L'« Œuvre gravée de Rigaud » à Drouot
11 mars 2012
Frontispice de l'Œuvre de Hyacinthe Rigaud - 1741 © d.r.
Le 7 février dernier, la salle 9 à Drouot (Brissonneau) accueillait une vente dite « pour spécialistes », consacrée à des gravures de très belle qualité. De fait, le public présent, essentiellement composé de marchands et de fins connaisseurs[1], affichait un calme olympien à l’ouverture des hostilités.
Dès l’ouverture, les ouvrages bibliographiques furent peu disputés. Il fallut attendre les lots 47 et 48 (tableaux du roy reliés en maroquin) pour que l’on commence à sentir quelque fièvre. C’est pourtant la très belle série d’Odieuvre (lot 55) qui remporta la palme en doublant son estimation… talonnée par un bel exemplaire du plan de Turgot aux armes de la ville de Paris (lot 58), estimé 5000/6000 € et emporté à 9500 €…
La vente des estampes s’annonçait remarquable à bien des titres, réunissant une série tout à fait exceptionnelle de planches d’après Rigaud : 45 planches sur environ 317, un rapport notable de 14%.
Leur beauté, leur célébrité et leur importance dans le corpus de l’artiste faisaient espérer de belles enchères. D’ailleurs, Rigaud ne s’y était pas trompé, qui les avait réunies en 1741 dans son « Œuvre » gravée en 1741, et dont un exemplaire est aujourd’hui conservé à la bibliothèque de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts Paris (Inv. BIB 1439 in-Fol).
Laurent Cars d'après Rigaud - portrait de Sébastien Bourdon - 1733 © d.r.
Si les estimations étaient alléchantes et semblaient raisonnables, certains s’aperçurent très vite qu’il allait falloir débourser au moins 250 à 400 € pour remporter un exemplaire à grandes marges. On lorgnait ainsi, sur le Sébastien Bourdon (lot 102), feuille exemplaire qui servit de morceau de réception à Laurent Cars pour sa réception à l’Académie, en 1733, d’après un autoportrait du peintre montpelliérain que Rigaud possédait et qu’il avait « habillé » d’un drapé. Las… de 60 € on arrivait rapidement à 420 €… Le duc d’Antin, Berbier du Metz, Boyer d’Eguilles, Boileau, Hippolyte de Béthune, Brunenc ou Brulat de Sillery furent moins disputés. Une amateur jetait son dévolu sur quelques bustes de la série des peintres de l’académie tandis que certains chineurs, au nom d'enchérisseurs plus discrets et engaillardis par des premières enchères, passaient vite la main sur de plus belles pièces.
Un temps, il y eu confusion du commissaire priseur sur le lot 128 (l’archevêque de Rouen Colbert), qui faillit être vendu à la place du numéro précédent, beaucoup moins beau. Coislin fut cédé à 30 € et le prélat normand fit son estimation…
Pierre Drevet d'après Rigaud - portrait de Jacques-Nicols Colbert - 1699 © d.r.
Passèrent ensuite De Cote, Coysevox, Colbert de Croissy, De Lamet, Fine de Biranville, Girardon, d'Hozier… Une halte fut marquée à la planche figurant Dangeau (lot 156) qui doubla les 250 € demandés. Même réaction au jeune Guldenleu (lot 203), au Mansart (lot 206), à l’austère Montpensier (lot 275) et au splendide Mignard (lot 290), atteignant tous les 400/500 €. Le Louis XIV, dans son état « extrêmement rare » d’après Firmin-Didot (lot 264) laissa loin les 400€ de l’estimation basse pour rejoindre les sphères des 1100 €. Quant à la série des autoportrait de Rigaud (lots 328, 329, 330, 331, 332), ils ne déméritèrent pas. L'autoportrait dit « au manteau rouge » gravé par Edelinck était particulièrement beau.
Le nouvel acquéreur de la planche apprécia particulièrement les hommages que Rigaud y placa : l'évocation sur la feuille de papier roulée, au premier plan, du portrait de la famille de sa soeur (aujourd'hui au Louvre) et l'esquisse du portrait du prince de Conti sur le chevalet.
Gérard Edelinck d'après Rigaud - auportrait de Rigaud « au manteau rouge » (détail) - 1698 © coll. priv.
Une belle vente en somme au cours de laquelle tout le monde pouvait finalement repartir avec une estampe (même celles contrecolées et coupées pour un « encadrement XVIIIe » étaient fort belles), et ce, malgré l’absence remarquée des rares planches féminines de Rigaud. Seuls la mère de l’artiste (lot 347) et le petit ovale d’Élisabeth de Gouy dans l’autoportrait gravé par Daullé (lot 328) étaient représentés.
[1] Parmi lesquels on reconnaissait une certaine « censure » désormais bien connue…