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Hyacinthe Rigaud, portrait de femme en manteau bleu, v. 1690-1695.

Paris, collection particulière © Stéphan Perreau

 

Le 28 avril dernier, la maison Osenat mettait aux enchères sous le lot 284 un portrait de femme inconnue au manteau bleu, totalement vibrant de réalisme dans ses carnations et la vérité du visage. Dans un premier temps, le tableau fut attribué à Robert Le Vrac Tournières (1667-1752) lequel avait certes été, un temps, collaborateur de Hyacinthe Rigaud en 1698 et 1699. Mais s’il imita la manière de froisser les étoffes de son employeur, allant parfois jusqu’au mimétisme, son style franc et plus cassant dans les plis s’avère en réalité beaucoup trop éloigné par sa matière de celui de cette élégante. Avec raison, le portrait fut d’ailleurs redonné au peintre catalan peu de temps avant la vente[1].

 

L’œuvre s’avère tout à fait caractéristique des productions de Rigaud dans les années 1690-1695. Plusieurs indices plaident en cette faveur. Le format, tout d’abord, réduit, donc peu dispendieux. Même si d’évidence la composition fut initialement rectangulaire avant d’être agrandie et mise à l’ovale un peut plus tard, elle ne devait pas encore atteindre les 140 livres nécessaires au format standard 81 x 65 cm.

 

oeil

Hyacinthe Rigaud, portrait de femme en manteau bleu (détail), v. 1690-1695.

Paris, collection particulière © Stéphan Perreau

 

En prenant comme maître étalon des portraits connus par l’image et par leur prix, et en faisant fi de toute autre considération (aisance du modèle, importance du statut, favoritisme particulier de la part de Rigaud), on suppose que notre tableau correspond probablement à ces portraits facturés entre 100 et 110 livres dans la période qui nous intéresse. Ceux à 122 livres et 10 sols ou 120 livres impliquaient en effet davantage de buste ou de drapé, allant parfois jusqu’aux coudes tel les portraits peints en 1693 de l'expressif Monsieur de Saint-Sauveur, figuré en armure de trois quart, ou celui de l'homme du Metropolitan museum de New York (daté et signé au dos), et dans lequel nous proposons de voir pour le moment Hilaire Rouillé du Coudray (1651-1729)[2].

 

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Hyacinthe Rigaud, portrait présumé d'Hilaire Rouillé du Coudray, 1693.  

New York, Metropolitan museum of art © d.r

 

D’autres indices en faveur de la datation sont donnés par le moelleux des carnations dont on retrouve le traitement dans d’autres portraits contemporains. Ainsi, notre esprit est immédiatement attiré vers l’émouvant portrait de la famille Lafita, figurant les traits de la sœur de Rigaud, Clara-Maria-Maddalena-Géronima Rigau (1663-1700), de son époux Jean Lafita (v. 1690-1737), bailli royal de Perpignan et leur première fille, Maria Lafita (v. 1688-v. 1730). Si la posture est très évidemment différente, le traitement des chairs est identique, tout en épaisseur et en rondeur. L’œil est malicieux, la bouche toute de vermeil, suave et ronde comme un bonbon. Le travail excessivement léché du pinceau, ne laissant aucun reflet de lumière au hasard, montre un Rigaud soucieux d’infini réalisme.

 

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Hyacinthe Rigaud, portrait de Clara Rigau-Lafita (détail), 1695.  

Paris, musée du Louvre © Stéphan Perreau

 

Enfin, par la vêture choisie et le style de la coiffure, tout ici parle la mode des dernières décennies du siècle. Les cheveux, traités au naturel, ont abandonné l’arrangement typique des années 1680. Ils sont ramenés au dessus de la nuque, cachant partiellement les oreilles mais arrangés autour d’une raie centrale qui partage la tête en deux « hautes pointes » faites d’un amas de boucles. L’échafaudage, donnant l’illusion du naturel, n’est pas maintenu par un ruban (comme ce sera le cas dans certaines « Fontanges sans coiffe » du type de la comtesse de Linières ci dessous), mais est solidifié par un diadème d’or, orné de perles et de larges pierre fines en une alternance de bleu et de rouge (saphirs et rubis ?). Pour achever cette mise en scène, le visage s’orne, sur les tempes, de deux cruches et de deux confidentes, mèches tout à fait caractéristiques de cette époque.

 

visage

Hyacinthe Rigaud, portrait de femme en manteau bleu (détail), v. 1690-1695.

Paris, collection particulière © Stéphan Perreau

 

Si l’identité du modèle reste impossible à définir, en l’absence de traçabilité de son historique, nous nous consoleront en admirant le soin pris par l’artiste à soutenir l’ovale de la gorge grâce à une bretelle de perles dont les reflets irisés d’une infinie délicatesse, sont relevés par la bordure d’or du tissus sous-jacent. Cette bordure se répète en un galon courant tout le long du drapé, lequel est retenu sur le devant du buste par un bijou d’or à cabochon. Là encore, le tissu est agencé à la manière d’un styliste, juste froissé, respectant le mouvement simple des plis, ne cherchant pas à les contrarier mais plutôt à souligner leur disposition naturelle.

 

perles

Hyacinthe Rigaud, portrait de femme en manteau bleu (détail), v. 1690-1695.

Paris, collection particulière © Stéphan Perreau

 

Nous sommes encore loin du fracas ostentatoire du buste de Marie-Louise du Bouchet de Sourches (1665-1749), comtesse de Linières, peint en 1696[3], dont le manteau de soie recouvrant une robe de passementerie de brocard n’était pour Rigaud qu’un prétexte à la virtuosité et, pour la modèle, à l’affichage de son rang et de sa fortune. Il faut avouer que la dame en bleu n’en touchera pas moins l’âme du spectateur, suggérant la conversation intime plus que l’irruption visuelle que donne l’éclat du luxe.

 

1696 - comtesse de Lignières (Parentignat)

 

Hyacinthe Rigaud, portrait de la marquise de Linières, 16965.

Château de Parentignat © Stéphan Perreau

 

Les portraits féminins de Rigaud sont rares ou trop rares à notre goût[4]. Ne boudons donc pas notre plaisir en ayant à l’esprit les mots justes de Dezallier d’Argenville :

 

« Rigaud sçavoit donner à ses portraits une si parfaite ressemblance, que du plus loin qu’on les apperçevoit, on entroit, pour ainsi dire, en conversation avec les personnes qu’ils représentoient : on peut dire que ces portraits laissoient plus de choses à penser, qu’ils n’en exprimoient ; il s’étoit fait sur la physionnomie des règles si certaines & si bien établies par l’usage, que rarement il manquoit une ressemblance »[5].

 
 

[1] Huile sur toile, 68 x 54 cm. Paris, collection particulière. Bibliographie : Stéphan Perreau, Hyacinthe Rigaud, catalogue concis de l’œuvre, Sète, 2013, cat. P.386b, p.111

[2] Perreau, 2013, op. cit., cat. P.338 & P.339, p. 105.

[3] Ibid., cat. P.476, p. 124.

[4] Voir notamment notre article « Les Portraits féminins de Hyacinthe Rigaud », dans L'Estampille-L'Objet d'art, 2005, n°399, p.44-51

[5] Antoine Joseph Dezallier d’Argenville, Vie des plus fameux peintres, IV, Paris, De Bure, 1745, p. 318.

 

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