Hyacinthe Rigaud, portrait de jeune homme, v. 1680 (détail). Paris, commerce d'art © Lemoine svv

Hyacinthe Rigaud, portrait de jeune homme, v. 1680 (détail). Paris, commerce d'art © Lemoine svv

Dès la mise en ligne par la maison Lemoine enchères de leur vente prévue le 23 juin prochain à Paris, de l’entier mobilier d’un château français, nous avions été intrigués par un portrait d’homme « en perruque et jabot », donné à l’école française vers 1720 mais dont la facture résonnait étonnamment Rigaudienne. La simplicité de la pose ainsi que son cadrage très serré, laissant la physionomie à sa plus pure expression, n’étaient pas sans rappeler en effet les productions de la toute jeunesse du Catalan, celles où l’artiste se cherchait encore, ne peaufinait pas ses drapés mais mettait toute son attention dans la ressemblance de son modèle.

Hyacinthe Rigaud, portrait de jeune homme, v. 1680 (détail). Paris, commerce d'art © Lemoine svv

Hyacinthe Rigaud, portrait de jeune homme, v. 1680 (détail). Paris, commerce d'art © Lemoine svv

 

On avait ainsi à l’esprit le pétillant portrait présumé de Vincent Sarazin, peint en 1685[1] ou ceux non moins spirituels, de deux anonymes, l’un vendu dernièrement par l’hôtel des ventes d’Alençon après avoir été vu chez Tajan en 2006[2], l’autre anciennement sur le marché des galeristes d’art Lyonnais[3]. Ici, la vêture du modèle semblait plus simple encore, plaidant pour une datation extrême, au tout début de l’arrivée de Rigaud à Paris, en 1681, voire même peut-être avant puisque l’on sait que le peintre s’était déjà fait une clientèle lors de son séjour lyonnais.

Hyacinthe RIgaud, portrait présumé de Vincent Sarazin, 1685. Perpignan, coll. priv © photo Stéphan Perreau

Hyacinthe RIgaud, portrait présumé de Vincent Sarazin, 1685. Perpignan, coll. priv © photo Stéphan Perreau

 

Comme il était de ton de rester prudent sans avoir vu l’œuvre, (il pouvait en effet s’agir d’un pastiche réalisé par un autre peintre que Rigaud) nous réservions notre jugement jusqu’à l’obtention d’une photo haute définition. Ayant reçue celle-ci le 29 mai, l’examen confirma notre sentiment premier. Bien que fort chanci dans le vernis qui l’avait rendu opaque, empêchant ainsi toute lecture correcte des détails du vêtement, et malgré de multiples craquelures dans le même vernis, la manière évanescente qu’avait Rigaud de traiter ses perruques, dès 1680-1681 était bien là. Le modelé des boucles était certes encore un peu simple, mais la fluidité du coloris ne faisait aucun doute. Même constat dans les carnations du visage, particulièrement soignées dans les joues du modèle. Si un nettoyage devenait  nécessaire, pour percevoir si la bouche et les yeux allaient tenir la promesse d’un artiste soucieux de la correction du dessin, le sentiment premier que nous avait insufflé le tableau semblait se muer en une intime conviction que seule, pourtant, une future restauration allait pouvoir entériner.

 

Hyacinthe Rigaud, portrait de jeune homme, v. 1680 (détail du chanci en lumière crue). Paris, commerce d'art © Lemoine svv / Stéphan Perreau

Hyacinthe Rigaud, portrait de jeune homme, v. 1680 (détail du chanci en lumière crue). Paris, commerce d'art © Lemoine svv / Stéphan Perreau

 

Compte tenu de l’estimation basse donnée pour ce tableau lors de sa prochaine vente, nombreux sont les amateurs qui auraient pu acquérir à moindre frais un petit tableau inédit. C’est pour préserver le jeu des enchères que nous réservions notre expertise mais, hélas, depuis hier, l’œuvre, victime d’une course à la primo-découverte, est passée officiellement d’anonyme à Rigaud potentiel.

 

Il faudra sans doute rappeler que l’historien a, sans nul doute, une certaine responsabilité dans la valeur finale des œuvres du marché. Si rédiger une notice fournie sur un tableau déjà connu ne lui apporte finalement que peu de plus-value (excepté le cas du fabuleux cardinal d’Auvergne qui a fait récemment, de manière inattendue, le record mondial du peintre[4]), identifier une œuvre anonyme avant sa vente, et donc la surclasser, a des conséquences directes auprès des marchands et des commissaires priseurs. C’est sans doute pour cela que les historiens aguerris et la plupart des conservateurs savent maintenir en amont ce devoir de réserve. Sinon, intérêts commerciaux et égo du chercheur se confondent.

 

Il y a peu encore, on voyait par exemple le cas de la très belle version « en petit » du Louis XIV en costume royal, pourtant passée plusieurs fois sur le marché, vue par tous aux moments forts de Drouot sans qu’aucun ne s’en émeuve. Acquise finalement à frais raisonnables par le marché d’art parisien, elle trouva, à la veille de sa présentation à la TETAF, une estampille si illustre que nombreux sont ceux qui s’étonnent encore du peu de preuves d’archives venues à l’appui de cette conclusion. Si tous se réjouiront que l’œuvre, d’une indéniable qualité fasse aujourd’hui le bonheur justifié du musée des Beaux-arts de Montréal, personne n’ose imaginer, à la lecture du nombre de mécènes qu’il fallut rassembler pour son acquisition, la joie non moins grande que le tableau « estimé modello officiel » procura au vendeur.

On espère donc que notre jeune homme ne subira pas pareil sort et qu'il pourra, comme la belle étude de Christ que nous avons revue la semaine dernière, faire le bonheur d'un amateur plutôt que d'un marchand.

 

 

C'est finalement au terme d'un suspense que d'aucun auraient pu juger insoutenable que l'estimation initiale du tableau donnée par la maison Lemoine à finalement refait surface. A quelques jours de la vente on se demandait en effet pourquoi en public n'était finalement pas informé de la valeur du bien qu'il était susceptible d'acheter. 

 

Il faut dire que le prix initial de 600 à 800€ avait de quoi séduire les amateurs les plus modestes ce qui n'était pas sans un bon état d'esprit. Comme on s'en doutait donc, la requalification par Madame James-Sararin du tableau avant sa vente comme œuvre autographe de l'artiste a eu l'effet pervers que l'on connaît : Le tableau est désormais affiché à 6000/8000€ ce qui le destine donc à une toute autre catégorie d'acheteurs. 

 

Si l'on souhaite se persuader que cette identification aussi désintéressée que spontanée a sans doute été motivée par l'intérêt unique de la recherche et de son apport à l'histoire de l'art, on ne peut que déplorer qu'elle intervienne en amont d'une vente lucrative, mâchant le travail d'une société de vente qui, grâce à cette expertise (*) venue à point nommée, va multiplier par 10 la valeur de ce bien joli portrait.

 

(*) expertise dont on ne sait pas grand chose pour le moment outre quelques photographies retouchées visant à supprimer les défauts du tableau dont le cadre à, depuis ses cimaises d'origine, subi des dommages. Un nouveau prix ayant été trouvé, les lecteurs et le public restent donc tenus en haleine de nouveaux clichés inédits et d'informations qui ne le seront sans doute pas moins pour la connaissance de l'art. Mais cela n'aurait il pas pu attendre l'après vente ? 

 

mise à jour du 15 juin 2017


[1] Perreau, 2009, p. 62 ; James-Sarazin, 2009/2, n° 38, p. 114, 118 ; Perreau, 2013, cat. P.75, p. 70

[2] Perreau, 2009, p. 62 ; Perreau, 2013, cat. P.6, p. 63

[3] Perreau, 2009, p. 62 ; Perreau, 2013, cat. P.5, p. 63.

[4] Mais le tableau, il est vrai, n’avait jamais connu le marché. Unique, d’une grande qualité et d’un intérêt historique certain, il était daté et signé par l’artiste.

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