B. Monmorency, portrait d'ecclésiastique [Benoît de Ruddere], 1727. Liège, commerce d'art © d.r.

B. Monmorency, portrait d'ecclésiastique [Benoît de Ruddere], 1727. Liège, commerce d'art © d.r.

C’est un témoignage tout à fait intéressant de la transmission de l’art d’Hyacinthe Rigaud à ses élèves que l’hôtel des ventes de Liège met aux enchères le 19 octobre prochain sous le numéro 101[1]. Daté et signé au dos « J. B. Montmorancy [sic] 1727 »[2], le portrait de cet ecclésiastique interpelle le spectateur par sa mise en scène étonnamment proche de celle que créa Rigaud en 1695 pour son effigie du curé de Saint Eustache, Léonard de Lamet (Lyon, musée des Beaux-arts).

Hyacinthe Rigaud, portrait de Léonard de Lamet, 1695. Lyon, musée des beaux-arts © mbl

Hyacinthe Rigaud, portrait de Léonard de Lamet, 1695. Lyon, musée des beaux-arts © mbl

Le mimétisme est particulièrement flagrant dans la position des mains et celle du fauteuil, mis de biais, alors que pour le fond, l’auteur apporte quelques variantes, notamment dans le grand rideau. L’artiste, qui semble avoir intégré tout le décorum propre à son professeur, ajoute ici son savoir faire propre dans la représentation particulièrement ondoyante du chaperon d’hiver à double rangée d’hermine. Nous reviendrons très prochainement sur l’identité du personnage représenté.

Du hollandais [J] B. Monmorency (ou Montmorency), on ne connaissait (et l’on ne connait toujours), que peu de choses, sinon qu’il fut très actif dans l’atelier de Hyacinthe Rigaud entre 1706 et 1708[3]. Spécialiste des mises au dessin de portraits célèbres de son maître (il en réalisa une vingtaine), il fut également employé à toutes sortes de tâches sur près de 77 items du catalogue de Rigaud. « Emancipé » de son atelier, l’artiste repartit en Hollande où il fit une carrière qui sembla honnête, diffusant la « manière Rigaud » dans son pays.

B. Monmorency, portrait de Pieter Parker, 1742. Amsterdam, Rijksmuseum © Rijksmuseum

B. Monmorency, portrait de Pieter Parker, 1742. Amsterdam, Rijksmuseum © Rijksmuseum

Au travers de ses propres productions, dont quelques rares témoins sont parvenus jusqu'à nous, Monmorency montre un art mimétique consommé, notamment dans l’assimilation du rendu « rigaudien » des drapés et des tissus. S’il trahit une certaine raideur dans le traitement des visages, avec ces cernes artificiellement prononcées autour des yeux comme le fera en France son ancien collègue parisien Adrien Leprieur (v. 1671-1736), Monmorency use à l’envie de teintes sourdes dans ses textures. En témoignent ces rouges lie-de-vin que l’on retrouve autant dans notre portrait d’ecclésiastique, débordant du fauteuil, que dans celui de Pieter Parker, peint en 1742 et conservé au Rijksmuseum d’Amsterdam où le drapé devient l’un des accessoires prédominants.

 
B. Monmorency (attr.), portrait de Jean François Goyvaerts. Coll. priv. © d.r.

B. Monmorency (attr.), portrait de Jean François Goyvaerts. Coll. priv. © d.r.

Dans son portrait de Jean François Goyvaerts, avocat du Conseil Souverain du Brabant[4], Monmorency singe tout autant la délicatesse des « mains Rigaud », aux doigts graciles, fins et allongés. L’œuvre n’est pas rappeler, dans l’ordonnance de la veste de brocard ouverte sur une délicate cravate, la manière qu’aura Jean Ranc, parent et meilleur disciple du maître, de représenter ces vêtures.

 

Jacob Houbraken d'après B. Monmorency, portrait de Johan Pieter Recxstoot © d.r.

Jacob Houbraken d'après B. Monmorency, portrait de Johan Pieter Recxstoot © d.r.

Plus tardivement, et avec son portrait de Johan Pieter Recxstoot, bourgmestre de Tholen, peint en 1742 et gravé en buste par Jacob Houbraken, Monmorency s’accorde davantage avec un style allemand plus sobre, délaissant l’artifice d’une vêture exubérante pour celle plus stricte d'un bourgeois administrateur.

 

 


[1] « J. B. MONTMORANCY (Ecole hollandaise du XVIIIe siècle), portrait d’homme ». Huile sur toile, 127 x 95 cm.

[2] Nous mettrons très prochainement dans cet article une photographie de l’arrière du tableau.

[3] Stéphan Perreau, Hyacinthe Rigaud, catalogue concis de l’œuvre, Nouvelles presses du Languedoc,  Sète, 2013, p. 33 ; « Delaunay, Monmorency, Melingue et Dupré », Hyacinthe Rigaud online, 2016 ; Ariane James Sarazin, Hyacinthe Rigaud, catalogue raisonné, Faton, 2016, I, p. 612.

[4] Huile sur toile, 87 x 67,5 cm. Commerce d’art.

B. Monmorency, portrait de Benoît de Ruddere, 1727. Liège, commerce d'art © d.r.

B. Monmorency, portrait de Benoît de Ruddere, 1727. Liège, commerce d'art © d.r.

mise à jour : 9 octobre 2017

Comme tous les curieux, il aura fallu attendre ce lundi matin la réouverture de l’hôtel des ventes de Liège pour pouvoir obtenir enfin les clichés du verso du tableau demandés il y a quelques jours, et découvrir ainsi l’identité du modèle représenté par Monmorency qui n'avait pas été donnée lors de la mise en ligne du catalogue de la vente le 6 octobre précédent.

B. Monmorency, portrait de Benoît de Ruddere, 1727 (verso). Liège, commerce d'art © d.r.

B. Monmorency, portrait de Benoît de Ruddere, 1727 (verso). Liège, commerce d'art © d.r.

B. Monmorency, portrait de Benoît de Ruddere, 1727 (verso, détail). Liège, commerce d'art © d.r.

B. Monmorency, portrait de Benoît de Ruddere, 1727 (verso, détail). Liège, commerce d'art © d.r.

En haut à gauche, d’une belle écriture on pouvait ainsi lire très distinctement :

 

« effigie D. Benedicti // De Ruddere. I. U. Licen // Canon : Ecclie : Metrop : Mechlinien // et Secret : Em. D : Card : De Alsatia. // Ae etatis sue 37. // j. B. Montmorency decit A° 1727 ».

 

Cette inscription, sans doute postérieure à la confection du portrait, devait reprendre une autre plus ancienne, et qui fut cachée par le rentoilage que l’on devine bien, en bas à droite, près des armoiries du modèle.

B. Monmorency, portrait de Benoît de Ruddere, 1727 (détail). Liège, commerce d'art © d.r.

B. Monmorency, portrait de Benoît de Ruddere, 1727 (détail). Liège, commerce d'art © d.r.

Fils de Michel de Ruddere et de sa seconde épouse, Anne Christine van den Abeele, Benoît de Ruddere était né dernier de sa fratrie, le 4 mars 1690 à Alost[a]. Chanoine dès 1721 et prévôt de la métropole de Saint Rombaut en 1749, il officia principalement comme vicaire général de l’archevêque de Malines, Thomas-Philippe de Hénin-Liétard (1679-1759), connu sous le nom de cardinal d’Alsace[b] .

 

Vicaire capitulaire pendant la vacance du siège de Malines en 1759, il fut ensuite promu Vicaire-général de l'Archevêque de Franckenberg. Fondateur avec ses frères de plusieurs bourses à Louvain, Benoît de Ruddere mourut le 21 août 1764.

 

B. Monmorency, portrait de Benoît de Ruddere, 1727 (détail). Liège, commerce d'art © d.r.

B. Monmorency, portrait de Benoît de Ruddere, 1727 (détail). Liège, commerce d'art © d.r.

 

Les détails fournis par la salle de ventes permettent de confirmer le savoir faire de Monmorency dans l’art du pastiche mais montrent de manière flagrante que l’artiste ne possédait pas le brio d’un Rigaud, notamment dans le rendu psychologique de son modèle. La face du chanoine de Malines paraît ainsi cruellement fade à côté du moelleux de ses vêtement et donne à l’ensemble un côté « enfantin ». Il n’en reste pas moins un témoignage très intéressant, et trop rare, des productions des aides les plus actifs de l’atelier d’Hyacinthe Rigaud.

B. Monmorency, portrait de Benoît de Ruddere, 1727 (détail). Liège, commerce d'art © d.r.

B. Monmorency, portrait de Benoît de Ruddere, 1727 (détail). Liège, commerce d'art © d.r.

 


[a] Charles Poplimont, La Belgique héraldique, Paris 1867, tome 9, p. 348.

[b] J. B. P. Bouquié, Almanach du clergé catholique romain des Pays Bas pour l’an 1823, contenant une série chronologique des souverains Pontifes, L’État de l’Église de Bome. L’Organisation des Dioeèses des Provinces méridionales […] etc. Cet ouvrage contient d’ailleurs, un Précis de l’Histoire Ecclésiastique du Dioeèse de Malines, depuis sa fondation […], Bruxelles, 1823, p. 312.

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