Sous le numéro 111 était vendu par Tajan, le 20 octobre dernier, une jolie version en buste du célèbre portrait d’Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, abbé de La trappe, peint par Rigaud entre 1696 et 1697, et dont nous avons rappelé la genèse dans un article Wikipedia.
Passée une première fois à l'hôtel des ventes de Bayeux, le 11 novembre 2007 (lot 35 : 1900 €), cette huile sur toile (81 x 64,5 cm), portait une ancienne étiquette au revers de la toile : « Portrait peint par Hyacinthe Rigaud / acheté à la vente de la galerie / de tableaux du Général Comte Despinoy, / inscrit au catalogue sous le n°859 ». Elle fut ensuite proposé à la vente à Drouot par l'étude Tajan le 14 décembre 2009 (lot 71) mais ne trouva pas preneur. Estimée à nouveau dans les 1500 €, elle faisait cette fois honorablement 2168 €.
Mais, selon nous, le véritable attout de la vente était de proposer une production de l’un des plus précieux aides de l'atelier de Rigaud à partir de 1698 : Adrien Leprieur (1671-1732), souvent orthographié « Prieur » dans les livres de comptes de son maître.
À regarder les vêtures et les poses adoptées par Leprieur, on mesure la dette de l’artiste envers son maître dont il a repris l’entier vocabulaire. S’il n’en possède cependant pas la souplesse (notamment dans les perspectives et le visage), Leprieur est un artiste à redécouvrir, important dans la compréhension du travail de l’atelier de Rigaud. Au travers de tableaux et d’actes d’archives inédits, nous reviendrons prochainement sur sa carrière et sa filiation stylistique dans un article que nous lui consacreront en introduction de notre catalogue raissonné des œuvres de Rigaud, à paraître en 2013. En attendant, un certains nombre d’actes avaient déjà été relevés et publiés par de précédents historiens.
Il n’était en effet pas étonnant au chercheur de rencontrer dans les liasses du notaire Louis Billeheu, ami et fidèle de Rigaud, la présence de Leprieur. Dans son fabuleux corpus intitulé Documents inédits sur les artistes français du XVIIIe siècle conservés au Minutier central des notaires de la Seine aux Archives Nationales (Paris, 1966), Georges Wildenstein avait ainsi relevé page 95 plusieurs actes intéressants concernant Leprieur.
Le 21 novembre 1713, Augustin Bourjat, marchand bourgeois de Paris, en compagnie de Catherine Leprieur, sa seconde épouse et sœur du peintre qui demeurant rue Saint-Germain l’Auxerrois, avait ainsi passé une obligation à « Adrien Leprieur, peintre à Paris, rue des Déchargeurs », de la somme de 500 livres en remboursement d'un prêt (Paris, arch. nat., MC, ET/LIII, 156).
Le 19 février 1714, l’artiste donnait à son tour quittance à Claude Lebas de Montargis, garde du trésor royal, d’une somme de 3000 livres pour remboursement de 150 livres d’une rente (Paris, arch. nat., MC, ET/LIII, 158), et, le 28 avril 1714, le peintre, absent de Paris, faisait enregistrer par ses notaires une constitution de 132 livres de rente au principal de 3300 livres, à prendre sur les Aydes et Gabelles (Paris, arch. nat., MC, ET/LIII, 160).
Wildenstein toujours, dans son ouvrage intitulé Rapports d'experts 1712-1791: Procès-verbaux d'expertises d’œuvres d’art extraits du fonds du Châtelet, aux Archives Nationales, Paris, Beaux-arts, 1921, p. 27-28, avait également déniché et publié un rapport d’experts très intéressant, passé au Châtelet de Paris le 18 juin 1735, soit plus de huit mois après la mort du peintre. Il présentait l’originalité de réunir deux autres artistes qui connurent bien Rigaud : le peintre Pierre-Jacques Cazes (1676-1754), qui fut notamment chargé comme recteur de l’Académie de retirer en 1744 le portrait de Mignard légué par le Catalan à l'Institution et le peintre-sculpteur André Tramblin (m. 1742), professeur à l’Académie de Saint-Luc, chargé en 1739 de confectionner une bordure à une copie du portrait de Louis XV par Rigaud, faite par Stiémart (Bruno Pons, « Les cadres français du XVIIIe siècle et leurs ornements », Revue de l’art, 1987, n°76, p. 52).
Le rapport établissait de manière irrévoquable la préséance du talent de Leprieur sur les réclamations du plaignant, montrant par là la réputation dont il pouvait jouir :
« Rapport d’expert dressé par Pierre-Jacques Cazes, peintre ordinaire du roi et André Tremblain, maître peintre, du portrait du sieur Blot, ancien notaire, peint par le feu Leprieur, pintre de l'Académie de Saint-Luc, portrait que lesdits experts, nonobstant une légère fracture, estiment recevable (18 juin 1735, Paris, arch. nat., Y1900).
L’an mil sept cent trente cinq, le dic huit de juin onze heures du matin, nous, soussigné, Pierre jacques Cazes, peintre ordinaire du roy en son Académie royalle de peinture et sculpture, et sieur André Tramblain, maître peintre à Paris, nous sommes transportez pour répondre à la sommation qui nous a esté faite le dic sept de ce mois, à la requête de la damoiselle veuve Leprieur, à l'audience du présidial du Chastellet de Paris, où, après avoir presté le serment ordinaire, nous nous sommes transportés, au désir de la mesme sommation, en la maison de la dite demoiselle veuve Leprieur, size à Paris, rue des Deschargeurs, paroisse Saint-Germain de l'Auxerrois, où, après avoir pris lecture d'une sentence contradictoirement rendue entre ladite damoiselle veuve Leprieur et le sieur Blot, ancien notaire à Paris [probablement Antoine II Bélot, en fonction rue des Arcis jusq'en 1725], le sept du présent mois de juin dûment signée, scellée et signifiée, dont copie a esté donnée en teste de nostre sommation, par laquelle monsieur Guéret des Voisins, lieutenant particulier, a ordonné que le tableau représentant le sieur Blot, fait par le feu sieur leprieur, peintre de l'Académie de Saint Luc, seret veu et visité par nous, à l'effet de constater sy le portrait dont est question est crevé dans le millieu du visage et racomodé avec de la cite et sy cette crevasse le rend deffectueux. Et, pour satisfaire à la sentence et sommation susdatée, nous avons veu et visité le portrait dont est question, qui nous a esté à l'instant représenté par ladite damoiselle veuve Leprieur. Et après l'avoir mûrement examiné et relu une seconde fois la sentence, du sept du présent mois, nous avons trouvé derrière ledit portrait un peu de cire rouge, qui nous a paru n'avoir esté mise que pour soutenir une petite fracture à costé du menton, quy est imperceptible, et ne porte aucun domage à la figure et que nous n'estimons pas estre une deffectuosité. En foy de quoy nous avons signé le présent, pour servir et valloir ce que de raison, et avons requis vaccation.
CAZES. A. TRANMBLIN. »
Pour notre part, nous avons pu identifier dans la série Y des Archives Nationales, l’acte de tutelle demandé par la mère de Leprieur, Jeanne Grandjean, le 4 janvier 1690, devant Le Camus, suite à la mort d’Henry Leprieur, maître tapissier, père du jeune homme qui était alors âgé de 19 ans « ou environ ».
Furent présent comme témoins Louis Coignard, marchand de Cire d’Espagne (et non pas marchand de tissu d’Espagne comme il est retranscrit sur le site Geneanet), « beau-frère à cause de Catherine Leprieur sa femme », laquelle était la sœur du peintre. On y trouvait également Jean-Baptiste Anguerrand, marchand tapissier, cousin issu de germain paternel, Nicolas Danicourt, maître Bourelier, Jacques Gaseigne, tailleur d’habits, Jacques Bully, maître serrurier, Jean Delorme, maître charon, François Boullard, maître peintre, tous amis.