Atelier d'Hyacinthe Rigaud. Portrait de femme, v. 1720 © photo Libert svv
C'est assez rare pour qu'il faille le souligner. Placées très hauts dans la salle 4, soumises à un éclairage peu glorieux, les deux grandes toiles n°31 et n°37 se gaujeaient.
La parité est pourtant parfaite : une femme, un homme. De la première, on ne connaissait pas grand chose. À première vue nous nous sommes dit... du « Rigaud pinxit 1694 » ? Intéressant, mais quel fossé qualitatif entre cette toile et d'autres produites à la même époque ! Il suffisait, pour s'en convaincre, d'admirer le portrait de la famille Lafitte (Paris, musée du Louvre. Inv. 7520), un ensemble réunissant Claire-Marie-Madeleine-Géronime Rigaud, sœur de l’artiste, de son époux, le Jean Lafita, bailli royal de Perpignan et leur première fille, Marie. Selon Louis Hourticq, « une brune grassouillette, sa figure ronde casquée d’un beau chignon de cheveux noirs […], nous lorgne de côté, la prunelle brillante et mobile, la lèvre prête à rire, la chair prête à fleurir en fossettes ».
Un cartouche sur la bordure identifiait la modèle : portrait présumé de Marie Aupoys, femme d'Antoine Marc, seigneur de Lignerolles (ci-dessus), dont les livres de comptes se référencent pas la production. Cela sentait donc le cadre rapporté car la notice nous disait aussi qu'il s'agirait de la comtesse d'Egmont... Mais ce n'est pas une excuse nous dirons-nous. Nombreux sont les portraits « oubliés » des livres de comptes... Si l'ordonnance semble bien appartenir au vocabulaire de l'artiste catalan, la molesse du traitement de drapés, la raideur du traitement des carnations et des mains en distortion surtout, semblent réorienter la paternité de cette oeuvre vers un élève copiste ou alors à une période plus tardive de Rigaud, à un moment où le métier l'emporte sur la véritable inspiration. La matière reste aussi très aplatie, proche d'un dessin que l'on nous a signalé à l'Albertina de Vienne. Divers éléments s'y retrouvent comme le regard un peu vitreux et la main repliée vers le buste. Mais seule une restauration pourrait démentir l'aspect non autographe car un doute subsiste tout de même... l'homogéneité de la touche (où l'on ne sent pas plusieurs mains), ne plaide pas pour une oeuvre de construction multiple. Rigaud ne se serait pas contenté de peu, queltion d'image et de standing (les boucles de la perruque sont très schématiques.).. mais alors, tableau d'atelier d'après un prototype du maître ? Toute de même, cette tête nous paraît vissée sur le corps quelque peu disproportionné. Enfin, la taille du tableau suggère un prix assez élevé, justifié en partie par la représentation des mains et de la composition à mi corps. Cette chère Marie Aupoys du Manoir n'aurait sans doute pas eu les 400 ou 500 livres nécessitées par l'oeuvre.
Estimé 12000 à 15000 euros, l'ensemble avec son cadre ancien à décor de coquilles et rinceaux fleuris (mais aussi assez abîmé) ne trouvait pas preneur. Le tableau a donc été représenté à Drouot le 29 septembre (lot 28) à 4000/5000 euros, vendu sans cadre (celui-ci était vendu sous le lot 96 à 4000/5000 euros. De nouveau, pas d'acquéreur. La toile retrouvait son cadre dans la vente non cataloguée du 20 octobre 2010 où elle était acquise par une galerie parisienne. Quelques mois plus tard nous l'y avons revue, assez transformée car le vert de la robe avait retrouvé son... orangé ! Evidemment, certains avaient cru à une autre version du tableau de Libert alors qu'il était aisé de voir qu'il s'agissait de la même toile... L'examen de l'oeuvre a confirmé l'aspect un peu mécanique des drapés, témoins d'une période plus tardive. Visiblement, nous reverrons ce portrait très bientôt en vente publique à Monaco nous a indiqué le galleriste.
Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait de Charles Gaspard Dodun @ photo Libert svv.
Même réflexion de mi-qualité concernant le portrait de notre très cher Gaspard Dodun, contrôleur général des finances qui n'avait pas hésité à débourser 3000 livres en 1735 pour un portrait à mi-corps, le figurant à sa table de travail, écrivant au Roi, et lové dans un environnement pallatial. La toile originale étant toujours conservée dans les collections du créateur Karl Lagerfled, nous sommes en présence ici d'une des nombreuses versions que Dodun, par ses fonctions, se devait de faire distribuer politiquement à ses officines : trois bustes, deux grands copies et deux autres juste avec le mains furent produites entre 1724 et 1726.
Hyacinthe Rigaud, portrait de Charles Gaspard Dodun © d.r.
Cette version vient utilement enrichir une comparaison avec la version en buste du musée des Beaux-arts de Nantes (Inv. 690. Anc. Coll François Cacault-Clisson ; Achat du musée en 1810).