Saint Simon La Flèche (détail)

École française du 18e siècle d’après Hyacinthe Rigaud. Portrait de Claude de Saint Simon, évêque de Metz (détail) © cabinet Turquin

 

Ce 10 novembre, à l’hôtel des ventes de La Flèche, est proposé aux enchérisseurs une belle version réduite du portrait peint par Rigaud de l’évêque de Metz, Claude de Rouvroy de Saint-Simon (1695-1760)[1]. L’original, conservé au musée des Beaux-arts de Grenoble depuis 1800[2], n’est pas listé dans les livres de comptes de l’artiste mais sa qualité en fait une œuvre indubitablement autographe.

 

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Hyacinthe Rigaud. Portrait de Claude de Saint Simon, évêque de Metz - v. 1733.

Grenoble, musée des Beaux-arts © musée de Grenoble

 

Fils du marquis Eustache-Titus de Saint-Simon (1654-1712) et de Claire-Eugénie d’Auterive, Claude de Rouvroy de Saint-Simon naquit le 10 septembre 1695. Il appartenait ainsi à la branche aînée de la famille et se trouvait être le cousin du célèbre mémoraliste Louis de Rouvroy, duc de Saint Simon (1675-1755), son aîné de vingt ans à qui il dut d’ailleurs sa carrière et qu’il suivit dans ses déplacement en Espagne. Baron de Jouy-Trouville, seigneur et patron de Quillebeuf et de Falvy-sur Somme, Saint-Simon fut tonsuré le 16 mars 1710. Son cousin lui obtint rapidement l’abbaye de Jumièges, ainsi qu’en attestent ses Mémoires à l’année 1715 :

 

« J’avais représenté à M. le duc d’Orléans [le Régent] la triste réputation de la branche aînée de ma maison et je l’avais supplié de donner au jeune abbé de Saint-Simon, qui avait près de vingt ans une abbaye dont il pût aider ses frères, parce que je n’aime pas la pluralité des bénéfices. Il lui donna Jumièges […] »[3].

 

La fameuse abbaye normande, de l’ordre de Saint Benoît au diocèse de Rouen, était en effet vacante depuis 1695 et était demeurée en économat. Claude de Saint Simon, qui était alors clerc tonsuré du diocèse de Paris, fut donc nommé par le Régent le 20 janvier 1716. Après avoir obtenu ses bulles du pape Clément XI le 5 mars 1719, il prit possession de son siège par procureur le 30 avril de l’année suivante. Le jeune abbé de 20 ans était, selon divers chroniqueurs, résolu à s’enrichir aux dépends des religieux de l’abbaye :

 

« Comme l’abbé de Saint-Simon, qui n’était que le sixième enfant du marquis de ce nom, avait peu de patrimoine, quoiqu’il fût resté seul avec le cinquième de ses frères, qu’il obligea même, malgré les réclamations de sa mère, d’entrer dans l'ordre de Malte après la cassation de ses vœux parmi les chanoines réguliers de Saint-Augustin, en l’abbaye de Saint-Victor à Paris, il ne s’appliqua uniquement qu’à s’enrichir des biens de Jumièges[4]. »

 

Après avoir mené à bien sa « mission » avec un zèle tout particulier, Claude de Saint-Simon fut nommé en juillet 1731 à l’évêché de Noyon, constitué d’un comté et d’une pairie de France « qui fut préconisé & proposé pour lui à Rome le 3 septembre 1731 & le 7 ami 1732 » nous avoue le Supplément au Grand dictionnaire de Moreri[5]. Sacré le 15 juin de la même année dans l’église du noviciat des Dominicains de Paris par Louis de La Vergne de Tressan, archevêque de Rouen, assisté des évêques d’Uzès et de Bayeux. Le 12 janvier 1733, Saint-Simon prit séance au parlement de Paris en qualité de pair de France, après avoir fait le serment accoutumé. Le 18 août, il fut transféré à l’évêché de Metz « qui fut préconisé & proposé pour lui à Rome le 2 décembre 1733 & 15 février 1734, & pour lequel il prêta serment entre les mains du roi le 14 mars suivant ».

 

Saint Simon La Flèche

École française du 18e siècle d'après Hyacinthe Rigaud. Portrait de Claude de Saint Simon, évêque de Metz © cabinet Turquin

 

En avril 1739, son cousin et célèbre mémoraliste écrivait à l’abbé Gualtiero, inquisiteur à Malte, combien il estimait parentson  : « Vous savez, Monsieur, que j’ai toujours regardé Monsieur de Metz et le bailli de Saint-Simon son frère comme mes enfants »[6].

 

Claude de Saint Simon mourut à Metz le 29 février 1760 et son portrait sombra dans l’anonymat avant de réapparaître à l’aube du XIXe siècle[7]. C’est probablement entre 1731 et 1733 que le modèle sollicita l'artiste, à une époque où il quitta l’état de simple abbé et où il souhaita marquer son ascension. On pense légitimement que c’est sa nomination à l’évêché de Metz qui le motiva à se faire peindre, en buste, tourné vers la droite, vêtu d’un mantelet bleu doublé de fourrure blanche. Les cheveux au naturel, Saint Simon se détache dans l'original sur un fond de rideau brun, légèrement retenu à droite d’un cordon à deux pompons (absent de la copie présentée à La Flèche). La vêture et la facture sont d’ailleurs très proches d'un autre portrait d’abbé par Rigaud, simplement connu par son élégant dessin en contrepartie, issu de l’atelier et conservé à l’école Nationale Supérieure des Beaux-arts (Inv. PM. 2173). Tour à tour faussement identifiée comme l’abbé de Louvois (dont nous avons récemment redécouvert l’effigie) ou Fabio Brulart de Sillery (dont on connaît, grâce la gravure, les traits d’ailleurs tout à fait différents), la feuille parisienne est tout à fait typique des dessins commandés par Rigaud à ses aides, même si dans les années 1730, on n’en dénombre plus aucun (officiellement) à ses côtés.

 

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Atelier d’Hyacinthe Rigaud. Portrait d'un abbé - v. 1730. Paris, ENSBA © ENSBA

 

Même si les comptes de Rigaud ne nous sont d’aucun secours pour quantifier les copies faites d’après l’original de Grenoble (la documentation du musée conservait pourtant  depuis longtemps la trace d’une autre version réduite de 61 x 49 cm), il est probable que le modèle fut désireux de diffuser rapidement son image par des répliques de son portrait, commandé à un ancien aide beaucoup moins cher et regardant que Rigaud. La version de La Flèche, œuvre probable d’un bon répliquant, soutient cependant la comparaison d’avec un original au degré de finition pourtant extrême.

 

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Hyacinthe Rigaud - Portrait de Claude de Saint Simon, évêque de Metz - v. 1733 (détail).

Grenoble, musée des Beaux-arts © musée de Grenoble

 

Les contours sont en effet nets, le tracé franc et affirmé, le rendu des chairs tout à fait satisfaisant et l’effet général de très bonne tenue, même si la toile autographe supplante sans équivoque la copie simplifiée. Les cheveux sont également plus schématiques, les ombres moins léchées et les carnations moins travaillées dans la version de La Flèche, mais son auteur devait parfaitement être au fait de la technique du Catalan. A ce titre, le rendu de la croix pectorale est très réaliste, de même que les ombres du rabat, traitées avec simplicité et naturel.

 

En 1744, le graveur Jean Daullé produisit une interprétation du portrait, extrapolée jusqu’aux genoux[8], d’après un décorum inventé en 1715 par Rigaud pour plusieurs prélat dont René-François de Beauvau du Rivau (1664-1739), archevêque de Narbonne.

 

Saint-Simon (gr. Daullé 1744)

Jean Daullé d'après Hyacinthe Rigaud. Portrait de Claude de Saint Simon, évêque de Metz (1744) © d.r.

 

Il est peu probable, en l’absence d’éléments probants, que Saint Simon ait déboursé les 3000 livres nécessaires à la production d’une nouvelle effigie (prix pratiqué dans les années 1730-1740 pour un tel portrait), là où son buste lui avait sans doute déjà coûté près de 600 livres. Plus probablement, Daullé réutilisa-t-il une estampe déjà existante ou s’inspira-t-il d’un autre portrait sur lequel il adapta les traits de Saint Simon. Ce type de pastiche n’était pas nouveau et permettait au modèle une substantielle économie en faisant croire qu’il avait eu les moyens d’une seconde effigie. C’est en tout cas l’hypothèse de Mariette. On retrouvera cette méthode dans un pastiche plus tardif, lorsque Tardieu eut « à emprunter » à Rigaud vers 1750 une posture visant à habiller une image de Pierre de Langle (1644-1724), évêque de Boulogne. Difficile d’imaginer en effet le Catalan, figurant sur une vêture des années 1710 un visage ici encore bien juvéline, alors que le prélât avait la cinquantaine lorsqu’il fut nommé à son évêché (les mains étant d’ailleurs ici légèrement dispoportionnées par rapport à une tête visiblement rapportée et plus petite)...

 

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Jacques Nicolas Tardieu (1716-1791). Portrait de Pierre de Langle, évêque de Boulogne (v. 1750) Collection privée © d.r.

 

Dans tous les cas, Daullé ne s’inspira sans doute pas non plus de l’estampe faite par Pierre et Pierre-Imbert Drevet en 1727 d’après le portrait de Beauvau du Rivau (le décor est assez différent), mais copia un autre portrait d’archevêque dont nous ne connaissons pour le moment qu’un dessin de très belle facture, publié dès 2004 dans notre monographie, et dont nous avions confirmé l'authenticité en l’examinant dans la galerie Talabardon en 2007 où il était proposé à la vente[9].

 

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Hyacinthe Rigaud et atelier. Portrait d'un évêque. v. 1730.

Paris, commerce d’art © Stéphan Perreau

 

On y retrouvait en effet, et à l’identique de l’estampe de Daullé, l’ensemble des éléments du décor, notamment la lourde pendule Boulle à gauche, à encoignures de têtes féminines.

 

Pour affiner la datation, la question de l’identité du modèle se posa très tôt. S’agissait-il d’un dessin d’après un portrait de Rigaud ? N’était-ce pas plutôt une œuvre de Daullé avec un visage de fantaisie ? A notre sens, le dessin est trop qualitatif et abouti pour avoir été de la main d’un graveur en guise de préparation, et présente toutes les caractéristiques techniques d'une feuille issue de l’atelier de Rigaud, peut-être même retouchée par lui (rehauts de gouache blanche d’une grande précision). De même, le visage paraît trop singulier, avec un nez à l’arrête prononcée, pour ne pas être le reflet d’un véritable portrait.

 

 Aucun prélat, entre 1710 et 1744, ne pouvait d'ailleurs être mis en relation avec le dessin. Récemment, l’exposition du dessin à la Biennale des antiquaires en septembre 2012, a proposé d’y voir les traits de l’évêque de Condom, Emmanuel-Henri Thimoléon de Cossé-Brissac (1698-1757), en rapprochant ce visage de celui du prélat jeune, représenté par l’estampe d’Horthemels d’après Belle, alors qu’il était abbé de Fontfroide. Si Rigaud a effectivement peint l'évêque de Condom en 1736 contre 600 livres (soit le prix d'un buste à cette époque)[10], le tableau original, que nous avons indentifié dans une collection particulière, montre des traits bien trop éloignés de ceux du dessin. Reste que Daullé a très bien pu, pour échaffauder son Saint Simon, s'aider du dessin de Rigaud que le maître mit au carreau à cet effet.

 

Pastichée par Haid en contrepartie, l’estampe de Daullé fut également transposée médiocrement sur toile par un anonyme, au prix de diverses menues variantes[11].

 

[1] Lot. 219. 47 x 35,5 cm. Cyril Duval Enchères.

[2] Huile sur toile, 84 x 64 cm. Inv. MG206. Voir Mariette, 1740-1770, VII, f°120 ; Reymond, 1879, p. 195-198 ; Pilot de Thorey, 1880, p. 62 ; Portalis & Béraldi, 1880-1882, I, p. 657, 677 (n°106) ; Roman, 1892, p. 44 ; Beylié, 1909, p. 85 (repr.) ; Vergnet-Ruiz Laclotte, 1962, p. 250 ; Dorival, 1974, p. 27 (refusé comme Rigaud) ; Chomer, 2000, n°95, p. 210-212, repr. p. 212 ; Perreau, 2004, p. 154-155, repr. p. 154, fig. 122.

[3] Mémoires, ed. 1966, V, p. 74.

[4] Julien Loth, Histoire de l’abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges, chap. 20, t. III, 1885.

[5] Supplément au grand dictionnaire historique, généalogique, géographique, de M. Louis Moreri, pour servir à la dernière édition de l’an 1732 & aux précédentes, tome second, Paris, Vincent, Coignard, 1735.

[6] Ibid., VII, p. 520. Les frères en question étaient les aînés, morts assez tôt : Bernard-Titus, marquis de Saint-Simon et Claude de Saint-Simon, bailli de l’ordre de Malte (1694-1777). Claude Rouvroy était le benjamin.

[7] Avant son intégration à Grenoble, le tableau avait été acquis par Jay à Paris en 1799, Tableaux achetés du citoyen Sallé, peintre à Paris, n°53 & 54 : « Deux portraits de Rigaud. Le plus grand peintre de ce genre parmi les maîtres de l’école française » (A.D.I., 13T2/1, mémoire n°2).

[8] Au bas, la lettre suivante, de part et l’autre d’un médaillon aux armes : « Claudius de Saint Simon, / Episcopus Princeps Metensis, Par Franciae ». Sous le trait carré : « Peint par Hya.the Rigaud Ecuier Chev.er de l’Ordre de St. Michel / Gravé par J. Daullé, Grav.r du Roy, à Paris en 1744 ». Voir Perreau, 2004, p. 155, repr. fig. 123.

[9] Pierre noire et rehauts de gouache blanche sur papier bleu, 37,5 x 29 cm. Signalé dans une collection particulière belge en 1929 ; vente Bruxelles, Vanderkindere du 5-6 septembre 2006, lot. 41 ; Paris, galerie Talabardon & Gautier janvier 2007 ; Paris, salon du dessin, 2007 ; Coll. part. ; Galerie Baulme Fine arts 2012. Voir Perreau, 2004, repr. p. 156. fig. 125.

[10] Roman, 1919, p. 214.

[11] Huile sur toile, 130,5 x 97,5 cm. France, collection privée (vente Londres, Sotheby’s, 16 décembre 1999, lot 456).

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