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Jean Daullé d'après Hyacinthe Rigaud

Autoportrait peignant son épouse, Élisabeth de Gouy (détail) - 1742

Collection particulière © Stéphan Perreau

 

Si, dès le 17 mai 1703, Rigaud avait tenté un premier mariage avec Catherine de Chastillon, fille d'un procureur, cette union sera finalement annulée quelques jours plus tard sans que l'on en connaisse la raison (les deux promis restant en bons termes). Il attendit donc le 19 mai 1710 pour épouser Élisabeth de Gouy devant le notaire Cosson (acte manquant des liasses). Elisabeth, auparavant veuve d'un huissier du Grand Conseil, Jean Le Juge, avait déjà une fille que Rigaud adopta. Le Juge, qui se trouvait à Dieppe en 1701, dans l'hostellerie de la rue de la Barre, « à l'enseigne du roi d'Angleterre », y rédigea une procuration afin que son épouse puisse s'obliger envers Rigaud d'une dette estimée à plus de... 10000 livres ! Il mourut peu avant 1706 et l'on comprend que la jeune femme ait été mariée avec ce « panier percé » sous le régime de la séparation des biens...

 

On sait que Rigaud était uni d'une profonde amitié avec Élisabeth de Gouy dont il fit deux portraits et qu'il nomma un temps son exécutrice testamentaire. Malheureusement, elle mourut avant lui, le 14 mars 1743 (selon l'inventaire qui suit), ou le 15 (selon l'extrait des registres de Saint Roch, ci-dessous, et publié par Jal). De qui vient l'erreur ?

 

Enterrement Gouy

Inhumation d'Élisabeth de Gouy.

Extrait des registres mortuaires de l'église Saint Roch. Archives nationales (ét. LIII, 316) © Stéphan Perreau

 

Dans tous les cas, elle fut enterrée le 16. Guiffrey, en publiant en 1884 de manière fragmentaire les scellés apposés à la mort de Rigaud, évoqua ceux mis quelques mois plus tôt par le commissaire Glou sur les effets d'Élisabeth. Selon lui, ils ne valaient pas la peine qu'on s'y arrête. Depuis, la redécouverte de l'inventaire après décès de Rigaud a permi de préciser les termes du contrat de mariage de 1710 que Rigaud spécifia cependant au commissairesous comme étant sous le régime de la séparation des biens car « son épouse n’avait pas de bien ; il ne l’a prise que pour son mérite personnel ». Il déclara que la succession de la défunte ne consistait que dans ses hardes et linge en petite quantité, le tout enfermé dans une armoire en bibliothèque placée dans l’antichambre ; tout le reste du mobilier lui appartenant. L'armoire ouverte, une soeur d'Élisabeth et les neveux d'une autre, contestèrent à Charlotte Le Juge le droit d'hériter des quelques hardes que sa mère laissait. Ce n'est donc qu'en novembre 1743 que l'inventaire put être réalisé, après que le Châtelet ait rendu justice à la jeune femme, retirée depuis un moment en Vendée...

 

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Premier folio de l'inventaire après décès d'Élisabeth de Gouy

Paris, Archives nationales (Etude de Maître Billeheu, LIII, 306, 28 novembre 1743) 

© Stéphan Perreau

 

 

Inventaire

28 novembre 1743

Après le décès de Dame Elisabet

De Gouy, épouse non commune

D’Hiacinthe Rigaud

avant Vve de Me jean Le Juge

 

L’an mil sept cent quarante trois, le jeudy vingt huitième jour du mois de novembre du matin à la requête de demoiselle Marguerite Charlotte le Juge, fille majeure, demeurante au bourg de Saint Pierre de Monchamps en bas Poitou, diocèse de Luçon, fille unique de deffunt messire jean Le Juge, huissier au Grand Conseil et dame Elisabeth De Gouy[1], son épouse, à son décez épouse non commune en bien d’hiacinthe Rigaud, écuyer, noble citoyen de la ville de Perpignan, peintre ordinaire du Roy, ancien directeur et recteur de l’académie Royalle de peinture et sculpture et chevalier de l’ordre de Saint Michel ; ladite demoiselle le Juge habile à se dite et porter seule et unique héritière de ladite feue dame Elisabeth de Gouy sa mère, ladite demoiselle le Juge en ladite qualité stipulée et représentée par sieur Claude Geoffroy[2], bourgeois de Paris y demeurant, rue de Louis Le grand, paroisse Saint Roch, à ce présent au nom et comme procureur de ladite damoiselle Le Juge, fondé de la procuration qu’elle luy a passée en ladite qualité et spéciale à l’effet des présentes, par devant Chaigneau, notaite royal de la baronnie de Monchamps et Gallot, notaire de ladite baronnie, le douze septembre de la présente année mil sept cent quarante trois, controlée le mesme jour et légalisée au bas le lendemain par le sieur Rondeau, juge sénéchal de la baronnie de Monchamps, représenté par ledit sieur Geoffroy, et demeurée cy jointe après que ledit sieur Geoffoy l’a certiffiée véritable, signé et parafé en présence des notaires soussignés,

 

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Signature de Marguerite Charlotte Le Juge du Coudray sur sa procuration annexée à l'Inventaire

Archives nationales (ét. LIII, 316) © Stéphan Perreau

 

Pour la conservation des droits et actions de ladite damoiselle Le Juge, en ladite qualité et de tous autres qu’il apartiendra, il sera, pas les conseillers du roy, notaires au Châtelet de Paris, soussignés, en suitte du présent intitulé, fait bon inventaire, fidèle et exacte description de tous les habits, linges, hardes, titres, papiers et autres effets qui sont de la succession de ladite dame Rigaud, trouvés estans dans une armoire fermante en bibliothèque dans l’antichambre de l’apartement qu’elle occupoit au premier étage à gauche sur le pallié de la maison ou demeure ledit sieur Rigaud, size au coin de la rue Louis le grand, paroisse Saint Roch, dans lequel apartement ladite dame Rigaud est décédée le quatorze mars dernier, représenté auxdits notaires et mis en évidence par ledit sieur Geoffroy après serment à luy fait ès mains de Billeheu, l’un desdits notaires, de tout représenter sans en rien détourner ny avoir connoissance qu’il ait été rien détourné sous les peynes de droit en tel cas introduittes qui luy ont été expliquées et données à entendre par ledit Billeheu, son confrère, présent les choses sujettes à estimation, prisées et estimées par sieur Michel Moreau, huissier commissaire priseur au Châtelet à Paris, paroisse Saint Michel, fait ladite prisée eu égard au cours du tems, aux formes et ainsy qu’il suit, le tout après que les scellez qui auroient été apposés sur ladite armoire en laquelle sont renfermés les effets de la succession de ladite dame, par le sieur Commissaire Glou[3] ont été par luy reconnu et levés, sans aucune description, ce jourd’huy en vertu des deux sentences du Chatelet des vingt deux octobre dernier et seize du présent mois de novembre, rendües au proffit de ladite damoiselle le Juge contre la dame veuve de Riberolles[4], tante de ladite dame le Juge et les sieur de dame Duperon de Castera[5], ladite dame cousine germaine de ladite damoiselle Le Juge, qui avoient fait apposer lesdits scellés, par laquelle sentence il a été fait main levée de ladite apposition et il a été ordonné que ledit sieur Commissaire Glou seroit tenu à la première formation de reconnoitre et lever ses dits scellés sinon a été permis à ladite demoiselle Le Juge de les briser et la seconde contre la veuve Giroux[6], oposante auxdits scellez qui a déclaré la première sentence commune avec elle, a fait main levée de son oposition et a ordonné que, conformément à la première sentence, ledit sieur Commissaire Glou seroit tenu à la première sommation de venir reconnoitre et lever ses dits scellés, sinon permis à ladite demoiselle Le Juge de les brises et après que lesdit sieur Commissaire Glou s’est retiré et ont signé,

 

Crevon – Moreau – Geoffroy – Billeheu

 

Premièrement une robbe de Raz de Sainte Maur noir, une robbe de damas broché fonds blanc, un jupon de taffetas flambé, un jupon de taffetas vert piqué brodé d’un galon d’argent, un jupon de satin vert piqué brodé d’un galon d’argent, un jupon de damas vert brodé d’un galon d’or, un jupon de taffetas cramoisy piqué garny d’une frange d’argent, une robbe de satin blanc par montée de damas broché fonds blanc, un manteau de lit de satin broché fonds blanc, et un corset sans manches de satin blanc brodé, prisés ensemble avec un jupon de toile rayée garni de baleine, la somme de deux cent livres cy……..IIC#

 

Item une coeffe et un mantelet de taffetas noir, deux paires de bas de soye, une paire de souliers de damas et une paire de mules aussy de damas, prisés ensemble la somme de sept livres cy……VII#

 

Item douze chemises de toile pleine, garnies de mouchettes de mousseline brodée et unie prisées ensemble la somme de vingt quatre livres cy….XXIII#

 

Item douze mouchoirs de toile blanche à bordures rouges, six paires de bas de fil et cotton, douze paires de chemisons de toile prisés ensemble la somme de dix livres cy….X#

 

Item deux jupons de dessous de toile de cotton et trois camisolles de futaine et de grenat prisés ensemble la somme de six livres cy…..VI#

 

Item quatre garnitures chacune à deux pièces garnies de dentelles à reseau et à brides, quatre fonds, quatre fichus, le tout de mousseline de différentes qualitez, vingt pièces qui sont garnitures, cornettes ou bonnet de nuit en toile de futaine garnies de mousseline et de dentelles et six bonnets piqués de toile de futaine prisés ensemble la somme de dix huit livres, cy………XVIII#

 

Ensuivent les papiers

 

Premièrement la grosse en parchemin d’un contrat passé devant de Beauvais et son confrère, notaires à Paris, le vingt six février mil sept cent vingt trois, par lequel messieurs les prévost des marchands et échevins de cette ville ont constitué à ladite feue dame Elisabeth de Gouy, lors épouse non commune en biens dudit sieur Rigaud, deux mille livres de rente viagère sur les aydes et gabelles, à prendre en celles créées par édit du mois de novembre mil sept cent vingt deux, en marge de laquelle grosse sont deux mentions de Perret, successeur dudit de Beauvais, la première de la réduction qui avoit été faite de ladite rente aux trois cinquième, et la seconde du rétablissement qui en a été fait à faire cens soixante six livres treize sols quatre deniers par an, suivant la déclaration du roy du vingt sept janvier mil sept cent vingt huir et l’état arreté au conseil en conséquence, dont un extrait a été déposé audit Perret, notaire, le huit février mil sept cent vingt huit, ladite grosse inventorié…..Un

 

Item la grosse en parchemin d’un autre contrat passé devant Gervais et son confrère, notaires à Paris, le dix sept décembre mil sept cent vingt trois par lequel messieurs les commissaires nommés par le roy a cet effet ont, en exécution de l’édit du mois de juillet mil sept cent vingt trois constitué à ladite feue dame Elisabeth de Gouy, épouse non commune en biens dudit sieur Rigaud, cinquante six livres de rente viagère sur les tailles, à prendre en celles créées par ledit édit de juillet mil sept cent vingt trois, en marge de laquelle grosse est une mention dudit Gervais, notaire, que ladite rente est réduitte à moitié à vingt huit livres par an, suivant l’édit de novembre mil sept cent vingt six, ladite grosse inventoriée……………Deux

 

Ne s’étant plus rien trouvé à inventorier, tout le contenu au présent inventaire est resté en la garde et possession dudit sieur Geoffroy audit nom qui s’en est chargé pour le tout représenter et le remettre à ladite dame Le Juge, quand et ainsy qu’il apartiendra, et ont, ledit sieur Geoffroy et Moreau, signé,

 

Geoffroy – Moreau

Crevon - Billeuheu

 

1699 - La famille Le Juge (Ottawa)

Portrait de Jean Le Juge, Élisabeth de Gouy et Marguerite Charlotte Le Juge du Coudray - 1699

Ottawa, musée des Beaux arts © d.r.

 


[1] Fille de Jérôme de Gouy, marchand bourgeois de Paris et de Marguerite Mallet.

[2] Domestique assigné à l’entretien courant de la maison Rigaud.

[3] Pierre Glou, commissaire honoraire au Châtelet (voir Scellés Y 15610 évoqué par Jules Guiffrey dans « Hyacinthe Rigaud peintre du roi et Marguerite-Élisabeth de Gouy sa femme », Scellés et inventaires d’artistes, Nouvelles archives de l'art français, 2e série, V, 11, 1884.

[4] Nicole de Gouy.

[5] Enfants de Geneviève-Angélique de Gouy et du sieur de Castrac du Péron. Le fils, Louis-Adrien du Perron de Castera (Paris, 1705 – Varsovie, 28 août 1752), sera résident de France à Varsovie, moine cistercien du couvent Santa Maria de Alcobaça au Portugal, et publiera des romans (Aventures de Léonidas et de Sophronie, 1722 ; Le théâtre des passions et de la fortune ou les Amours infortunés de Rosamidor et de Théoglaphire, 1731), une comédie (Le phenix, comédie en un acte, avec un Divertissement, par M. de Castera. Représentée pour la premiere fois par les Comédiens Italiens Ordinaires du Roi, le mardi 5. novembre 1731, Paris, Briasson, 1731) puis des traductions : Les amours de Leucippe et Clitophon / traduites du grec d'Achilles Tatius, avec des notes historiques et critiques, par Louis-Adrien de Perron de Castera (1733), La Lusiade du Camoens : poeme heroique sur la découverte des Indes Orientales (1735), Le Newtonianisme pour les dames ou entretiens sur la lumière, les couleurs et l’attraction, traduit de l’italien de M. [Francesco] Algarotti par M. DuPerron de Castera, Paris, Montalant (1738) ainsi qu’un volume de Théâtre espagnol, avec des fragments traduits de Lope de Vega (1738). On lui doit aussi une Histoire du Mont Vésuve, avec l'explication des phenomenes qui ont coûtume d'accompagner les embrasements de cette montagne. Le tout traduit de l'italien de l'Académie des sciences de Naples. Par M. Duperron de Castera, Dédié à Monseigneur le Dauphin, Paris, Huart, 1741. Voir Michaud, Biographie universelle, ancienne et moderne, Paris, 1814, XII, p. 264.

[6] Une demoiselle Saroy, veuve de Jean-Charles Giroux, bourgeois de Paris, qui avait fait opposition comme héritière de sa tante, Élisabeth de Gouy, le 23 mars 1743.

 

 

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