Hyacinthe Rigaud - portrait de jeune femme - 1723 (détail) - Parme, collection privée © Milan Sotheby's images

Hyacinthe Rigaud - portrait de jeune femme - 1723 (détail) - Parme, collection privée © Milan Sotheby's images

Jolie énigme que ce portrait de femme passé en vente sans succès chez Sotheby's Milan le 8 jun 2010 (lot 38) à 20 000 / 30 000 € et reproposé ce 16 novembre (lot 58) à 10 000 / 15 000 €.

Le tableau était connu depuis quelques années, conservé dans une collection particulière à Parme. Rentoilé, l'œuvre a néanmoins gardé, collée sur la traverse haute, une ancienne signature d'atelier : fait par Hyacinthe Rigaud 1723.

Le Rigaud de Sotheby's Milan : la femme mystère

Passée l'excitation que peut procurer la redécouverte d'une nouvelle « image », ainsi que le témoignage constitué par cette ancienne signature, il faut bien considérer que Rigaud ne faisait pas toujours inscrire au dos de ses toiles les dates que l'on voit dans ses Livres de comptes ; lesquels correspondent aux paiements effectués, parfois plusieurs années après la production de l'œuvre. Si cet argument a été vérifié maintes fois, il ne faut cependant pas tomber dans le travers inverse et tenter coûte que coûte de faire correspondre un tableau avec un paiement, même à plusieurs années d’intervalle.

Hyacinthe Rigaud - portrait de jeune femme - 1723 - Parme, collection privée © Milan Sotheby's images

Hyacinthe Rigaud - portrait de jeune femme - 1723 - Parme, collection privée © Milan Sotheby's images

En effet, et malgré l'absence de portrait féminin en 1723 dans les livres de comptes de l'artiste (correspondant au prix de la posture adoptée, soit 500 livres), l'expertise de la vente Sotheby's a malgré tout trouvé dans le manuscrit « une mention qui pourrait tout à fait convenir » et qui fut alors privilégiée, en arguant que la date inscrite au dos du tableau était fausse. La thèse vise à mettre sur ce visage anonyme, celui de Charlotte de Fleury (1692-1757), dite « Charlotte Raisin », fille de Jean-Baptiste Siret dit « Raisin cadet » (1656-1693), comédien à l’Hôtel de Bourgogne et au théâtre Guénégaud lui-même fils de l’organiste Troyen, Siret.  Sa mère, Fanchon Lonchamps (v.1662-1721), dite « Françoise Pitel  » ou « Mademoiselle Raisin », fut une célèbre comédienne et maîtresse du Grand Dauphin...

Si la notice de la vente signalait que la modèle (avec les dates « ca. 1693-17... ») avait épousé « à l'âge de 30 ans en 1721 » Gérard Michel (1675-1750), seigneur de La Jonchère et de Vaucresson, nous savons grâce à des actes inédits du minutier Central, que c'est en 1707 qu'elle s'unit au trésorier général de l’ordinaire, de l’extraordinaire des guerres, des gendarmes et de l’ordre de Saint-Louis de 1704 à 1729 qui était connu pour ses malversations sous Louis XV et son embastillement.

Hyacinthe Rugaud : Portrait de Gérard Michel, seigneur de La Jonchère - 1721 - Château de Parentignat (coll. marquis de Lastic) © d.r.

Hyacinthe Rugaud : Portrait de Gérard Michel, seigneur de La Jonchère - 1721 - Château de Parentignat (coll. marquis de Lastic) © d.r.

Le portrait de Monsieur de La Jonchère, effectivement conservé au château de Parentignat dans les collections du marquis de Lastic, a très tôt été publié par Dominique Brème en 1996 dans un article consacré au château (L'Estampille l'objet d'art) puis dans le catalogue de la récente exposition consacrée à Georges de Lastic (Ed. N. Chaudin, 2010, p. 160-1). Pour « cadrer » avec l’identification du portrait de la vente milanaise, l’identité du grand portrait auvergnat a même été remise en question, sur la base d’une différence de prix : La Jonchère aurait dû payer 3000 livres une attitude jusqu'aux genoux au lieu des 1500 portées aux Livres de Comptes. Le véritable portrait du trésorier serait donc un ... buste. 

Hyacinthe Rigaud - portrait de jeune femme - 1723 (détail) - Parme, collection privée © Milan Sotheby's images

Hyacinthe Rigaud - portrait de jeune femme - 1723 (détail) - Parme, collection privée © Milan Sotheby's images

Toutefois, le portrait du cardinal de Polignac, peint en 1715 jusqu'aux genoux ne coûta que... 1000 livres. Les portraits du cardinal Dubois et du cardinal de Saint-Albin (1723) coûtèrent effectivement 3000 livres mais les modèles sont pour l'un ministre et l'autre fils légitimé de France... Même réflexion pour les tableaux de grande envergure confectionnés dans l'intervale 1715-1723 : Guillaume de Lamoignon de Blancmesnil, chancelier de france (1716)...  Le grand portrait du président de Gueidan, en habit rouge (malgré les repeints et les transformation entre 1719 et 1725 (dont la genèse est fort justement exposée par A. James-Sarazin dans « La place du dessin dans l’œuvre d’Hyacinthe Rigaud », XVIIe rencontres de l’Ecole du Louvre, dessins français aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, mars 2003, p. 258-287) ne coûta que 1000 livres... Celui de Peder Benzon Mylius, juge de la haute cour de Copenhague fit le même prix en 1721 alors qu'il est figuré jusqu'aux genoux. Difficile donc d'être catégorique concernant les variation de prix chez Rigaud...

L'aspect de cette nouvelle Madame de La Jonchère depuis 1714, pose également problème : elle aurait eu, en 1723 (ou 1721) une trentaine d'années ce qui cadre mal, selon nous, avec la jeunesse du présent visage (Dominique Brème ne partageant pas non plus l'expertise faite à l'occasion de la vente milanaise). De plus, le rameau d'oranger dans les cheveux, symbole de la fécondité et d'un récent mariage, ne peut s'accorder avec la date de 1723 ni même de 1721...

Hyacinthe Rigaud - portrait de jeune femme - 1723 (détail) - Parme, collection privée © Milan Sotheby's images

Hyacinthe Rigaud - portrait de jeune femme - 1723 (détail) - Parme, collection privée © Milan Sotheby's images

Charlotte Raisin se fit portraiturer quant à elle en 1719 contre 1500 livres, somme importante qui correspond à une posture tout à fait originale, avec au moins les mains de visibles, ce qui n'est pas le cas ici. La femme de chez Sotheby's, présente un habillement caractéristique des années 1720/1730, à une époque où l'on retrouve d'autres exemples de ce type (mais répétés) comme le portrait de Marie-Catherine Geneviève Grimaudet de Coëtcanton, née Boucher, peint en 1738 et vendu en novembre 2008 par la maison Daguerre

Le mystère reste donc entier car, comme certains spécialistes nous l'ont parfois fait remarqué, « on se gardera bien de conclure » trop hâtivement...

Retour à l'accueil