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Hyacinthe Rigaud et Charles Sevin de La Penaye - portrait de Philibert Orry, v. 1734.

Paris, commerce d'art © Stéphan Perreau

 

Le 6 novembre prochain, chez Artémisia Auction, sera proposé à la vente sous le lot 122 une très élégante version en buste du grand portrait du ministre Philibert Orry. La qualité de l’œuvre invite à revenir sur la genèse de ce tableau dont nous avions évoqué déjà une version totale passée en vente en 2010.

 

En 1734, lorsque Hyacinthe Rigaud entame son imposant portrait d’Orry (Troyes le 22 janvier 1689 - La Chapelle Godefroy, 9 novembre 1747), contrôleur général des Finances et directeur général des Bâtiments, il choisit de situer son personnage dans un environnement palatial avec moult accessoires[1]. Justifiant les 3000 livres qu’il demanda pour ce type de grand format Rigaud figura Orry à mi-corps jusqu’aux genoux, devant un lourd fauteuil.

 

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Hyacinthe Rigaud et atelier - portrait de Philibert Orry, v. 1734.

Paris, collection particulière © Stéphan Perreau

 

Son client est présenté faisant face à une table sur laquelle est disposé l’entier nécessaire de travail (papier, encrier, plume, poudrier, stylet) ainsi qu’un livre de maroquin rouge dressé sur sa tranche. Ce dernier, symbole de l’importance de la fonction du modèle, sert de support aux mains dont l’une tient ostensiblement une lettre marquée « au roy ». Orry montrait par ce dernier accessoire qu’il ne tenait ses ordres directs que du roi. Si le portrait original demeure aujourd’hui perdu, plusieurs copies sont conservées à Versailles et en collection privée. Rares sont, par contre, les réductions en buste parvenues jusqu’à nous ce qui fait de notre portrait un témoignage inédit du travail de l’artiste dans la diffusion des images qu’il créa du personnage.

 

Fils de Jean (1652-1719), seigneur de Vignory et de Jeanne Esmonin, Philibert Orry était l’héritier d’une fortune familiale assez considérable. Cornette d’un régiment de cavalerie dans sa jeunesse, il avait entamé sa carrière civile comme conseiller au Parlement de Paris avant de devenir en 1715 maître des requêtes puis intendant à Soissons (1722), à Perpignan (1727) et enfin à Lille (1730). Mais c’est le 20 mars 1730, qu’il se place véritablement au service direct du roi en obtenant le Contrôle général des Finances sur recommandation du premier ministre, le célèbre cardinal de Fleury. Succédant dans ce poste au fameux Michel-Robert Le Pelletier des Forts, notre modèle avait alors rapidement voulu marquer son ascension par un grand portrait de la main du peintre qui avait justement su si bien glorifier Fleury et Le Pelletier[2].

 

Destinée à diffuser plus facilement l’image du contrôleur auprès des ses fidèles que ne l’aurait fait une réplique de grande dimension par trop onéreuse, l’œuvre qui est présentée est tout à fait caractéristique de ces petits formats rapidement monnayables auprès des sphère publiques et privées du royaume. Sur sa toile d’origine, elle est d’un recadrage plus serré, montrant Orry en simple buste mais en suivant l’exacte agencement voulu par son créateur. Focalisant l’œil du spectateur sur la physionomie du ministre, Rigaud a volontairement évité la représentation du décorum initial. L’artiste avait d’ailleurs procédé de la sorte pour tous les portraits des membres du gouvernement qu’il eut faire dupliquer, ne pouvant d’ailleurs, par manque de temps, multiplier les exemplaires de grande taille. C’est notamment le cas du cardinal de Fleury dont on connaît de nombreux bustes du portrait primaire.

 

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Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait du cardinal de Fleury, v. 1727.

Londres, Wallace collection © WC

 

Même s’il n’employait plus d’aide d’atelier depuis au moins 1732, il est très crédible de penser que Rigaud a confié l’ébauche de notre portrait à son fidèle et proche collaborateur Charles Sevin de La Penaye (1685-1740). Il s’appliqua sans doute à revoir l’ensemble, travaillant les drapés, ici d’une grande qualité. On reconnaît aussi l’infini soin pris à la représentation des dentelles, typiques par leur rondeur et leur complexité au style tardif de l’artiste, alors âgé de 75 ans.

 

détail dentelle

Hyacinthe Rigaud et Charles Sevin de La Penaye - portrait de Philibert Orry (détail), v. 1734.

Paris, commerce d'art © Stéphan Perreau

 

Gravé avec virtuosité en 1737 par Bernard Lépicié (la planche fut d’ailleurs exposée au Salon de 1738)[3], l’œuvre originale, tout comme notre version en buste, ne présente pas le cordon bleu et la croix de l’ordre du Saint Esprit dont Orry sera le grand trésorier de 1743 à 1747. Ce détail sera rajouté a posteriori sur la plupart de répliques connues, et date donc avec vraisemblance notre version d’avant l’obtention de la gratification. En cas contraire, elle n’eut sans doute pas été omise si le buste avait été confectionné après 1743.

 

gravure Lépicié

Bernard Lépicié d'après Hyacinthe Rigaud  - portrait de Philibert Orry, 1737.

France, collection particulière © Stéphan Perreau

 

Parvenu au rang de ministre d’Etat le 11 novembre 1736 Orry n’avait pas tardé à entrer au Conseil « d’en haut ». Un an plus tard, en 1737, il était nommé directeur des Bâtiments, des Arts et des Manufactures du roi, succédant au duc d’Antin, autre modèle célèbre peint par  Rigaud vers 1710[4]. C’est grâce à ce poste qu’il fit ajouter une aile au château de Versailles, et rétablir au Louvre les expositions annuelles de peinture et de sculpture, suspendues par Louis XIV dès 1704. Il fut un actif protecteur du peintre Charles-Joseph Natoire (1700-1777), qu’il fit nommer directeur de l’Académie de France à Rome. Le 5 décembre 1745, Philibert Orry se vit contraint de démissionner par l’influence qu’avait acquise la marquise de Pompadour, elle même amie des frères Pâris opposés au ministre. Il se donc retira sans enfants, près de Méry-sur-Seine (Aube), en son château de La Chapelle, où il mourut deux ans plus tard, le 9 novembre 1747.

 

Si en 1734, Rigaud et Orry symbolisaient déjà aux yeux du public l’esprit d’un siècle vieillissant tout emprunt d’une grandeur quelque peu surannée, leurs images demeurèrent vives dans les esprits. En 1739, et sous l’impulsion d’Orry, le Salon officiel permettait ainsi au sculpteur Lambert-Sigisbert Adam (Nancy, 1700 – Paris, 1759) de présenter au public un buste en plâtre du vieux peintre Catalan qu’il connaissait bien[5]. De son côté, et alors qu’en mars 1743 la mort de son épouse venait de lui faire perdre le revenu de rentes viagères, Rigaud obtint avec succès avec succès d’Orry une pension de 1000 livres[6].

 

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Maurice Quentin de La Tour, portrait de Philibert Orry, pastel, 1745.

Paris, musée du Louvre © d.r.

 

Enfin, au Salon de 1745, soit deux ans après la mort du Catalan et avant celui d’Orry, un certain Maurice Quentin de La Tour présentait son portrait du ministre au pastel, avouant nettement sa dette envers Hyacinthe Rigaud[7].

 

[1] Stéphan Perreau, Catalogue concis complet de l’œuvre d’Hyacinthe Rigaud, Les Nouvelles presses du Languedoc, Sète, 2003, cat. P.1391, p. 290.

[2] Peints respectivement en 1728 (Perreau, op. cit., cat. P.1349, p. 277) et 1727 (Ibid., cat. P.1347, p. 276).

[3] N°145 : « Le portrait de M. Orry, Contrôleur-Général des  Finances, gravé d'après M. Rigaud, Ecuyer, Chevalier de l’Ordre de S. Michel, Recteur et ancien Directeur de l’académie ». Guiffrey, Explication des peintures, sculptures et autres ouvrages de messieurs de l’Académie Royale dont l’exposition a été ordonnée, suivant l'intention de sa majesté, par M. Orry, Ministre d’État, Contrôleur General des Finances, Directeur General des Bâtimens, Jardins, Arts & Manufactures du Roy, & Vice-Protecteur de l’Académie ; dans le grand Salon du Louvre, à commencer au 18 Aoust jusqu’au l0 Septembre de la présente année 1738, Paris, 1869, p. 28.

[4] Perreau, op. cit., cat. P.1108, p. 223. Voir la fiche Wikipedia que nous avons créée en 2009.

[5] On sait que Rigaud prêtera 1000 livres à Adam par un billet de reconnaissance du 9 mars 1741 (inventaire après décès de Rigaud, fol. 61).

[6] Mercure de France, février 1904, XLIX, n°170. p. 539-542.

[7] Paris, musée du Louvre, inv. 27.613. Christine Debrie, Xavier Salmon, Maurice Quentin de La Tour, prince des pastellistes, Paris, Somogy, 2000, p. 119-120.

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