Charles Sevin de La Penaye : dernier aide d'Hyacinthe Rigaud
08 nov. 2012Le 19 octobre dernier, sous le lot 60, la toute nouvelle maison Artemisia, proposait un portrait de Louis XV (Huile sur toile, 95,5 x 75 cm)[1] qu’un examen trop rapide aurait très bien pu faire passer pour un Rigaud ou assimilé. En réalité, il correspondait précisément à une commande particulière de l’atelier de maître, à l’un de ses aides les plus précieux : Charles Sevin de La Penaye (1685-1740)
Charles Sevin de La Penaye : Portrait de Louis XV en armure – 1721.
Collection particulière © Artemisia auctions
Le tableau, inédit jusqu’à ce jour, est un apport important à la connaissance du corpus assez vaste du peintre Hyacinthe Rigaud et celui plus méconnu de son dernier et plus fidèle élève, Charles Sévin de la Penaye (1685-1740). En effet, par son format[2], le sujet qu’il représente et l’homogénéité de sa facture, il correspond parfaitement à une œuvre faite sous les ordres du maître, payée 40 livres à La Penaye en 1721 puis retouchée par Rigaud : « autre buste de Louis 15 sur une toille de trente sols »[3]. S’extirpant ainsi de la masse de portraits anonymes d’un Louis XV en armure, cette œuvre rare due à un jeune artiste de qualité vient autant éclairer d’un jour nouveau le fonctionnement même de l’atelier de Rigaud qu’un contexte bien précis de création. Elle témoigne en tous cas de la volonté de diffuser l’image du roi à une époque où Jean-Baptiste Van Loo (1684-1745) n’avait pas encore occulté tous ses concurrents avec son premier portrait du monarque (1724).
Au lendemain de la mort de Louis XIV, dont il avait fixé la majesté en 1701 dans un portrait mémorable (Paris, musée du Louvre. Inv. 7492), Rigaud peignit trois grandes effigies de Louis XV en costume royal[4]. La première, où on le voit assis sur son trône pointant son doigt vers l’extérieur du tableau fut confectionnée de 1715 à 1717 et payée 8000 livres (Versailles, musée national du château. MV3695).
Hyacinthe Rigaud : Portrait de Louis XV – 1715.
Versailles, musée national du château © Stéphan Perreau
La seconde, réalisée en 1721 pour la même somme, est une commande du roi d’Espagne, Philippe V, dont on projetait de marier la fille, Marie-Anne-Victoire de Bourbon (1718-1781) à son royal cousin français. Pour l’occasion, Rigaud a légèrement vieilli son modèle et l’a représenté debout (Madrid, Palacio Real. Patrimonio Nacional. Inv. 10003072).
Hyacinthe Rigaud : Portrait de Louis XV – 1721.
Madrid, Patrimonio Nacional © Patrimonio Nacional
La troisième enfin, commencée par le visage en 1727, fut livrée en 1730 et atteignit la somme de 15000 livres (Versailles, musée national du château. MV3750). Durant toute cette période, et contrairement à une idée reçue, aucune réplique à l’identique de ces tableaux ne sortit directement de l’atelier de Rigaud. Celles que nous connaissons actuellement dans les collections publiques, sont en réalité des œuvres de François Albert Stiémart (1680-1740), copiste officiel de l’administration des Bâtiments du roi[5].
François Albert Stiémart d'après Hyacinthe Rigaud : Portrait de Louis XV – 1739.
Suède, collection particulière © d.r.
Depuis 1716, Rigaud, qui n’avait plus à ses côtés que La Penaye pour l’aider, était bien trop occupé à son tableau pour pouvoir répondre à la demande de duplication. Il dut donc inventer une composition capable de synthétiser tous les éléments de la « nouvelle » royauté, tout en étant rapide à reproduire. De son côté, il pouvait se consacrer en toute quiétude à l’achèvement de l’effigie originale et contrôler le travail accompli par son aide en retouchant au besoin certaines parties des copies. Tout juste s’autorisa-t-il à réaliser de sa main en 1717 deux exemplaires à 300 livres destinés à être offerts par le roi à des commanditaires prestigieux, l’archevêque d’Aix-en-Provence, Charles-Gaspard de Vintimille du Luc (1655-1746)[6] et le Grand duc de Toscane, Comes III de Médicis (Florence Palais Pitti)[7].
Hyacinthe Rigaud et Charles Sevin de La Penaye : Portrait de Louis XV en armure – 1717.
À gauche : Montauban, musée Ingres © Musée Ingres
À droite : Florence, Palais Pitti © photo Stéphan Perreau
Tout en conservant le port de tête dans son prototype en buste, Hyacinthe Rigaud figura donc Louis XV avec le visage tourné vers la droite de la composition, le plus souvent habillé d’une cuirasse qui laisse voir les manches d’une veste brune. Dans la version Artemisia, détail inédit, Louis XV est habillé des brassières et des épaulettes de son armure. Le manteau royal à fleurs de lys est ensuite jeté sur ses épaules, agrafé par une broche de rubis et diamants. Enfin, le fond est la plupart du temps neutre et seul un rebord de pierre sur le devant vient fermer la scène. Suivant les versions, Rigaud prévoyait de montrer ou non les mains. Dans notre exemplaire, ainsi que dans celui conservé au musée Ingres de Montauban[8] (le plus proche stylistiquement mais en moins bon état), la main droite est simplement esquissée et retroussée sur la hanche. Celle de gauche se pose sur une couronne au premier plan. Contrairement à la toile montalbanaise qui montre un visage « type 1715 »[9], notre portrait fut peint d’après le tableau de 1721 dont il emprunte les traits préadolescents. On retrouve d’ailleurs cette face à l’identique, à la fois dans les estampes exécutées par les Drevet père et fils, ainsi que dans une réduction en buste du portrait de 1721, vendue à l’hôtel Drouot le 6 juin 2002[10]. Notre portrait montre également de manière inédite un rideau à gauche et, à droite, un mur de fond décoré d’une colonne en pilastre.
Pierre Drevet et Pierre-Imbert Drevet d'après Hyacinthe Rigaud : portrait de Louis XV (1721)
Collection privée © Stéphan Perreau
En dehors de ses collaborations ponctuelles à des portraits de Rigaud, La Penaye nous a laissé quelques œuvres entièrement de sa main qui donnent de bons éléments de comparaison et achèvent de nous convaincre de la paternité de notre tableau. C’est notamment le cas de sa version signée du portrait de l’abbé Pucelle (Paris, collection particulière), dont l’original avait été confectionné par le Catalan en 1721[11]. On y retrouve une parfaite maîtrise du fondu des chairs qui donnait tant de lumière aux visages ou aux mains peintes par son maître. L’examen attentif du tableau de la vente Artemisia, assez différent dans sa matière de la version florentine attribuée à Rigaud lui-même, montre une grande homogénéité de la touche, preuve que La Penaye en est majoritairement l’auteur. Contrairement à son maître, il prit ici le parti d’esquisser certains éléments du décor jugés secondaires (rideau, main sous le manteau), pour ne se consacrer qu’aux parties majeures du portrait qui accrochent et flattent l’œil. Ceci est loin d’être étonnant car la toile devait être vue de loin. Le visage, par contre, est traité avec beaucoup de soin. Il fut peut-être retouché dans ses carnations par Rigaud mais cette intervention semble à peine perceptible tant le travail de La Penaye fut probablement jugé satisfaisant pour sortir de l’atelier tel quel. Le manteau bleu, avec ses reflets d’or, est particulièrement soigné de même que les effets de matière sur une cuirasse dont le collaborateur connaissait tous les secrets.
M. L. Salvador d'après Rigaud. portrait de Louis XV (1753)
Collection privée © Stéphan Perreau
Contrairement à ce que l'on affirmait jusqu'ici, et comme nous avons pu le retrouver, Charles Sevin de La Penaye est né à Fontainebleau le 16 novembre 1685, d’un père gouverneur des oiseaux de pêche du roi. Son parrain, Raymond Meusnier, officiait comme conseiller du roi et président à l’élection et grenier à sel de Melun. Sa marraine Rose Paulmier, était l’épouse de Guillaume de Verneuil, lieutenant des chasses de la capitainerie de Fontainebleau. On connaît peu de choses sur sa formation mais ses rares œuvres autographes montrent un pinceau généralement très moelleux, au travers duquel on ne sent aucune besogne. Son talent était reconnu et nombreux furent les portraits dits « originaux » qui furent en réalité complètement habillés par La Penaye[12]. Son manière, acquise d’un maître auprès duquel il officiera officiellement de 1705[13] à 1726, lui avait permit d’apposer sa signature aux côtés de celle de Rigaud sur le grand portrait de Bossuet (Paris, musée du Louvre). On voit encore le nom de « Sevin » sur un signet dépassant d’un livre en bas de la composition. Sa grande connaissance de la clientèle et du style du peintre Catalan l’avait enfin fait courtiser d’une clientèle acquise aux modèles du Catalan[14].
Le 9 mai 1733 d’ailleurs, Hyacinthe Rigaud avait su récompenser son aide en lui offrant la jouissance d’une des ses actions de la compagnie des Indes[15] et il lui confia également le soin de rapporter lui-même dans les livres de comptes, l’intitulé des tableaux sur lesquels il collabora. On reconnaît d’ailleurs bien l’écriture déliée de La Penaye, utilisée dans son propre testament, couplée à l’utilisation de la première personne du singulier.
Extrait du « Memoire de largent que j’ay donné des copies que j’ay fait faire » de Hyacinthe Rigaud pour l'année 1718. Paris, Bibliothèque de l'Institut de France. MS. 625 © photo Stéphan Perreau
Le 17 mars 1740 enfin, lorsque La Penaye décéda dans une maison de la rue Montmartre à Paris, le commissaire au Châtelet Pierre Regnard « le jeune » qui procéda à l'apposition des scellés un quart d'heure plus tard, ne ne trouva que peu de biens laissés par testament aux héritiers du deffunts restés à Fontainebleau[16]. Parmi les quelques tableaux qu’on répertoria, on note un « Louis XV dans sa jeunesse » qui se retrouve dans l'inventaire inédit de La Penaye, attestant probablement de son goût à figurer le monarque enfant.
Signature de La Penaye sur son testament © photo Stéphan Perreau
[1] Selon la tradition que donne un cartouche en bas de la bordure, le portrait aurait été offert par le roi à Claude Jean Eugène de Jouffroy d’Abbans (1715-1796), second marquis de Jouffroy d’Abbans, chevalier de l’ordre de Saint-Louis (1750), chevalier de Saint-Georges (1745), capitaine au régiment de Lorraine. Fils de Claude François (1682-1771) et de Charlotte Mouchet de Battefort, il épousa le 15 décembre 1750 Jeanne Henriette de Pons de Rennepont avec qui il eut notamment, Claude (1751-1832), qui appliqua le premier la vapeur à la navigation.
[2] Voir Anonyme v. 1760, Projet d’une sorte de tarif pour régler le prix des tableaux relativement à leur grandeur, présenté à M. le marquis de Marigny, directeur et ordonnateur général des Bâtimens du Roy, Jardins, Arts, Académies et Manufactures Royales, Paris, archives nationales, Y458, communiqué par Henri Stein, « L’art tarifié », Nouvelles archives de l’art français, 1888, t. IV, p. 270-271.
[3] Paris, Institut de France, ms. 625, f°34. Joseph Roman, Le livre de raison du peintre Hyacinthe Rigaud (1659-1743), Paris, Laurens, 1919, p. 184.
[4] Stéphan Perreau, Hyacinthe Rigaud, le peintre des rois, Montpellier, 2004, p. 90, 100, 104-108.
[5] On lui doit les versions de Rouen, Compiègne et New York et peut-être celles de Reims, Chambéry et Frohsdorff. Tous les travaux de Stiémart, listés dans l’ « Etat des ouvrages de peinture faite pour le roy depuis 1716 jusques et compris 1729 » (Paris, archives nationales, O1 1921a), sont des copies strictes des œuvres originales, parfois réduites mais jamais transformées.
[6] Par ailleurs futur client de Rigaud en 1731 (S. Perreau, op. cit. 2004, p. 117).
[7] D’un format standard (81 x 65 cm), le tableau est aujourd’hui exposé au palais Pitti de Florence et présente un aspect très proche de notre tableau mais sans les mains, masquées par des drapés et un muret de pierre au premier plan.
[8] Huile sur toile, 91 x 72 cm. Inv. MI.843.1.5.
[9] Il appartient peut-être aux huit bustes réalisés entre 1716 et 1717 dont trois par La Penaye. Un autre sera exécuté en 1716 et de manière exceptionnelle par Pierre Benevault (1685-1767), un professeur de l’Académie de Saint-Luc dans laquelle le Catalan avait l’habitude de puiser ses collaborateurs.
[10] Il n’y a aucun changement dans la vêture originale. Huile sur toile, 75 x 60 cm, lot 34 (Artcurial). Donné par le roi à son précepteur Monseigneur d’Osmond ; passé par héritage à la famille de Saint-James au château de Bajen dans le Comminges ; Légué à sa mort en 1840 à sa filleule Ovide de Saint-James au château de Martres-de-Rivière où il est resté jusqu’à sa vente.
[11] Magny-les-Hameaux, musée national des Granges de Port Royal.
[12] C’est le cas notamment du maréchal de Belle-Isle (1713), des marquis d’Ancenis et de Montrevel (1711), de Madame Thiroux de Villercy (1713)…
[13] En 1718, il reçoit 10 livres pour « l’habillement à un buste de Mr l’évêque de Troye que je n’ay pas entièrement fait » ce qui montre qu’il fut chargé un temps de tenir les comptes de son maître.
[14] Le prince Antoine 1er de Monaco, peint par Rigaud en 1706, sollicita La Penaye dès 1722 pour qu’il lui fournisse les copies des portraits de grands du royaume afin de se confectionner une galerie d’Illustres sur son rocher. La Penaye « pista » donc les œuvres dans tout Paris grâce à sa connaissance des réseaux de son maître.
[15] « Fut présent Hiacynthe Rigaud, escuier, peintre ordinaire du Roy, chevalier de l’Ordre de Saint-Michel, demeurant à Paris, rue Louis-le-Grand, paroisse Saint-Roch, lequel, par considération pour Charles Sevin de la Pennaye, peintre, a, par ces présentes, donné par donation entre-vifs et irrévocable audit sr Sevin de la Penaye, demeurant à Paris, rue Montmartre, paroisse Saint-Eustache, à ce présent et acceptant, l’usufruit et jouissance, la vie durant du sr de la Pennaye, d’une action intéressée de la Compagnie des Indes, en date du 2 janvier 1731, signée Villecourt, contrôlée, signée Boste, n°23979, pour en jouir ledit sr de la Pennaye et en recevoir tous les dividendes et autres bénéfices à compte des six premiers mois de 1733, se réservant, le sr Rigaud, pour ses héritiers et ayant cause la propriété de ladite action au jour du décès du sr de la Pennaye ; tous les revenus et bénéfices de ladite action qui ne lui auront pas esté payez de son vivant seront et demeureront réunis à ladite propriété pour appartenir à ceux qui auront droit lors ; à laquelle propriété et pour assurer cette propriété au sr Rigaud et ayant cause et l’usufruit et jouissance au sr de la Penaye, les parties, en la présence et compagnie des notaires au Châtelet de Paris soussignés, se sont transportés en l’hôtel de la Compagnie des Indes, au bureau du sieur Joseph Peschevin, caissier général de la Compagnie, où estant, elles ont déposé audit sr Peschevin, conformément à l’article 17 de l’édit du mois de juin 1725 registré au Parlement, ladite action de la Compagnie des Indes, n°23979, avec les deux dividendes de 1733, pour luy garder comme dépositaire et fournir au sr de la Pennaye les dividendes, aux 1er janvier et juillet de chaque année, sa vie durant ». Paris, archives nationales. Y335. Le 12 mars 1741, Rigaud récupèrera comme convenu l’action.
[16] Paris, archives nationales, Y15247. Contenu résumé par Jules Guiffrey, « Scellés et Inventaires d'artistes », Nouvelles archives de l’art français, IV, Paris, 1883, p. 375, 376.