre édifice de la ville vers la cathédrale. Madame Dor nous a signalé cependant que si l'inventaire de la cathédrale réalisé en 1905 n'est pas suffisamment précis pour identifier les tableaux, il est probable qu’ils se trouvaient déjà dans la cathédrale au XIXe siècle.
La présence à Rodez de cette nouvelle copie témoigne de la popularité de l’œuvre de Rigaud, au même titre que les artistes que le portraitiste admirait, le plaçant contre toute attente, en bonne place sur l’échiquier des peintures d’histoire en vogue au XVIIIe siècle[6].
[1] http://www.hyacinthe-rigaud.com/catalogue-raisonne-hyacinthe-rigaud/peintures-d-histoire/2-nativite
[2] Gravé par Pierre Drevet en 1696 (tiré vers 1703) d’après Rigaud. H. 36,8 ; L. 24,9 (composition cintrée). Dans le cadre, à gauche : « H. Rigaud pinx. » ; à droite : « Drevet excu. [sic] ». Sous le trait carré, au centre : Et Verbum Caro factum est ; et habitavit in nobis / Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ». Au dessous, à gauche : « A Paris chez P. Drevet rue St Jacques » ; à droite : « a l’Annonciation avec privil. du Roy ».
[3] Gallenkamp, 1956, p. 22 ; Colomer, 1973, p. 6 ; cat. Rennes, 1995, n° 56, p. 118 ; Perreau, 2004, p. 51-52 ; Levallois-Clavel, 2005, I, 60, 76, 135, 183 ; ibid. II, p. 21, cat. P. Dr. n° 5 ; James-Sarazin, 2009/1, cit. p. 174 (partie du n° 112) ; James-Sarazin, 2009/2, p. 53-54, 84 ; Perreau, 2013, cat. P.126, p. 76.
[4] Huile sur toile, H. 2,60 ; L. 1,50 m (environ). Voir Maud Hamoury, La peinture religieuse en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles, Presses universitaires de Rennes, 2010, n°815. Nous remercions Cécile Oulhen, conservatrice des monuments historiques à la Drac Bretagne pour la communication des renseignements concernant le tableau de Spezet.
[5] Nous remercions Kristell Nerrou, archiviste du site toulousain de la direction régionale des affaires culturelles Occitanie pour cette communication.
[6] On connaît deux autres versions, l’une XVIIIe (église paroissiale de protestants Saint-Mathieu de Colmar) et l’autre XIXe (en tondo).