Monseigneur de Vintimille commande à Hyacinthe Rigaud
16 juin 2011Atelier de Hyacinthe Rigaud - portrait de Charles-Gaspard de Vintimille du Luc, v. 1732 (détail) © Christie's images
Comme son frère et son neveu avant lui, Charles-Gaspard-Guillaume de Vintimille du Luc, archevêque de Paris vit en Hyacinthe Rigaud l’artiste idéal, capable de glorifier avec suffisamment d’esprit et de savoir faire, un honneur récent.
Une copie d’atelier de son portrait par l'artiste, et dont l’original est conservé à la Memorial art Galerie of University de Rochester [1] passe en vente chez Christie’s Londres, le 8 juillet prochain[2]. Malgré un modèle non identifié à cette occasion, un rapide coup d’œil permet de constater qu’il s’agit d’une version honorable d’atelier ; atelier dont il portait l’inscription au dos avant rentoilage : « fait par Hyacinthe Rigaud 1732 ». Quelques différences sont a noter par rapport à l'œuvre d'origine, notamment dans les drapés de la grande cape d'archevêque, du fait de l'absence du bras gauche tenant initialement le couvre chef. Le drapé a également été adapté et resserré de part et d'autre de la figure du modèle.
Hyacinthe Rigaud - portrait de Charles-Gaspard de Vintimille du Luc (1732) - Rochester, Memorial Art Gallery
© documentation des peintures du Louvre
Sans sourciller, Monseigneur de Vintimille déboursa, en 1732, les 3000 livres nécessaires à un portrait dont l’emphase n’eu d’égal que l'opulence avérée de son modèle[3]. C’est que Vintimille était collectionneur averti et fin amateur d’art. Son portrait (n°37) fut d’ailleurs estimé par le marchand Gersaint lorsque ce dernier eut à donner son avis sur la collection de l’homme d’église, au cours de l’inventaire après décès réalisé par Roger , le 24 mars 1746[4].
Atelier de Hyacinthe Rigaud - portrait de Charles-Gaspard de Vintimille du Luc (1732) © Christie's images
Rigaud, avec qui l'ecclésiastique partageait le goût des choses, se devait donc de contenter « Son Eminence » par le biais d’une mise en scène somptuaire. La composition de Worchester emprunte tout le vocabulaire traditionnel du peintre à fin de figurer un homme à la stature sociale affirmée. Le prix fut donc amplement justifié par la représentation à mi corps du modèle, dans un intérieur palatial et agrémenté de moult accessoires[5]. Fortement teintés au coin du goût rocaille, le fauteuil, le bureau, les drapés volants témoignent d'une sophistication et d'un réalisme dynamique tout à fait caractéristique chez Rigaud. On retrouve d'ailleurs l'encrier, la plume, les livres et les lettres dans d'autres effigies de la même époque, jusqu'au grand rideau et ses pompons ainsi que la bibliothèque d'apparat, destinée plus à évoquer la possibilité de culture qu'un pratique effective. Le grand bureau plat, au piètement cambré et sculpté, à la corniche de plat chantourné à débord et au plateau tendu de cuir vert se rencontre (avec variantes) dans plusieurs grands tableaux des années 1720, 1730. Nous pensons, pour les ecclésiastiques, au portrait du cardinal Guillaume Dubois (1723), du cardinal de Fleury (1727), du cardinal d'Auvergne, Henri-Oswald de la Tour d'Auvergne (1732), ou de l'archevêque de Reims, Armand-Jules de Rohan Guéméné (1733). Quant au lourd fauteuil aux accotoirs à feuilles d'acanthe, il devait probablement s'agir d'un meuble appartenant à Rigaud, car il constitue à ce moment un élément de décor récurrent dans les compositions de l'artiste depuis au moins une bonne trentaine d'années, comme en témoigne le répertoire d'études du musée des beaux-arts de Rouen.
Hyacinthe Rigaud - répertoire d'études. v. 1713 (détail). Rouen, musée des beaux-arts. Inv. 975-4-5521© S. Perreau
Il n’est également pas étonnant que Vintimille ait choisi la date de 1732 pour solliciter l’un des portraitistes les plus chers de la place. Sa récente nomination à la tête de l’archevêché parisien, survenue deux ans plus tôt, avait en effet coïncidé avec son élection comme duc de Saint-Cloud. Il n’en fallait donc pas moins… On se demande même s'il n'eut pas rivalité entre Vintimille et le Cardinal d'Auvergne qui passe également dans l'atelier en 1731, comme en témoigne le splendide portrait que nous avons retrouvé il y a peu dans une collection privée et sur lequel nous reviendrons dans un prochain article.
Né à Le Luc le 15 novembre 1655, Charles Gaspard avait débuté sa carrière épiscopale à Marseille où il fut évêque de 1684 à 1708. Avant d’arriver à Paris, il s’exerça à la fonction d’archevêque à Aix-en-Provence, jusqu’en 1729. Le prélat, qui tient sa barrette dans la main droite, porte la soutane, un rochet de dentelle en point de Sedan, une longue cape moirée et la croix de l’ordre du Saint-Esprit sur sa poitrine, distinction obtenue le 3 juin 1724. Le réalisme du visage et la réussite de l’étude psychologique de ce portrait, motiva d’ailleurs Maurice Quentin de La Tour à réaliser une copie d’étude, au pastel, de la face de l’archevêque fixée par Rigaud[6].
Le tableau fut fidèlement gravé en contrepartie par Claude Drevet, en contrepartie et en 1736 d'après Hulst[7] et un artiste anonyme en tira une esquisse en grisaille, aujourd'hui également conservée à Rochester[8].
Claude Drevet d'après Hyacinthe Rigaud - portrait de Charles-Gaspard de Vintimille du Luc, 1736 © Stéphan Perreau
Une autre planche vit le jour en 1737 sous le burin de Jean Daullé mais cette fois en « buste sans mains, pris dans le grand tableau pour une thèse de Louis-Jérôme de Suffren de Saint Tropez », et dans le même sens que la toile.
Jean Daullé d'après Hyacinthe Rigaud - portrait de Charles-Gaspard de Vintimille du Luc, 1737 © Stéphan Perreau
Enfin, on signalera un portrait de Vintimille, en buste, tourné vers la gauche, conservé à l’archevêché de Paris, proche de l’effigie fixée par Rigaud dont elle était probablement contemporaine, mais beaucoup moins « finie ».
[1] Huile sur toile. H. 157 ; L. 134 cm, Inv. 68.1.
[2] Huile sur toile. H. 81,8 ; L. 65,2 cm, lot. 147.
[3] Huile sur toile. H. 157 ; L. 134 cm, Inv. 68.1. Roman, 1919, p. 207 ; Rosenthal, 1984, p. 17-22 ; Perreau, 2004 (2012), p. 117, repr. fig. 87.
[4] Arch. Nat., Minutier central des notaires, XXVIV, 776. Cité et analysé dans Guillaume Glorieux, « A l'enseigne de Gersaint », Champ Vallon, Paris, 2002, p. 439.
[5] Voir notre article sur les « prélats et princes de l’église » dans notre ouvrage de 2004 (2012), p. 211 et suivantes.
[6] Xavier Salmon, Jean-Marc Nattier, Paris, RMN, 2004, n°10, p. 76, repr.
[7] Hulst/3, p. 198 ; Mariette, 1740-1770, VII, f ° 23 ; Basan, 1767, I, p. 176-177 ; Lelong, 1775, p. 283, n°4 ; Firmin-Didot, 1875-1877, Cl. Dr., n°517 ; Portalis & Béraldi, 1880-1882, I, p. 678 (n°119) ; Ibid. II, p. 25 (n°91) ; Levallois-Clavel, 2005, I, p. 91, 197, 255 ; Ibid. II, p. 352, cat. C. Dr. n°6.
[8] Huile sur toile en grisaille d’après Rigaud. H. 40,5 ; L. 32,2. Vente Londres, Philips, 20 avril 1993, lot 58, repr. p. 58 du cat. Rochester, memorial art Galerie of University. Marion Stratton Gould Fund, 93.16.