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Gaspard Rigaud (?) - Portrait d'un abbé © S. Perreau

 

Le très joli portrait dit « d'intellectuel », proposé demain à la vente Millon (17 juin 2011, lot. 9, huile sur toile, H. 100 ; L. 80 cm), est un très intéressant spécimen de la diffusion de l'art de Hyacinthe Rigaud.

 

Ici, le personnage qui porte la soutane et, par dessus, un manteau court d'hiver en hermine, pose la main sur un volume d'une vie de Saint (?), lui même posé sur un bureau où s'accumulent papiers et livre contenant des signets. A l'arrière fond, une bibliothèque apparaît derrière une colonne et un lourd rideau, appuyant les qualités sinon littéraires du moins scripturaires du sujet. On aurait pu croire à un laïc mais ici, la soutane (aussi, il est vrai, revêtue par les avocats au parlement) associée à la tranche du livre et les cheveux portés « au naturel » plaide pour un prêtre ou, davantage, un confesseur ou prédicateur.

 

L'aspect un peu gauche du décor ou des accessoires ainsi que les quelques soucis évidents de perspective (dans le bureau et les livres) ou d'anatomie (bras un peu court et visage légèrement déformé), écartent une attribution à Rigaud. Dans ces probables années 1700, l'artiste d'origine catalane approchait déjà l'excellence et ne souffrait pas l'à peu près.

 

Cependant, l'aspect extrêmement « fini » des mains, aux longs doigts allongés et sophistiqués, confine à l'art de Hyacinthe. Le regard également, pénétrant et presque intime tout de douceur, pourrait faire penser à un très proche collaborateur comme Jean Legros, dont on ne connait que les morceaux de réception à l'Académie, peints d'ailleurs sous la conduite de Rigaud. Mais ce que l'on connaît de cet artiste est un peu sec, sans vrai sentiment.

 

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Gaspard Rigaud - Portraits du marquis et de la marquise de Rocheblave (1698) - Paris, coll. priv.  © d.r

 

Par contre, Gaspard Rigaud pourrait être une piste plus plausible. On pense ainsi au portrait présumé de Jean-Joseph de Rastel, vicomte de Rocheblave, que Macé de Lépinay avait publié dans son article essentiel sur le frère de Hyacinthe (François Macé de Lépinay, « Un peintre méconnu : Gaspard Rigaud, frère de Hyacinthe, quatre portraits retrouvés », Bulletin de la Société de l'Histoire de l'Art français, 1972, p. 97, fig. 2). On y retrouve le même regard doux, la même indolence excusée. Même constatation dans l'effigie de l'évêque d'Alet, Charles-Nicolas Taffoureau de Fontaine, dont seule la gravure de Chéreau nous garde le souvenir.

 

Un autre portrait d'homme, anciennement dans la Galerie Marcus à Paris en 1986, n'est pas sans rappeler la posture de notre « intellectuel » (huile sur toile, H. 126 ; L. 95 cm).

 

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Gaspard Rigaud - Portrait d'un homme de cour (v. 1701) © d.r

 

Cependant l'artiste signait presque toujours « fait par Rigaud le jeune », par un soucis évident de se démarquer d'avec son aîné.... Un bel exemple est réapparu dans une vente chez Christie's Paris, le 22 juin 2005 (lot. 73). L'ovale proposé, daté et signé au dos « fait à Paris gas...r Rigaud Le jeune 16[9]6 », figurait un homme assez jeune, dans cette attitude caractéristique de Gaspard, un peu figée mais tendre. Nous avions vu la toile dès 1997 lorsque l'ancien collectionneur nous l'avait signalée.

 

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Gaspard Rigaud - Portrait d'un homme  (1696). Rome, collection particulière © Stéphan Perreau

 

La technique dont faisait preuve le fils cadet de la famille Rigaud, ancien élève d'Antoine Ranc, est très proche de celle de son futur gendre, Jean Ranc, en cette année 1696 où le Montpelliérain était désormais installé à Paris et où Hyacinthe peint le portrait d'Antoine et offre son autoportrait à Jean...

 

Aussi, tant de collaborateurs d'Hyacinthe nous sont encore inconnus que le portrait de la vente Millon pourrait bien revenir à l'un d'eux plutôt qu'à Gaspard Rigaud dont il emprunte cependant la mélancolie.


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