Monginot détail

Hyacinthe Rigaud - portrait de Monsieur Monginot (détail) © Galerie Aaron

 

L'espace de trois jours (27-29 avril 2011), voici une petite expo « éclair » que nous avons visitée ce midi. Organisée pour marquer la publication de l'ouvrage L’avènement du plaisir dans la peinture française par Clémentine Gustin-Gomez (auteur par ailleurs du catalogue raisonné de Charles de La Fosse) elle rassemble de bien superbes choses ; majoritairement des oeuvres du Grand Genre, soit la peinture d'Histoire (La Fosse, Le Brun, Mignard, Coypel...).

 

Quelques portraits ont néanmoins été glissés ça et là pour notre plus grand plaisir... 

En haut de l'escalier, deux ovales appartenant à la galerie depuis quelques années vous accueilleront. Nous les avions notamment vu en 2003, présentés en montre, dans des bordures à l’imitation du XVIIIe siècle. L'homme, peint par Rigaud (huile sur toile ovale, H. 81 ; L. 84,5 cm) et la femme, peinte par Largillierre ( huile sur toile ovale. H. 80,3 ; L. 69,5, n°43) ne sont pas identifiés. Anciennement dans la collection Sobieski (Pologne, n°42), ils étaient passés en vente chez Christie's, le 15 mai 1986 avant d'être acquis par Aaron.

 

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Hyacinthe Rigaud et Nicolas de Largillierre - portraits d'homme et de femme (v. 1701)  © galerie Aaron

 

Le portrait masculin, au visage probablement du maître et au drapé rapidement exécuté par l'atelier, reprend une attitude tout à fait caractéristique chez Rigaud dans les années 1701. En effet, on peut le rapprocher légitimement du portrait peint par l'artiste cette année là de Philippe-Louis Wenceslas François-Antoine-Bonaventure-Etienne, comte Sinzendorf (1671-1742), alors ambassadeur de l'Empire à Paris de 1699 à 1701. Une version du buste de Sinzendorf était passée en vente Christie’s à Londres le 6 juillet 1995 (lot 525, comme homme inconnu et suiveur de Rigaud). Le portrait fut gravé par Bernard Picart en 1713, lorsque Sinzendorf revint au Congrès d'Utrecht pour la seconde fois : « buste sans mains, d’après un tableau de même, fait pendant le premier séjour que ce seigneur fit à Paris en qualité d’envoyé de l’Empereur » nous dit Hult dans son catalogue de l'oeuvre de Rigaud ( passera dans la Galerie L’horizon chimérique (Paris-Bordeaux, 1992) puis dans la collection Christian Adrien acquis dans le commerce d’art à Bordeaux en 1994 (Sanguine sur papier blanc, mis au carreau à la pierre noire, traces de report inscrit à l’encre brune en bas à droite : n°26. H. 33 ; L.27 cm).Ces nombreux éléments de comparaison appellent donc à une datation du tableau de la galerie Aaron dans le tout début de ce nouveau XVIIIe siècle.

 

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Hyacinthe Rigaud - Jean-Baptiste Monginot (v. 1688)  © galerie Aaron

 

Plus loin, près d'un vibrant Tournières aux couleurs claquantes de vivacité, s'étale dans toute sa splendeur le vibrant portrait présumé de Monsieur Jean-Baptiste Monginot par Rigaud. Publié pour la première fois par Emmanuel Coquery en 1997 à l'occasion de la désormais mémorable exposition « Visages du Grand Siècle, Le portrait français sous le règne de Louis XIV » (Musée des Beaux-arts de Nantes/Toulouse, musée des Augustins, 20 juin - 15 septembre 1997). Reproduit dans le catalogue avec sa notice (p. 252-253) cet extraordinaire double portrait figure Monsieur de Monginot présentant le portrait ovale de son épouse. Le paiement de cette vaste composition (H. 135 ; L. 101 cm) est référencée dans les Livres de comptes du peintre en 1688 pour 202 livres et 10 sols (« M. Monginot » ; J. Roman, 1919, p. 15). Conservé dans la famille du modèle, le tableau passa par descendance à la famille Laugier de Beaurecueil ;puis fut vendu à Paris, hôtel Drouot le 3 juin 1988 (en pendant d’un portrait de Mme de Monginot par De Troy, également présenté dans le catalogue de l'exposition Nanto-toulousaine, p. 131). Lors acquis par la galerie Aaron, elle trouvait preneur en 1994 par l’actuel collectionneur (n°3 du catalogue de la galerie, repr.). qui la prête aujourd'hui le temps de l'exposition. En 2004, nous avions également pu publier cette oeuvre dans Hyacinthe Rigaud, le peintre des rois (p. 30, repr. p. 31, fig. 13).

 

 

L’identification du présent modèle comme membre de la famille Monginot repose à la fois sur l’ancienne provenance du tableau (et sur celle de la toile de Nantes) mais également sur la mention des livres de comptes que Roman interpréta comme Jean-Baptiste de Monginot (v. 1664 – Lambesc, 10 janvier 1744), gentilhomme provençal, qui officia comme maître chirurgien (si l’on en croît les registres de Lambesc). Le prix plutôt élevé correspond effectivement à une attitude originale et au fait que deux personnages pouvaient être représentés. Originaires de Langres, les Monginot ne nous ont laissé que peu d’indices biographiques. La famille se serait établie en Provence dès la fin du XVIe siècle ou au tout début du siècle suivant. Mathieu Monginot (av. 1625 – v. 1696), le père, se maria à Lambesc, le 2 février 1643, avec Isabeau Varette.  Jean-Baptiste quant à lui, s’unit à Jeanne Viton le 17 septembre 1696.

 

En examinant de près les drapés encore un peu jeunes ainsi que le style tout à fait typique de ces années 1680-1690 du vêtement de Monginot (avec cette boutonnière très ornée), l’attribution à Rigaud ne fait aucun doute. Le traitement déjà très subtil des expressions du visage, les mains fines et expressives, la couleur rouge du manteau bien caractéristique du style, corroborent cette paternité.

 

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Atelier d'Hyacinthe Rigaud - études pour le portrait de la famille d'Ecquevilly (v. 1692)  © d.r.

 

En 1692, et contre 735 livres (somme très élevée pour l'époque), Rigaud livrait un portrait de Madame d'Ecquevilly et de ses trois enfants (Roman, p. 29). C'est probablement une étude pour une partie de ce portrait que nous retrouvons chez Aaron dans la seconde salle de l'exposition, et faisant partie du fond de la galerie. A l'occasion d'un récent article sur Rigaud et les femmes, nous avions signalé la parenté très frappante de cette craie noire et blanche sur papier bleu (H. 26,5 ; L. 21 cm) avec le style du peintre catalan. Si le tracé nerveux et quelque peu hésitant peut franchement être attribué à un aide d'atelier, la composition doit être rendue à Rigaud et rejetée de l'oeuvre de Largillierre, contrairement à ce que proposait la vente dans laquelle la feuille acquise par Aaron (Vente Paris, Hôtel Drouot, Piasa, 10 décembre 2003, lot 57). On y retrouve en effet dans l'étude la position du bras maternel, à droite, très proche de celle du portrait de Suzanne de Boubers de Bernâtre cueillant des fleurs (Zürich). Très récemment, on nous a signalé un portrait de femme accompagné de sa fille (Allemagne, Collection particulière), reprenant les éléments présents sur le dessin.

 

La famille Hennequin, venant de Flandre, s’établit très tôt en Champagne, si l’on en croit le Mercure de France de 1735 (p. 618) : « Il y a plus de 400 ans qu’à Troyes, en Champagne, il y a des monumens de la piété & de la libéralité de cette ancienne famille ». Compte tenu de la date de confection de ce quadruple portrait, selon la note manuscrite des livres de comptes, il est très vraisemblable de voir ici l’effigie de Madeleine Thérèse Euphrasie de Marillac (décédée en 1727), fille de Jeanne Potier-d’Ocquerre (décédée en 1681) et de Michel II de Marillac (mort le 29 novembre 1684), seigneur d’Ollainville, baron d’Attichy, conseiller extraordinaire puis conseiller d’honneur au parlement de Paris. Elle avait effectivement épousé, en 1682, André Hennequin, marquis d’Ecquevilly, seigneur de Fresnes (le château avait été acheté le 13 septembre 1607 par sa grand-mère, Jeanne Brulart, alors veuve de Pierre Hennequin), seigneur de Bouaste, La Muette-Vérigny, Gourzon, Presles et baron Héez en Artois. Surnommé « le vautrait », du nom donné à l’équipage destiné à la chasse au sanglier, le marquis eut, en 1659, la survivance de la charge qu’occupait son père : « capitaine général de la Vénerie des toiles de chasses, tentes et pavillons du Roi & de l’équipage du sanglier ». A l’époque où Rigaud fixe se s traits, elle avait plusieurs enfants survivants : Michel-André (futur prêtre et abbé commandataire de Mézières), Augustin-Vincent (mort en 1749), qui embrassera une carrière militaire, notamment comme Guidon des Gendarmes (tout en obtenant la survivance de la charge de son père), Thérèse (mariée en 1717 à Louis le Pelletier (1690-1770), marquis de Villeneuve, conseiller (1709), président à mortier (1712) puis premier président au Parlement de Paris en 1736) et Anne-Madeleine, marquise de Bellefonds par son union, en 1706, avec Louis-Charles Bernardin Gigault (1685 – 10 août 1710), maître de camp d’un régiment de cavalerie de son nom, gouverneur et capitaine des chasses des château et parc de Vincennes.

 

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Nicolas de Largillierre - Mademoiselle de La Fosse (1716)  © d.r

 

Pour terminer, nous n'avons pas goûté notre plaisir en revoyant le non moins ravissant portrait présumé de Mademoiselle de La Fosse par Largillierre, élégant petit buste signé et daté 1716, que l'hôtel des Ventes de Senlis avait proposé à la vente le 17 octobre 2010 (lot. 30) comme... école XIXe (!!!!)... Ses nombreux amateurs éclairés qui reniflaient une bonne affaire en s'intéressant anormalement à cette faible chose, celle-ci fut rapidement retirée avant les enchères pour être à nouveau expertisés (comme Largillierre cette fois). Désormais débarrassé de son trop grand « cadre à la marguerite » et d'un passe-partout assez moche, il appartient désormais à la galerie parisienne qui lui a rendu sa belle dimension dans une bordure plus en adéquation avec sa taille.

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