« S’il y a jamais eû quelqu’un d’heureux sur la terre, c’était sans doute le cardinal de Fleury. On le regarda comme un homme des plus aimables & de la société la plus délicieuse, jusqu’à l’âge de soixante et treize ans ; & lorsqu’à cet âge, où tant de vieillards se retirent du monde, il eut pris en main le gouvernement, il fut regardé comme un des plus sages. Depuis 1726 jusqu’à 1742, tout lui prospéra. Il conserva jusqu’à près de quatre-vingt-dix ans, une tête saine, libre, & capable d’affaires ». Ainsi parlait Voltaire, dans son Siècle de Louis XIV...

 

C'est en 1728 que le  cardinal de Fleury commande à Hyacinthe Rigaud une extrapolation très ostentatoire du buste qu'il avait payé 150 livres en 1706 (Roman, 1919, p. 121, 127). Cette fois-ci il débourse 3000 livres. Une version de ce nouveau portrait passe en vente ce 10 décembre 2010 chez Millon et Associés (huile sur toile, 116 x 95,5 cm, lot 9).

 

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Suiveur de Hyacinthe Rigaud - Portrait du cardinal de Fleury (v. 1728) - © Millon svv

 

La version de la vente Millon est légèrement tronquée par rapport à l'original aujourd'hui non localisé, mais dont la meilleure version est conservée à la Goodwood House de Londres (Huile sur toile, H. 158 ; L. 132 Anciennement au château d’Aubigny après la mort de Louise de Keroualle, duchesse de Portsmouth et d’Aubigny, maîtresse de Charles II, voir Chefs d'œuvre de Goodwood, collections des ducs de Richmond et d’Aubigny, The Foundation Mona Bismarck, Paris, 1992, p. 37-38, repr. p. 38.). 

 

1727 - André-Hercule de Fleury (Goodwood House)

 

Hyacinthe Rigaud - Portrait du cardinal de Fleury (v. 1728) - © Londres, Goodwood House

 

Entre 1728 et 1735 nombreuses furent les commandes de copies en buste, passées à l'atelier de l'artiste, telle celle du musée de Lodève, et d'autres, pour certains commenditaires dont nous conservons les noms :

 

- « Une copie de Mr l. Cl de Fleury pour Mr Bernard [1] » pour 300 livres (1728).

- « Seconde copie de Mr l. Cl pour Bloüin » pour 300 livres (1728).

- « Troisième copie de Mr l. Cl pour le marquis de Pezé [2] » pour 300 livres (1728).

- « Quatrième copie de Mr l. Cl pr Mr l. premier [sic] » pour 300 livres (1728).

- « Cinquiesme de Mr l. Cl pour Mr de Contade [3] » pour 300 livres (1728).

- « Sixième copie de Mr l. Cl pour Mr d’Argenvillier, ministre de la guerre [4] » pour 300 livres (1728).

- « Septième copie de Mr l. Cl de Fleury pour Mr le comte de Zuisindorf [5] » pour 300 livres (1728).

- « Huitième copie de Mr l. Cl pour Mr le marquis du Muy [6] » pour 300 livres (1728).

- « Neuviesme copie de Mr l. Cl pour Mr l’archevêque de Paris [7] » pour 300 livres (1728).

- « Dixième pour Mr l’abbé Brissart » pour 300 livres (1728).

- « Une de Mr le cardinal pr. mr le comte de Sinzendorff » pour 300 livres (1729).

- « Une de Mr le cardinal de Fleury pr. Milord Waldegrave, ambassadeur d’Angleterre  [8]» pour 300 livres (1734).

- « Deux de Mr le cardinal de Fleury p. milord Wualdegrave » sans prix (1735).

 

Une autre version en pied issue du cabinet du roi fut offerte par Fleury en 1731 aux autorités Suédoises et est conservée au Nationalmuseum de Stockholm (Inv. NM 884). Pour notre part, nous avions publié la version de Versailles (Perreau, 2004, p. 216, repr. p. 217), également oeuvre du cbinet du roi, et plus particulièrement de François-Albert Stiémart (1680-1740), qui en avait fait son morceau de réception à l'Académie Royale (voir C. Constans, Catalogue des peintures de Versailles, 1995, II, p. 843, n°4770).

 

Ce nouveau portrait du cardinal de Fleury est autant une glorification du statut du principal ministre de Louis XV qu’une commémoration de la nomination, en 1726, du prélat au titre de cardinal. Rigaud a simplement repris ici les traits de l’ancien évêque de Fréjus peints 22 ans plus tôt pour les adapter au sein d’une composition ronflante de grande envergure, à mi-corps, proche de celle utilisée pour le portrait du cardinal Dubois en 1723 (Cleveland Museum of Art, Inv. 1967.17).


Le modèle est ainsi représenté assis dans un large fauteuil aux accoudoirs décorés de feuilles d’acanthes ; meuble ayant sans doute appartenu au peintre car on le retrouve à maintes reprises sur les portraits produits à partir de 1720. Son dossier ouvragé fait écho à la richesse du décorum et à la verve des drapés de la robe rouge sang du cardinal. Fleury croise ses mains sur son couvre-chef et pose dans un environnement probablement imaginaire fait d’un mur à pilastres au fond, séparé du premier plan par une bordure de pierre sur laquelle vient se déposer en cascade un lourd rideau doublé de brocart. Allusion à ses fonctions ministérielles, une table que l’on devine à droite supporte quelques missives, un nécessaire à écriture et cinq livres ayant sans doute trait à la politique. Toute à fait ostentatoire, cette effigie connaîtra un vif succès, comme en témoigne les nombreuses copies et réduction en buste réalisées par l’atelier jusqu’en 1735. 

 

Né à Lodève le 22 juin 1643 de Jean de Fleury, sieur de Dio, receveur des tailles à Lodève et de Diane de la Treilhe de Fozières, André-Hercule de Fleury cumula les titres de cardinal, ministre d’Etat et gouverna la France durant près de 17 ans. Issu d’une famille noble mais de petite position, son père était receveur des décimes. Fleury se hissa grâce à de nombreuses protections. Le cardinal de Bonzi, bienfaiteur de la famille, le fait nommer aumônier du roi et l’archevêque de Paris obtient pour lui, l’évêché de Fréjus (1700). C’est sous couvert de ce dernier poste, que, le 6 mai 1714, il publie un mandement approuvant de manière chaleureuse la bulle Unigenitus. Cette prise de position lui vaut la faveur royale et le 23 août 1715, Louis XIV le nomme précepteur du Dauphin. Il exerce cette charge pendant six ans (de 1717 à 1723). Naturellement bon (selon Luynes), de tempérament doux et amène, de conversation agréable, le précepteur attire la sympathie. Le roi se prend d’affection pour lui et le Régent le regarde d’un œil favorable. L’ascension politique de Fleury commence… En 1720, il entre au Conseil des affaires ecclésiastiques. En 1723, il est nommé ministre d’Etat. En juin 1726, il devient principal ministre, sans en accepter le titre. La même année, il est fait cardinal. Il a 73 ans. Il va gouverner avec une très ferme autorité. Luynes comme Saint-Simon parlent de despotisme. Fleury est mort à Issy, le 29 janvier 1743.

 

 


1) Samuel Bernard, comte de Coubert.

2) Hubert de Courtavel (1680-1734), marquis de Pézé.

3) Georges-Gaspard de Contades (1666-1735), brigadier, gouverneur de Schelestadt (1715), lieutenant général, gouverneur de Beaufort (1721), de Guise (1727).

4) Nicolas Prosper Bauyn d’Angervilliers (1675-1740), intendant du Dauphiné, secrétaire d’Etat à la guerre en 1728.

5) Joseph Wenzel von Sinzendorf.

6) Jean-Baptiste de Félix, premier marquis du Muy (1697), conseiller au parlement (1699).

7) Louis-Antoine de Noailles, cardinal.

8) James Waldegrave. 

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