Hyacinthe Rigaud et Monmorency, portrait du peintre Charles de La Fosse, v. 1700-1708 (détail). Coll. priv. © Daguerre svv

Hyacinthe Rigaud et Monmorency, portrait du peintre Charles de La Fosse, v. 1700-1708 (détail). Coll. priv. © Daguerre svv

La redécouverte d'un dessin inédit attribué à Hyacinthe Rigaud est toujours un évènement, surtout lorsqu'il s’avère d’une exceptionnelle qualité. C'est le cas d’une feuille que mettra en vente la maison Daguerre le 27 mars prochain sous le lot 19 et que le cabinet d’expertise parisien De Bayser nous avait soumise le 14 février dernier[1].

Hyacinthe Rigaud et Monmorency, portrait du peintre Charles de La Fosse, v. 1700-1708. Coll. priv. © Daguerre svv

Hyacinthe Rigaud et Monmorency, portrait du peintre Charles de La Fosse, v. 1700-1708. Coll. priv. © Daguerre svv

Exécuté à la pierre noire et à l'estompe sur un papier devenu bistre dont les dimensions sont identiques à la plupart des dessins intégrés au corpus de l’artiste[2], ce dessin représente le peintre Charles de La Fosse (1636-1716) d'après un portrait peint par le catalan en 1691 et aujourd'hui conservé au château de Charlottenburg à Berlin[3].

Hyacinthe Rigaud, portrait du peintre Charles de La Fosse, 1691. Berlin, Schloss Charlottenburg © Berlin, Stiftung Preussicher Kunsturbesitz

Hyacinthe Rigaud, portrait du peintre Charles de La Fosse, 1691. Berlin, Schloss Charlottenburg © Berlin, Stiftung Preussicher Kunsturbesitz

Rehaussé de délicates touches de lavis brun et de fines touches de craie blanche, il reproduit fidèlement la composition originale et présente, au bas, sous le trait carré, une inscription postérieure  à  la plume décrivant le modèle : « Portrait de M[onsieu]r de la Fosse Peintre du Roy dessiné par M[onsieu]r Rigaud et sur lequel il a / êté gravé par Drevet [sic] ». À défaut de dater la feuille, cette mention est particulièrement intéressante. En effet, la graphie est assez proche de celle que l'on lit au bas de deux autres dessins d’après des grandes compositions de l’artiste : celle du duc de Mantoue, dessinée par Monmorency et Rigaud en 1708[4] et celle de l’archevêque de Cambrai Saint Albin, probablement confectionnée dans les années 1723-1741 : « M[onsieu]r de S[ain]t Albain archevêque de Cambray, dessiné par m[onsieu]r Rigaud qui en a aussi peint le tableau. C’est sur ce dessin qu’il a êté gravé par M[onsieur] Drevet [sic] »).

Les plus aguerris y reconnaîtront l’écriture de l’académicien et ami de Rigaud, Hendrick van Hulst qui annota les livres de comptes du peintre et s’occupa notamment de mettre en ordre les dessins du maître après sa mort.

Hyacinthe Rigaud et Monmorency, portrait du duc de Mantoue, 1708. Coll. priv. © Libert svv.

Hyacinthe Rigaud et Monmorency, portrait du duc de Mantoue, 1708. Coll. priv. © Libert svv.

La seconde particularité réside dans l’indication manuscrite selon laquelle le graveur Pierre Drevet aurait réalisé (ou aurait envisagé de réaliser) une planche d’après ce portrait. On sait pourtant qu’il n’intervint ni pour Saint Albin ni pour La Fosse dans leurs burins respectifs ; le premier fut en effet gravé par Georg Frédéric Schmidt en 1741 et le second par Gaspard Duchange en 1707 pour sa réception à l’Académie, mais seulement en buste et sans les mains. Hulst, qui connaissait parfaitement l’œuvre gravée de son ami pour en avoir réalisé le premier catalogue raisonné connu, avouait que le buste de La Fosse avait été « accomodé de goût par Rigaud pour être mis en estampe, avec une palette et des pinceaux sur le rebord d’architecture qui forme une espèce de fenêtre ».

A gauche : Gaspard Duchange d'après Rigaud, portrait de Charles de La Fosse. 1707 © d.r.

A gauche : Gaspard Duchange d'après Rigaud, portrait de Charles de La Fosse. 1707 © d.r.

Une sanguine (ci-dessus à droite), conservée à la Graphische Sammlung de Stuttgart, témoigne d’ailleurs de la première mise en place des éléments de l’estampe (palette et pinceaux), même si son attribution pleine et entière à Rigaud est sujette à caution à cause, peut-être, du peu d’élégance du drapé au premier plan, dont les contours sont anormalement hésitants pour un artiste dont d’Argenville louait encore la fougue des premières esquisses : « On reconnoît par le beau maniement du crayon & du pinceau, jusqu’à la qualité des étoffes ; le beau fini ne peut être poussé plus loin, joint à l’intelligence des lumières & l’accord des fonds d’architecture & de paysage dont il décoroit ses tableaux : il étoit quelque fois obligé de finir ses desseins, à cause des graveurs qui ont travaillé d’après lui. Ceux qui sont faits au premier coup, sont surprenans pour l’effet : en un mot, tout annonce Rigaud, tout fait connoître la supériorité de ses talents ».

Hyacinthe Rigaud, Portrait de Charles d'Orléans de Saint-Albin, archevêque de Cambrai. Washington, National Gallery of Art © Libert svv.

Hyacinthe Rigaud, Portrait de Charles d'Orléans de Saint-Albin, archevêque de Cambrai. Washington, National Gallery of Art © Libert svv.

Une question de pose alors : si Drevet avait effectivement réalisé une gravure d’après ce portrait, comme l’indique l’expression affirmative inscrite sur le dessin, Hulst n’aurait-il sans doute pas omis de le préciser dans son catalogue ? Si le projet fut abandonné, avant le décès du graveur en 1738, pourquoi Hulst fut-il si catégorique alors que, dans ses annotations des livres de comptes, il fit preuve d’une précision toute particulière à mentionner les œuvres inachevées[5] ou non gravées, comme ce fut le cas pour le dessin du duc de Mantoue[6] ? Dans l’attente d’élément plus probant, on se gardera bien de conclure…

Jusqu’à la réapparition du présent dessin, les historiens pensaient d'ailleurs pouvoir établir une relation entre la sanguine de Stuttgart et la mention d’un « dessin superbe encadré » représentant le modèle, offert le 7 avril 1785 par Geneviève Lorry (1733-1807), veuve du peintre Noël Hallé (1711-1781), à son fils, le médecin Jean Noël Hallé (1754-1822) à l’occasion de son contrat de mariage avec Marie Geneviève Marchand (1767-1832)[7]. Aujourd’hui, on peut plus probablement voir dans ce cadeau le présent dessin, lequel supporte amplement le qualificatif de « superbe ».

Mais l'attribution d'un nouveau dessin à l'entière main d'Hyacinthe Rigaud est toujours chose épineuse. Dezallier d’Argenville toujours, avait très tôt alimenté le débat en décrivant la méthode de l’artiste qui ne s’avéra pourtant pas unique : « Rigaud se servoit pour ses études de papier bleu & de pierre noire relevée de blanc de craie : ses desseins terminés sont pareillement soutenus d’un lavis d’encre de la Chine, recouvers de hachures à la pierre noire maniée sçavamment : les jours sont relevés de blanc au pinceau avec une précision & une vérité qui enchantent, surtout dans les cheveux, les plumes, les broderies des draperies, les parties de linges & les dentelles[8]. »

Hyacinthe Rigaud, portraits d'abbés anonymes. Franckfort et Berlin © d.r.

Hyacinthe Rigaud, portraits d'abbés anonymes. Franckfort et Berlin © d.r.

Études préparatoires de mains, de draperies ou d’attitudes, esquisses parfois sommaires, dessins autographes se disputaient la faveur des amateurs et des collectionneurs, du vivant même de l’artiste. De nombreux riccordi, très aboutis, alimentèrent même un marché soutenu par une forte demande, au point que les livres de comptes de l’artiste témoignent encore des paiements faits par le maître, entre 1700 et 1708 à deux de ses principaux élèves, Charles Viennot et le hollandais Monmorency.

Bien qu’aucun paiement relatif n’ait été inscrit dans les livres de comptes, c’est probablement à Monmorency que l’on doit l’esquisse générale de notre dessin, comme en attestent les rajouts caractéristiques de lavis brun dans les creux des drapés et l’aspect consciencieux des contours du dessin. Par contre, à Rigaud reviennent les nombreuses retouches à la plume et à la craie blanche, subtils ajouts d’une infinie délicatesse. Tandis que dans le fond, les faisceaux de hachures passent du blanc au brun pour donner vie à la lumière en un faux désordre pourtant parfaitement structuré, les rehauts appliqués d’un geste vif sur les boucles de la perruque ou, tout en souplesse sur le majeur de la main gauche, sont autant de marques de fabrique du Catalan.

Hyacinthe Rigaud et Monmorency, portrait du peintre Charles de La Fosse, v. 1700-1708 (détail). Coll. priv. © Daguerre svv.

Hyacinthe Rigaud et Monmorency, portrait du peintre Charles de La Fosse, v. 1700-1708 (détail). Coll. priv. © Daguerre svv.

On ne saurait trouver meilleur écho à cet art que les fines touches de craie « en vagues » qui donnèrent vie à l’étude pour le portrait en costume de sacre de Louis XV réalisée par Rigaud vers 1730, et déjà avidement collectionnée par Mariette[9].

Hyacinthe Rigaud, études pour le portrait de Louis XV en grand costume Royal, v. 1730. Paris, musée du Louvre © photo Stéphan Perreau

Hyacinthe Rigaud, études pour le portrait de Louis XV en grand costume Royal, v. 1730. Paris, musée du Louvre © photo Stéphan Perreau

Cette œuvre de collaboration montre donc le haut de degré de perfection atteints par les dessins retouchés par Rigaud, illustrant par la même occasion la grande technicité mimétique des aides spécialisés de l’atelier. À l’instar d’autres feuilles, telle celle représentant le peintre Mignard (pour laquelle la participation de Monmorency est attestée par un paiement), ou celle récemment réapparue figurant Fleuriau d’Armenonville, bien d’autres trésors issus des fameux portefeuilles laissés après la mort de Rigaud[10], restent encore à découvrir.

 

 
Hyacinthe Rigaud et Monmorency, portrait du peintre Charles de La Fosse, v. 1700-1708 (détail). Coll. priv. © Daguerre svv

Hyacinthe Rigaud et Monmorency, portrait du peintre Charles de La Fosse, v. 1700-1708 (détail). Coll. priv. © Daguerre svv


[2] H. 37 ; L. 28,5.

[3] Huile sur toile, H. 116 ; L. 91 cm. Inv. GKI 2625. Ancienne collection dès 1773. Perreau, 2004, p. 18 ; Rosenberg et Mandrella, 2005, n° 952, p. 164-165 ; Delaplanche, 2006, note 117, p. 38 ; Gustin-Gomez, 2006, I, p. 87 et II, cat. I.3, p. 347, cat. I.6, p. 348, cat. I.9, 10, 11, p. 349 ; Perreau, 2013, cat. P.264, p. 94-95.

[4] « Le Grand Duc de Mantoue dessiné par Mr. Rigaud sur le tableau qu’il en a fait qui appartient à M. de Bury. / Ce portrait n’a jamais été gravé ».

[5] Ainsi à la date de 1743 on lit : « M. de la peyronnie (François), premier chirurgien. Il n’y a que la tête d’achevée de ce portrait qui devait être en figure jusqu’aux genoux ». L’année précédente il note concernant l’estampe de Rigaud peignant sa femme : « Peint en 1742. Le corps de cet ouvrage s’entend, la tête étant de 1707 ou 1708. Buste sans mains, que l’auteur n’a achevé que vers la fin de la vie de sa femme, plus de 30 ans après avoir fait la tête. »

[6] Voir note 4.

[7] État des tableaux donnés par Madame Hallé à M. son fils, lequel état sera annexé à la minute du contrat de mariage de M. Hallé et de Mlle Marchand (Paris, archives nationales, MC, ET, C, 882). Voir Gustin-Gomez, 2006, op. cit.

[8] Dezallier d'argenville, Abrégé de la vie des plus fameux peintres, Paris, 1745, p. 414.

[9] H. 28,1 ; L. 38,6 cm. Paris, musée du Louvre. Inv. 32723. Perreau, 2013, cat. P.1356, p. 280.

[10] Plusieurs furent légués à son filleul, Collin de Vermont par les cinquième et sixième testaments des 11 février 1731 et 29 septembre 1735 : « un portefeuille de dessins d’après les portraits de Rigaud et qu’il a retouchés, […] toutes les études et esquisses qui se trouveront concernant les portraits, […] un portefeuille d’Académie de différents maîtres avec tous les autres dessins de différents maîtres ».

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