Le 30 mars prochain sera dispersée chez Aguttes, la belle collection de Thierry et Christine de Chirée. Outre l’intéressante histoire de la constitution de cette collection avignonnaise, laquelle était conservée dans un écrin de la cité des papes, on mentionnera deux Rigaud, déjà passés en vente à Paris.

 

1704

Portrait de l'abbé de Joly © Aguttes

 Le premier (lot 327) est le portrait en buste de l’abbé Jolly (1). Il avait été acquis par des De Chirée pour 8385 € lors de la vente Milon & Associés, à Drouot, le 3 décembre 2001, lot 85 (2). Estimée cette fois à 10000 / 15000 €, l’œuvre est présentée dans un cadre d’époque Louis XIV à rinceaux, typique des ovales de cette époque et dont nous retrouvons de nombreux exemplaires (3). C’est en 1704 que Hyacinthe Rigaud reçoit un paiement de 100 livres contre cette œuvre sévère mais très caractéristique des portraits d’ecclésiastiques (4). Au dos de la toile d’origine (H. 82,5 ; L. 65.5 cm), une inscription a d’ailleurs été conservée : « fait par Hyacinthe Rigaud. 1704 ».

 

En cette année 1704, Roman a avancé le nom de Michel Jolly, bachelier en Sorbonne (1677), sous-diacre, prévôt d’Ingré et prieur de Carembier (1701), mais sans grande conviction. Mme James-Sarazin avoue, dans la notice du catalogue Aguttes : « plusieurs abbés Jolly vivent à cette époque et il est difficile de confirmer ces éléments de biographie ». Heureusement une bienveillante digression biographique à propos de l’aide d’atelier Delaunay, qui fut payé 6 livres pour avoir réalisé « L’habit de Mr l’abbé Joly » (5) vient habilement grossir une notice qui ne pouvait qu’être mince (6).

 

Malheureusement, il n’y a pas grand-chose à dire pour le moment sur ces abbés Jolly (ou Joly, c’est selon) peints par Rigaud.

Seule l’identification d’un premier « abbé Joly [sic] » chez Rigaud,  dont le paiement de 44 livres avait été inscrit aux livres de comptes du peintre en 1682, avait permis à Joseph Roman de proposer les traits d’Edme Jolly (Doué, 24 octobre 1622- Paris, 26 mars 1697), qui fut troisième supérieur général de la congrégation de la mission de Saint-Lazare à Rome de 1691 à 1694 (7). Fils d’un procureur fiscal de Doué, au diocèse de Meaux (Brie-Champenoise), Jolly avait étudié la philosophie et la théologie à Beauvais. Puis, l’homme « avait été choisi par l’ambassadeur de France, le marquis de Fontenay, comme gentilhomme de sa compagnie à Rome. Dans la Ville Éternelle, Edme Jolly fut employé quelque temps au tribunal de la Daterie. Mais au cours d’une retraite, il se décida à entrer à Saint-Lazare. Il avait alors vingt-quatre ans (8). » On sait donc qu’il était arrivé à Rome dès 1648 (9) et qu’il était à Paris dans les années 1683 où on le retrouve sur différents actes notariés parisiens… Peut-être un jour ses archives ou documents de succession permettront de retrouver (ou non) la trace de la commande faite à Rigaud. Résultat : 11476

 

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Hyacinthe RIgaud, portrait d'homme © Aguttes

 

Le second portrait de la vente Aguttes est l'effigie d’un probable avocat à une cour. L’huile sur toile (10), est présentée dans un cadre de style provençal du XVIIe siècle, que l’on dit d’origine (ce qui pourrait donner un indice sur l’identité, malheureusement difficile à donner, du modèle).

 

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Portrait de magistrat. Détail © S. Perreau

 

L’habit de cet homme au regard doux et à la mine quelque peu malicieuse, est très caractéristique. Sur de nombreux autres portraits, il a parfois été confondu avec celui des ecclésiastiques :

 « Les Avocats portèrent la soutane & le manteau long ; de sorte qu’ils étoient habillés comme sont présentement les Ecclésiastiques, & la plupart l’étôient en effet. […] La robbe ordinaire des Avocats a toujours été de couleur noire, de même que celle des autres Officiers de Justice : mais il n’est pas douteux que leur Robbe de cérémonie étoit la robbe rouge ou d’écarlatte. […] Le rabat n’étoit autre chose dans son origine que le collet de la chemise que l’on rabattoit autour du col pour la propreté. On en a fait ensuite un ornement, & la forme en a varié plusieurs fois avant d’arriver à celle qui est aujourd’hui usitée (11). »

 

1690 (v.) - Homme (Vte Piasa 2000)

tableau avant restauration © Piasa

 

Dominique Brême avait déjà attribué la toile à Rigaud, lorsqu’il fut proposé à la vente à Drouot par Piasa, le 27 mars 2000 (12) et la datait des années 1690-1700. Acquis pour 9452 € par les actuels collectionneurs, il est proposé aujourd’hui entre 6000 et 8000 (Résultat : 10201 €). La notice renvoie stylistiquement au portrait de magistrat du musée de Boston, qui semble plus tardif, probablement des années 1720-30.

 

Boston

Hyacinthe RIgaud, portrait d'homme © musée de Boston

En guise de « bonus », on notera le portrait attribué à Tortebat (lot. 311, ci-dessous à gauche) et qui reprend à la lettre (au drapé près) l’attitude fixée par Rigaud en 1692 pour son ... autoportrait au manteau rouge… (ci dessous à droite) ! Résultat : 1785 €.

 

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© Aguttes                                                        © S. Perreau

 

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(1) Lot. 327, repr. p. 278 du catalogue.

(2) Repr. p. 58 du catalogue. Expertisé alors par Dominique Brême.

(3) Voir le portrait d’Alexandre Millon au château de Thoiry…

(4) Joseph Roman, 1919, p. 108 : « Mr l’abbé Jolly ».

(5) Roman, op. cit., p. 212.

(6) Dommage que la thèse inédite citée en bibliographie ne soit pas consultable autrement que par longues voies administratives. Substitution néanmoins plus heureuse que l’évocation du nombre des échanges de courriers en vue de l’expertise et qui parfois sert habilement d’anti-datation pour « l’invention » d’un tableau…

(7) Roman, 1919, p. 3.

(9) « 1er mai 1649 : Edme Jolly, futur Supérieur général, est ordonné prêtre. Il est arrivé dans la Ville Eternelle, il y a un an : après ses dix-huit mois de séminaire à Saint-Lazare, Monsieur Vincent a pensé que ce jeune homme de vingt-sinc [sic] ans serait d’un bon secours pour les confrères de Rome ». Cité dans Sœur E. Charpy, « Ephémérides de la congrégation de la Mission et de la Compagnie des filles de la Charité », Écho de la Maison-Mère, Supplément, 1957, p. 393-394.

(10) H. 75 ; L. 59,5 cm. Lot. 328, repr. p. 279 du catalogue.

(11) Pierre Biarnoy de Merville, Boucher d’Argis, Règles pour former un avocat…, Paris, 1753, p. 76.

(12) Lot 71, repr. p. 44 du catalogue.

(13) Le tableau considéré comme original est conservé à la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe (Inv. 476).  Huile sur toile. H. 42 ; L. 34,5.  Mentionné en 1692 sans prix (rajout de Hulst : « M. Rigaud [par] lui-même ») ; Acquis par la margravine Caroline Luise d’une vente parisienne en 1762 et inscrit sur les catalogues comme : « 1 portrait de Rigaud representans luy meme » (Archives de la famille, Karlsruhe, correspondance de la margrave Bd. 98).  Hulst/2, p. 155 ; Huslt/3, p. 174 ; Roman, 1919, p. 32, 49 ; Parthey, II (1864), p. 365, n°16 ; Kirchern Karoline Luise, 1933, p. 122, n°36, p. 131, n°53, p. 206 ; Vollmer, dans Thieme-Becker XXVIII, 1934, p. 350 ; Goldscheider, 1936, repr. 276 ; Cat. Karlsruhe, 1963, n°15 ; Lauts, dans Connaissance des Arts, n°160, juin 1965, p. 114 ; Cat. Karlsruhe, 1966, p. 250 ; Cat. Karlsruhe, 1971, p. 14-19 ; Cat. Karlsruhe, 1983, n°205 ; Perreau, 2004, p. 135-136, repr. p. 135, fig. 101 (toile) et p. 136, fig. 102 (gravure) ; Rosenberg, 2005, n°961, p. 165 ; Rosenberg & Mandrella, 2005, n°961, p. 164, repr. ; cat. Exp. Rigaud intime, La Célestina, 2009, p. 96. 

(14) Gravé par Gérard Edelinck en 1698 et en contrepartie : « Hyacinthus Rigaud Pictor Regius natus Perpiniani. / Edelinck Eques Romanus et Regius Sculptor in aes incidit amicum simul et amicitam aeternitati consecraturus / se ipse pinxit / Edelinck sculp. C. P. R. ». Plusieures copies sont connues, relayées par les traveaux de l'atelier (« Cinq draperies à des copies de mon portrait » faites par Gaspard Rigaud pour 25 livres en 1695). Une version (Huile sur toile, réduite en buste  H. 81 ; L. 65) était dans l'acienne collection Vidal, n°89 ; Collection Paul du Bouys à Paris ; Sa vente, 28 mars 1941, lot 45.

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