Ces derniers mois nous ont réservé, comme à l’ordinaire, un lot « d’écoles », « entourages » et autres « ateliers » de Hyacinthe Rigaud, sorte de « catégories » toutes trouvées lorsqu’on ne souhaite pas laisser ces œuvres dans le terrible monde de l’anonymat, et ce, malgré l’absence d’éléments plus probants. Bien souvent, leur faible qualité ne suffit pourtant pas à prouver qu’elles doivent au maître une quelconque filiation, tout juste un vague lien qu’anime le pastiche. Quelques unes, heureusement, sont effectivement et directement liées au peintre Catalan.

 

Pour une majorité d’entre ces succédanés, leurs auteurs semblent en effet davantage d’habiles artistes plutôt qu’artistes habiles, ayant le nez assez fin pour sentir les modes et puiser dans tous les vocabulaires des maîtres de la place, des postures et des vêtures éprouvées. Les résultats s’avèrent alors plus ou moins heureux, comme dans un portrait de Monsieur de Loynes de Gautray vendu à Drouot par Coutau-Bégarie le 28 novembre dernier (lot 107).

 

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À gauche : Ecole française du XVIIIe siècle - portrait de M. Loynes de Gautray - v. 1720 © d.r. 

À droite : Hyacinthe Rigaud - portrait de Charles de la Fosse - 1682 © d.r.

 

S’il singe de manière assez grossière un habillement que Rigaud utilisa notamment pour son premier portrait de Charles de La Fosse (collection privée), il n’en exploite aucun éclat. Pour sa part, le portrait d’évêque que la maison Eve a proposé le 7 décembre en salle 10 à Drouot semblait d’un meilleur effet (lot 57).

 

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École française du XVIIIe siècle - portrait d'évêque - v. 1720 © d.r.

 

Dans un ovale aux coins fleuris, l’ecclésiastique en buste regardait d’un air amusé le spectateur, vêtu de sa mozette au drapé inspiré des vêtures des évêques Rigaudiens des années 1720. Mais lorsqu’on s’en approchait, la fadeur de la facture rompait malheureusement l’illusion et redonnait le portrait à un suiveur plutôt qu’à l’exigence de l’atelier du maître.

 

Si l’on redonnera bien vite à Largillière plutôt qu’à Rigaud l’invention du portrait du marquis de Bérulle, évoqué par un émail peint en 1825 qui sera vendu le 12 décembre chez Artcurial-Briest-Poulain-F. Tajan (lot 47), d’autres tableaux retiennent davantage l’attention. C’est le cas du grand cardinal de Fleury, vendu par Audap & Mirabaud ce 5 décembre dernier sous le lot 50. A plusieurs reprises, nous avions évoqué la genèse de ce portrait, confectionné par Rigaud en 1728[1].

 

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Cabinet du roi d'après Hyacinthe Rigaud - portrait du cardinal de Fleury - v. 1750 © d.r.

 

On retrouvait ici une version de l’original perdu, sinon belle, du moins soigneuse. Anciennement conservé au Palais Rose à Paris, l’œuvre faisait partie de la collection d’Anna Gould (1875-1961), comtesse Boniface de Castellane, cette américaine « surtout belle vue de dot » qui devint l’un des piliers du gratin mondain parisien puis duchesse de Talleyrand et princesse de Sagan lors de son second mariage en 1906. Resté dans sa descendance jusqu’à son actuel propriétaire, l’œuvre, qui a souffert dans certaines parties (visage) devait supporter un rapide comparatif d’avec les exemplaires connus dont celui de la Goodwood House. En écho à l’attribution donnée à la vente, il nous semblait utile de rappeler qu’aucune version en pied, outre l’original, ne sortit de l’atelier. Les comptes de l’artiste sont formels à ce sujet, ne répertoriant que 10 copies en buste valant chacune 300 livres (une copie en pied à l’identique se négociant au moins 1000 livres). Il semble d’ailleurs peu crédible d’imaginer Rigaud, sans aide à cette époque, capable de fournir à l’envie des répliques de si grandes dimensions alors qu’il s’apprêtait à livrer sa troisième effigie de Louis XV dont il avait peint la tête dès 1727. En réalité, toutes copies circulant sur le marché ou conservées dans les collections publiques doivent, selon nous, revenir indubitablement au services du Cabinet du roi dont les comptes témoignent encore des paiements faits à des peintres officiels tels François Albert Stiémart (1680-1740) et son élève Pierre Charles Prevost (m. v. 1784)[2].

 

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Cabinet du roi d'après Hyacinthe Rigaud - portrait du cardinal de Fleury (détail) - v. 1750 © d.r.

 

L’examen direct de l’œuvre confirme nettement cette appréciation, montrant la fidélité de la reproduction, notamment dans les drapés, les accessoires, les perspectives et les textures, mais accusant un aspect un peu froid qui se retrouve dans les carnations, un peu métalliques. Le visage, nettement moins réussi en terme de ressemblance que celui de l’exemplaire de Versailles notamment (MV3763), lequel est attribué à Stiémart, empêche de voir ici l’intervention de Rigaud et renvoie plutôt à un artiste du Cabinet du Roi dont le solide métier permettait l’illusion. Il n’était donc pas incongru de voir cette œuvre au fort impact visuel dépasser l’estimation estimée de 8000 à 12000 € pour atteindre les 29770 €.

 

Le lendemain, et malgré l’exiguïté de la salle 16 à Drouot, la vente Fromentin fédérait quant à elle toute l’affluence de la journée du 6 décembre, probablement grâce aux importants Hubert Robert qu’elle proposait. Pourtant, dans le catalogue, et outre un joli Dupont qui laissait espérer bien mieux avec une restauration bien léchée, une image inédite de Rigaud réapparaissait (lot 25). Estimé 3000 à 4000 €, elle dépassait avec raison les 6000 €.

 

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Atelier d'Hyacinthe Rigaud - portrait d'homme - 1695 © d.r.

 

Malheureusement rentoilée mais heureusement bien restaurée de fraîche date, l’œuvre figurait un homme en buste drapé d’un grand manteau rouge, tourné vers la gauche, la tête vue de face. D’un format standard (82 x 65,5 cm), le tableau était agrémenté d’un cadre élégant. Indubitablement, nous étions en présence d’une toile de belle facture, comme nous l’a confirmé notre examen direct de l’œuvre à l’étude. Au dos, avait été rapportée une ancienne mention de l’atelier de Rigaud, datant le portrait : fait par Hyacinthe Rigaud 1695, corroborant ainsi le style de la perruque. Si la qualité du drapé s’imposa immédiatement, de même que son fini des textures, quelque chose nous dérangea dans la composition du visage, plus particulièrement dans la liaison de la face au cou.

 

 

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Atelier d'Hyacinthe Rigaud - portrait d'homme (détail) - 1695 © d.r.

 

Nombreux étaient pourtant les éléments typiques de la manière de Rigaud : l’humeur blanche dans les yeux, le regard doux, la vigueur des boucles des cheveux, la préparation rouge qui apparaissait ça et là… mais on ne pouvait comprendre pourquoi la virilité de la brosse, acceptable dans le manteau auquel elle donne un velouté fruité, conférait aux carnations un côté un peu brut, assez plat même car sans grande profondeur, sans grande science non plus du liant auquel Rigaud nous avait habitué dans ses visages. L'artiste aurait-il choisi de « bâcler » son travail, estimant bien suffissant un effet minimal du rendu des chairs dont il manque ici le travail de lissage ?

 

Il manquait à cette face, une transcription de l’âme dont Rigaud se faisait le véritable apôtre. Point du célèbre « beau fini » ici. Le modelé des chairs est fidèlement mais rapidement retranscrit, les paupières moins creusées qu’à l’ordinaire, l’ovale d’esquisse encore visible et les ombres juste suggérées. Tout le bas du visage, du menton au goitre semblait davantage « posé » sur un tronc que lié de manière naturelle à son anatomie.  Tous ces éléments d’arguments nous laissaient à penser que nous étions ici en présence de l’exemple type du portrait entièrement de la main d’un aide fidèle de Rigaud, peut-être plus habile à rendre les drapés qu’à rendre les secrets d’une parfaite physionomie, sans pour autant démériter par son talent. On sait que quelques privilégiés furent chargés par le maître, et justement dans les années 1694-1696, d’exécuter des copies entières d’originaux auxquels ils avaient déjà collaboré pour certaines parties. Ils se nomment Le Roy, Dupré, Gaspard Rigaud ou encore François Taraval. Mais en l’absence d’une traçabilité de l’historique de ce portrait, difficile de les faire correspondre une de leurs productions listées par ces aides à la date de 1695 avec un nom de modèle.

 

En espérant la redécouverte, un jour, de l’original, nous nous consolerons donc en appréciant la qualité globale de cette élégante version à sa juste valeur, et en lui réservant une place additive à notre catalogue à paraître...

 


[1] Perreau, 2004, p. 216-217.

[2] Paris, archives nationales, Maison du roi O1 1921 et suiv.

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