Rigaud or not Rigaud chez Daguerre le 15 ?
08 déc. 2010 Ecole française du XVIIIe siècle - Portrait dit de « Monsieur Larcher » © Stéphan Perreau
Chez Daguerre (là où cette chère Mme Boucher-Grimaudet passait en vente en 2008), sont présentés le 15 de ce mois deux très grandes toiles, absolument confondantes tant leur vocabulaire singe le plus efficacement possible Hyacinthe Rigaud (lots 46).
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Il fallait donc les voir, ce que nous avons fait alors qu'ils étaient chez l'expert. Selon les indications données, il s'agirait du portrait de Michel III Larcher (mort le 9 avril 1715), marquis d’Olizy, Bojancourt, Nogent le Chemin, baron de Baye, Ormoy, Villevenard, Joches, Tallu, Barnay, etc... Il fut successivement conseiller au Grand Conseil (24 septembre 1681), Grand rapporteur en la Chancellerie (19 mars 1682), maître des requêtes (23 février 1687), Commissaire de la cour souveraine pour la réformation de la justice aux grands Jours (11 août 1688), Intendant de la Généralité de Rouen (15 février 1690), puis de Champagne (124 décembre 1691), conseiller du roi et président en la chambre des comptes sur démission de son père (17 février 1700) et de sa première épouse depuis le 5 mars 1685, Gabrielle Rioult de Douilly, travestie en Cérès (huiles sur toile, 150 x 110 cm). Cependant, cette identification tend à être au jourd'hui remise en doute devant la réaaparition de l'effigie de Michel III par Hyacinthe Rigaud.
L'effigie masculine présente le modèle jusqu'aux genoux, vêtu de sa robe de conseiller du roi, tenant ses gants dans une main et l'autre posée sur une lourde table au décor de tête de satyre. Une bibliothèque imaginaire apparaît dans le fond à droite, rappelant les fonctions de Larcher, tandis qu'un vaste rideau mouvementé ferme la compostion à gauche et rejoint la bibliothèque en lovant deux colonnes sur socle.
Ecole française du XVIIIe siècle - Portrait dit de « Madame Larcher » © Stéphan Perreau
Mme Larcher, elle, est travestie en Cérès, déesse des moisson et de l'été, symbole de la fécondité. Le coquelicot est bien évidemment associé à ce thème de même que les épis de blé fraîchement coupés au moyen d'une cerpe.
Dans ces portraits tout est dit : verticalité, faste, grandiloquence mais avec un je ne sais quoi de raideur qui fait attribuer ces oeuvres à un maitre qui aurait regardé vers Rigaud Dans tous les cas, l'artiste a su d'une manière parfaite faire siennes les leçons du maître. C'est alors qu'on repense aux morceaux de réception de Jean Legros (Nicolas Coustou et Claude Huy Hallé), d'une parfaite maîtrise au point de se demander si de nombreux Rigaud ne sont pas réattribuables à certains de ses élèves...
La main de Mme Larcher, posée sur un rebord de pierre (uniquement destiné à être recouvert d'un grand drapé bleu) possède le mème maniérisme que la main du portrait de la princesse Conti, peint en 1706 par l'atelier du roi d'après le modèle fixé par Hyacinthe Rigaud :
Cabinet du roi - Portrait la princesse de Conti (détail) © Stéphan Perreau
Le paiement du portrait de la princesse de Conti est inscrit aux livres de comptes en 1706 pour 1000 livres (1), celui de Suzanne-Henriette de Lorraine-Elbeuf, duchesse de Mantoue, peint en 1709 contre 500 livres ; ces deux portraits élaborés selon une formule en « habillement répété » (3).
Le thème de Cérès n'est pas nouveau. Nombreux sont les artistes ayant usé de ce travestissement pour sublimer la féminité de leur modèle, à commencer par Rigaud lui-même dans son portrait de Marguerite-Henriette Le Bret, née de Labriffe, peint en 1712 (4) et fidèlement gravé par Claude Drevet en 1728 (5), accompagné du catrain suivant :
La faucille à la main c’est ainsi que Cérès
Aussi brillante, aussi belle que Flore,
Mais plus féconde et plus utile encore,
Vient moissonner pour nous ses plus ruches guerets.
n recevant les biens qu’elle nous donne,
Défendons nous de ses attraits vainqueurs :
eune et riante elle moissonne
Moins d’épis encor que de Cœurs.
Jean-Marc Nattier ou encore Louis-Michel Van Loo (portrait de Mme Segouÿ, 1735), dans un répertoire tout aussi virevoltant, laisseront des Cérès à la beauté saisissante.
Louis-Michel Van Loo : portrait de Madame Segouÿ en Cérès (1735) © d.r.
Question identé, force est donc de constater que Michel III Larcher est à rejeter. Les traits ne s'y retrouvent pas. Par contre, la présence d'une vêture imposant un rôle à la chambre, pourrait nous orienter davantage vers d'autres membres de la famille, notamment vers la branche des seigneur de Bojacourt et de Bocancy...
Estimation 20.000/30.000. Résultat 24000
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(1) Perreau, 2004, p. 165, repr. fig. 131
(2) Roman, 1919, p. 123, 127 ; Perreau, 2004, p. 165-166, repr. p. 166, fig. 132
(3) Rigaud, 1716, p. 119 ; Hulst/3, p. 185 ; Mariette, 1740-1770, VII, f ° 13 ; Moreri, 1759, VI, p. 405 ; Firmin-Didot, 1876, P. Dr., n°125 ; Roman, 1919, p. 117, 119, 126, 145, 177 ; Breteuil, ed. 1992, p. 155-214 ; Caretta, 1999, 6, p. 64-73 ; Brême, 2000, p. 42-43, repr. p. 43 ; Sanguinetti, 2001, p. 11-25, 39-67, repr. p. 10, fig. 1 ; Perreau, 2004, p. 118-19, repr. p. 118, fig. 89 ; Levallois-Calvel, 2005, II, p. 98, cat. P. Dr. n°42.
(4) Perreau, 2004, p. 172-173, repr. p. 173, fig. 143
(5) Levallois-Clavel, 2005, I, p. 91, 136-137, 197 ; Ibid., II, p. 363-364, cat. C. Dr. n°13.