Dubois Hampel Munich 9 dec 2011 lot 297 (82 x 66 cm)

Atelier de Hyacinthe Rigaud (Charles Sévin de La Penaye ?) - Portrait du cardinal Dubois - Commerce d'art © Hampel

 

Le 9 décembre prochain, la maison Hampel de Münich proposera à la vente un buste du  cardinal Guillaume Dubois (1656-1723)  dont l’attitude dérive du grand portrait du prélat, peint par Hyacinthe Rigaud en 1723[1]. Ce dernier, conservé aujourd’hui au museum of Art de Cleveland, aux Etats Unis[2], figure le modèle en grande pompe, assis dans un large fauteuil à accotoirs d’acanthe et entouré d’un aréopage d’accessoires destinés à appuyer ses fonctions ministérielles.

 

Dubois Cleveland

Hyacinthe Rigaud - Portrait du cardinal Dubois - 1723.

Cleveland, museum of art © d.r. (Paris, musée du Louvre, doc. peint.)

 

Homme incontournable de la Régence, conseiller de Philippe II d’Orléans, Dubois avait entamé sa carrière comme abbé, venu à Paris depuis son Limousin natal. Amant de la célèbre Madame de Tencin, il lui préfère, en 1720, l’archevêché de Cambrai, l’un des plus riches du pays. C’est avec ce titre qu’il pose pour Rigaud, peu de temps avant de décéder, le 10 août 1723. Le paiement de son portrait intervient en première ligne des livres de comptes du peintre ce qui laisse à penser, compte tenu de l’importance de la composition, qu’il fut entamé au moins depuis 1722. Le portrait marqua les esprits, à une époque où Rigaud ne fréquentait pas les salons officiels. Il montra pourtant l’œuvre à l’Exposition de la jeunesse, place Dauphine, à Paris, le jour du Corpus Christi de 1723[3]. On mentionne ensuite le tableau au château d’Eu, demeure des Orléans, avant qu’il ne revienne à la collection de Mademoiselle Violat, héritière du Cardinal. On le sait car le marquis de Marigny, surintendant des Beaux-arts avait été pressé par le Dauphin qui souhaita fort de voir le portrait, et s’adressa, le 30 mai 1764 à Charles Nicolas Cochin pour partir à la recherche de la toile[4]. Cochin, lui répondit le 1er août :

 

« D’après les renseignements que vous m’avés fait donner et ceux que j’ay tirés de Mrs du chapitre de Saint-Honoré, j’ay découvert que le portraict de Mr le cardinal Dubois, peint par M. Rigaud, est entre les mains de Mlle de Violat, héritière de cette Eminence. Elle est à présent à son château de Villemon, près Brie-Comte-Robert. C’est pourquoi il seroit nécessaire que vous voulussiez bien lui écrire, afin que sur la lettre qu’elle recevroit de vous, elle pût écrire à M. l’abbé d’Espagnac, conseiller au Parlement, qui, sans cette autorisation, ne peut prendre sur lui de le délivrer. J’ajoute (afin qu’il ne manque rien de ce qui peut être utile pour faire réüssir cette négociation) que M. l’abbé d’Espagnac demeure quay Malaquais, au coin de la rue des Saints-Pères. Si vous voulez bien, Monsieur, par le même ordinaire me donner avis de la lettre que vous aurez fait écrire à Mlle de Violat, je feray aussitost les démarches nécessaires pour vous faire parvenir ce tableau. Il sera cependant nécessaire de dérober quelques momens pour le faire nettoyer[5]. »

 

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Paiement du portrait du cardinal Dubois - Livres de comptes de Hyacinthe Rigaud 

Paris, bibliothèque de L'Institut de France (ms 624, fol. 41, v°) © Stéphan Perreau

 

Le portrait original du cardinal Dubois passa ensuite dans la collection de George, dernier duc d’Egremont et fut vendu par Christie’s à Londres (Manson & Woods) en 1892 (lot 68). Proposé par la galerie parisienne de Rodolphe Kann, puis, par celle d’Edouard Kann à Berlin, il fut acquis par Wildenstein & Co à New York et acquis par John L. Severance qui le légua en 1967 au musée de Cleveland. De 1967 à 1975, l’historienne Ann Tzeutschler Lurie s’attacha brillamment à l’étude du portrait, détaillant avec soin le décorum[6]. En mettant en avant les qualités de la toile, parmi les plus prestigieuses fixées par le peintre pour les grands cardinaux, elle remarqua la présence des deux volumes à tranche dorée, à droite sur le bureau, traitant d’ordonnances du Parlement, deux autres d’Hugo Grotius et le Pentateuchus (titre latinisé de cinq premiers livres de l’Ancien testament). Les quatre suivant, de gauche à droite, sont titrés ainsi : « ORDON- TRAIT- HVGO  PENTA  NANCES  TES  GROTIVS  TEVCHVS ». Elle identifia également les quatre gros étuis ronds et scellés, dépassant du bureau, comme servant à Dubois pour diffuser ses victoires diplomatiques (celui qui se trouve près de la bordure du tableau à droite, dépassant de la table, porte la double couronne et l’aigle des armes autrichiennes).

 

lettre Dubois détail

Hyacinthe Rigaud - Portrait du cardinal Dubois (détail) - 1723.

Cleveland, museum of art © d.r. (Paris, musée du Louvre, doc. peint.)

 

Dès 1723, le cardinal en fit faire une réduction en buste valant 300 livres, destinée à son neveu, Jean-Baptiste Dubois, alors chanoine de l’église Saint-Honoré à Paris[7] ; copie qui devait être proche de la version proposée par Hampel. Visiblement, c'est Charles Sevin de La Penaye qui travailla à l'essentiel des copies. Il fut peut-être l'auteur de l'autre réplique, en buste, commandée par le chevalier Lucas Schaub, de Bâle, preuve que l’image du ministre se diffusa hors des frontières[8]. Le cardinal draina aussi dans son sillage des membres de sa famille, soucieux d'« arriver ». Les livres de comptes conservent ainsi la trace de paiements de l'effigie du frère du cardinal, Joseph Dubois (1650-1740), maire perpétuel de Brive depuis 1700 (Brive, collection privée) et de son épouse, Marie-Anne David de La Plagne ; portraits rassemblés sous la somme de 500 livres pour les deux (Roman, op. cit., 1919, p. 195)...

 

Le lot 297 de la vente Hampel[9], agrémenté d’une bordure de bois noirci incrusté de nacre et surmontée d’un décor festonné, affiche une estimation qui ne lasse pas d’étonner : 22 000 / 25 000 €. A ce prix on s’attend à l’excellence… Hélas, à y regarder de plus près, cette adaptation de l’effigie originale, est à peine plus qualitative que celle que le musée Labenche de Brive-la-Gaillarde conserve dans ses collections.

 

Dubois visage

Atelier de Hyacinthe Rigaud (Charles Sévin de La Penaye ?) - Portrait du cardinal Dubois (détail) - Commerce d'art © Hampel

 

Si on peut lui accorder une certain degré de finition, là où l'exemplaire de Brive s'affiche gauche, la raideur de la physionomie semble devoir être due au pinceau de La Penaye dont on connaît l'efficacité de copiste mais la dureté de la touche (Portrait du cardinal de Bissy, Versailles, musée national du Château). Une autre version similaire à celle proposée par Hampel, est également passée en vente publique à l’hôtel Drouot à Paris, proposée par la maison Audap-Picard-Solanet & associés le 20 juin 1997[10].

 

Dès 1724, le portrait du cardinal eut les honneurs de la gravure[11]. C’est Pierre-Imbert Drevet, en 1724, qui réalisa l’estampe, dans le même sens que la toile avec, dans la bordure extérieure du trait carré : « Peint par Hyacinthe Rigaud 1724 [sic] - Gravé par P. Drevet 1724. » Sous le cadre, de part et d’autre d’un médaillon aux armes s’étale la lettre suivante : « Guillaume Cardinal - Dubois, Archevesque / Duc de Cambray, Prince du St - Empire, Premier Ministre / Né le 6 septembre 1656 - mort le 10 août 1723. »

 

gravure Dubois

Pierre-Imbert Drevet d'après Hyacinthe Rigaud - Portrait du cardinal Dubois - 1724.

France, collection particulière © d.r

 

Le buste, correspondant à peu près aux réductions peintes, fut quant à lui transcrit au burin, en contrepartie cette fois, par Claude Roy, dans un ovale de pierre, et pour le fond Odieuvre[12].

 

L’abbé Dubois « petit homme maigre, effilé, chafouin, à la perruque blonde, à mine de fouine, à physionomie d’esprit », n’était pas aimé de Saint Simon[13]. Le littérateur fit du cardinal un portrait au vitriol, resté célèbre :

 

« Tous les vices combattaient en lui à qui en demeurerait le maître. Ils y faisaient un bruit et un combat continuel entre eux. L’avarice, la débauche, l’ambition étaient ses dieux ; la perfidie, la flatterie, les servages ses moyens ; l’impiété parfaite son repos, et l’opinion que la probité et l’honnêteté sont des chimères dont on se pare, et qui n’ont de réalité dans personne, son principe, en conséquence duquel tous moyens lui étaient bons. Il excellait en basses intrigues ; il en vivait ; il ne pouvait s’en passer, mais toujours avec un but où toutes ses démarches tendaient, avec une patience qui n’avait de terme que le succès ou la démonstration réitérée de n’y pouvoir arriver, à moins que, cheminant ainsi dans la profondeur et les ténèbres, il ne vît jour à mieux en ouvrant un autre boyau. Il passait ainsi sa vie dans les sapes. Le mensonge le plus hardi lui était tourné en nature, avec un air simple, droit, sincère, souvent honteux. Il aurait parlé avec grâce et facilité, si le dessein de pénétrer les autres en parlant, et la crainte de s’avancer plus qu’il ne voulait, ne l’avait accoutumé à un bégaiement factice qui le déparait, et qui, redoublé quand il fut arrivé à se mêler de choses importantes, devint insupportable, et quelquefois inintelligible. Sans ses contours et le peu de naturel qui perçait malgré ses soins, sa conversation aurait été aimable. Il avait de l’esprit, assez de lettres, d’histoire et de lecture, beaucoup de monde, force envie de plaire et de s’insinuer, mais tout cela gâté par une fumée de fausseté qui sortait malgré lui de tous ses pores, et jusque de sa gaieté, qui attristait par là. […] Méchant d’ailleurs avec réflexion, et par nature et par raisonnement traître et ingrat, maître expert aux compositions des plus grandes noirceurs, effronté à faire peur étant pris sur le fait, désirant tout, enviant tout, et voulant toutes les dépouilles. On connut après, dès qu’il osa ne se plus contraindre, à quel point il était intéressé, débauché, inconséquent, ignorant en toute affaire, passionné toujours, emporté blasphémateur et fou, et jusqu’à quel point il méprisa publiquement son maître et l’Etat, le monde sans exception et les affaires, pour les sacrifier à soi tous et toutes, à son crédit, à sa puissance, à son autorité absolue, à sa grandeur, à son avarice, à ses frayeurs, à ses vengeances ».

 

 

[1] Paiement inscrit aux livres de comptes en 1723 pour 3000 livres (« Mr L. Cl Dubois »). Roman, 1919, p. 195 ; S. Perreau, 2004 (2012), p. 242.

[2] Inv. 1967.17. Huile sur toile, 146,7 x 113,7 cm. Signé et daté sur la base de la pendule : Fait par Hyacintus Rigaus, 1723.

[3] Journal de Rosalba Carriera, 1865, p. 268.

[4] « Mgr le Dauphin a sçu, Monsieur, qu’il existoit un portrait du cardinal Dubois par M. Rigault, et désire fort de le voir. Vous sentés avec quel empressement je dois aller au-devant de tout ce qui peut être agréable à ce prince. Ainsy, je n’ay que faire de vous dire combien je vous sçauray gré de me mettre promptement à portée de satisfaire sa curiosité. Ne perdés donc pas un moment à découvrir ce portrait. Vous pourrés en avoir des nouvelles par les Srs Rémy ou Boileau ; peut-être Mme Godefroy en auroit-elle connaissance. Adressés-vous aussy, en cas de besoin, au sr Ménageot, frère d’un menuisier des Bâtimens, et, en un mot, usés de tous les moyens possibles pour vous procurer ce portrait et me le faire parvenir aussitôt qu’il sera en votre disposition. J’auray soin de vous le renvoyer aussitôt que Mgr le Dauphin l’aura vû. L’héritier du cardinal Dubois demeure dans une maison dont le jardin fait le coin de la rue de Suresnes et de la rue d’Anjou, faubourg Saint-Honoré, et l’on croit que l’entrée de cette maison donne dans la rue Ville-l’Évêque. Il semble qu’au déffaut des autres indications, celle-cy doit vous conduire à la découverte du portrait dont il s’agit ». Lettre du 30 juillet 1764, du marquis de Marigny à Charles-Nicolas Cochin (Paris, Archives Nationales, O1 1111, fol. 442), copie publiée dans N.A.A.F., p. 312-313.

[5] Lettre de Cochin au marquis de Marigny du 1er août 1764 (O1 1910), publiée dans N.A.A.F., p. 312-313.

[6] « Hyacinthe Rigaud, portrait of Cardinal Dubois », Cleveland Museum of Art Bulletin, LIV, 1967, p. 230-239 ; « Rigaud’s Portrait of Cardinal Dubois », Burlington Magazine, CXVI, 1974, p. 667-668 ; « A note on Rigaud’s Portrait of Cardinal Dubois », Cleveland Museum of Art Bulletin, LXII, 1975, p. 277-279.

[7] Roman, op. cit., p. 233 : « Une copie de Mr le Cl Dubois pr. mr son neveux », copie peut-être faite par Charles Sevin de la Penaye qui toucha 6 livres, en 1723, pour avoir « ébauchez une tête de Mr le Cl Dubois, un jour ». L’aide d’atelier toucha également 40 livres pour « une copie en buste du même cardinal » (Roman, op. cit., p. 284).

[8] Ibid : « Une copie de Mr le Cl Dubois pr. Mr le chevalier Schaub ».

[9] Huile sur toile, 82 x 66 cm.

[10] Huile sur toile 81 x 65 cm. Lot 232, comme « école de Nicolas de Largillierre », repr. p. 70 du cat.

[11] Levallois-Clavel, 2005, p. 88-89 ; Ibid. II, p. 308-309, cat. P.-I. Dr. n°23. Selon Mariette le commanditaire de la gravure de Drevet serait Claude Rigaud, « directeur de l’Imprimerie Roiale ». Ce personnage homonyme, beau-frère et associé de Jean Anisson, lui succéda en 1707 à la direction de l’Imprimerie Royale.

[12] De part et d’autre de l’ovale sur le socle : « Hiacinthe Rigaud pinxit / A.P.D.R. – C. Roy sculp. » Au bas, dans le socle : « Guillaume cardinal Dubois / Archevesque Duc de Cambray / Prince du St Empire Premier Ministre. » H. 7,8 ; L. 6,6.

[13] Saint-Simon, Mémoires, XXVI, ed. 1873,  p. 280-283.

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