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Atelier de Hyacinthe Rigaud - Portrait du cardinal de Fleury (v. 1728) - coll. priv. © Beaussant-Lefebvre 2012

 

Le cardinal de Fleury, le comte d'Evreux, le duc de Lesdiguières, Louis XIV, Vintimille... le marché de l'art printannier nous apporte quelques nouvelles petites graines Rigaudiennes toujours plaisantes.

 

Si au cours de ces derniers mois nous avons pu revoir et découvrir un certain nombre d'œuvres autographes en collections publiques et privées, les pièces d'atelier n'en sont pas pour autant moins appréciables. En témoigne une élégante version du cardinal de Fleury, en buste, produite par une « entreprise Rigaud » soucieuse de contenter ceux pour qui une effigie « en pied » aurait été impossible à acquérir. Celle-ci, peinte en 1728 contre 3000 livres, avait célébré l'accession de l'ancien évêque de Fréjus au cardinalat (1726) et l'honneur d'avoir été nommé par Louis XV comme premier ministre. 

 

1727 - André-Hercule de Fleury (Goodwood House)

Hyacinthe Rigaud - Portrait du cardinal de Fleury (v. 1728) - Londres, Goodwood House

 

Assis dans un riche fauteuil aux accotoirs sculptés, le prélat trônait originellement dans toute la pompe de ses nouvelles fonctions mais ne faisait par illusion : il s'agissait simplement pour Rigaud d'extrapoler un premier portrait peint en 1706 alors que modèle était simple évêque de Fréjus, tout en l'actualisant de la pompe cardinalice. Comme à l'ordinaire, Rigaud déploya en cette année 1727 un art foisonnant dans les effets de drapés et l'enchevêtrement des plis... trop peut être trop selon certains, au point de critiquer l'ampleur du rideau de fond dont l'animation semblait bien peu naturelle. L'attention que le regard devait porter à la figure, s'y trouva détournée au profit d'un décorum plus que pompeux, trop « terriblement » rouge (une version légèrement tronquée était d'ailleurs passée en vente à Paris en décembre 2010).

 

Même si les livres de comptes ne répertorient pas de copies « en pied » du portrait du Cardinal (copies qui se négociaient alors 1000 à 1500 livres pour un original de 3000), on sait par les versions en buste, datées et « signées », que l'artiste fit très vite réduire l'original en l'ornant (ou pas) d'un léger rideau à gauche. Nous avions d'ailleurs, en décembre 2010, listé les buste officiels sortis de l'atelier.

 

De nombreux exemplaires, la plupart issus de l'atelier, sont encore conservés à Perpignan, Lodève, Versailles, Budapest, Londres, Brühl, Castries, Detroit, Darmstadt... jusqu'à Copenhague où Gustav Lunberg signalait une copie réalisée par... Louis Tocqué. La version mise en vente ce 25 avril 2012 (lot 37) appartient aux belles copies dont le visage et la vêture ont été clairement peints par deux mains différentes (la pemière plus talentueuse que la seconde). Estimé un petit 3/4000€, le tableau était convoité par quelques ordres laissés au commissaire priseur avant la vente, cependant rapidement dépassés par deux enchérisseurs en salle. On peut pourtant se demander comment un ecclésiastique, à la mise si bonhomme soit-elle, réussit à faire 7500€ au prorata des 14000€ de l'époustouflante comtesse de Karcado de 1710 que nous avons récemment revue restaurée...

 

Quelques jours avant Monseigneur de Fleury, la maison Christie's à Paris proposait la petite copie de l'effigie peinte par Rigaud en 1687 de Jean-François de Paule de Créquy de Bonne (1678-1703), alors tout jeune duc de Lesdiguières (cinquième du nom).

 

1686 - Jean-François de Paule de Créquy de Bonne (Christi

Atelier de Hyacinthe Rigaud - Portrait du duc de Lesdiguières - coll. priv. © Christie's France 2012

 

La toile (46 x 38 cm), jusqu'ici conservée dans la collection Niel, était déjà passée en vente à Douot chez Ader, le 11 janvier 1952 (lot 167). Elle simplifiait un autre tableau, autographe celui-là, qui fut légué au Louvre en 1869 par le fameux docteur Louis La Caze (1798-1869). Neuf ans auparavant le collectionneur avait d'ailleurs exposé au Salon de 1860 cette image enfantine, rare dans l'œuvre de Rigaud, et qui fut gravée dès 1691 par Pierre Drevet.

 

1686 - Jean-François de Paule de Créquy de Bonne (Louvre)

Hyacinthe Rigaud - Portrait du duc de Lesdiguières (v. 1687).

Paris, musée du Louvre © Stéphan Perreau

 

Sous le pseudonyme de W. Bürger, le critique d'art Théophile Thoré avait ainsi pu souligner la finesse du tableau La Caze dans un article de la Gazette des Beaux-arts de 1860, intitulé « Exposition de tableaux de l'école française ancienne, tirés de collections d'amateurs »  (p. 266) : 

 

« De Rigaud nous n'avons que deux portraits : un Louis XV enfant, et un petit Duc de Lesdiguières, vrai bijou ! Il est représenté à mi-corps, avec une cuirasse, et sa svelte main droite appuyée, du bout d'ongles rosés, sur le bâton de commandement. Déjà ! Quel âge peut avoir ce gentil guerrier ? une douzaine d'années. Sa perruque blondine encadre un fin visage, si délicat, si tendre, un minois de fillette. Se peut-il bien qu'il descende du connétable, si fameux dans les discordes civiles, un siècle auparavant ? — Je ne crois pas que Rigaud ait jamais fait un portrait plus exquis. »

 

Invendu, gageons que nous reverrons prochainement le petite version Niel, non dénuée d'un certain charme...

 

Le 3 mai prochain, la maison Sotheb'ys de Londres propose quant à elle une très élégante réplique d'atelier du portrait du comte d'Evreux, dont l'original fut peint en 1703. Nous avions déjà signalé d'autres versions passées en vente récemment, mais celle-ci, issue de la collection du prince et de la princesse de La Tour d'Auvergne-Lauraguais, est l'une des plus homogènes même si elle accuse un fini parfois un peu « pâteux » (huile sur toile 117,5  x 91 cm, lot. 1).

 

Rigaud comte d'Evreux Sotheby's 2012 (72dpi)

Atelier de Hyacinthe Rigaud - Portrait du comte d'Evreux (v. 1704).

Coll. priv. © Sotheby's Londres 2012

 

La reproduction de l'image originale (Gemälde Galerie de Kassel) est, par contre, tout à fait fidèle, à peine tronquée dans le bas. Les couleurs sont fraîches, le regard du comte est assuré, fidèlement rendu. Qui en est l'auteur ? Difficile de répondre si ce n'est que la main du maître semble en être absente. Le traitement des drapés notamment, est caractéristique d'un élève de confiance, parfaitement au fait des effets du maître mais toutefois impuissant à en maîtriser la science si célèbre du « lissé ». Une fois de plus, les livres de comptes de Rigaud ne nous sont pas d'une très grande utilité car dans le cas du comte d'Evreux, ils ne proposent que peu d'échos de la production initiale. 

 

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Atelier de Hyacinthe Rigaud - Portrait du comte d'Evreux (détail).

Coll. priv. © Sotheby's Londres 2012

 

Tout au plus sait-on que l'original avait déjà été calqué d'un modèle antérieur (« habillement répété ») et qu'Adrien Leprieur en fut le principal collaborateur. Il reçut 50 livres en 1704 pour avoir « habillé » le comte et avait déjà reçu semblable somme l'année précédente après avoir passé « huit jours au portrait » (probablement la copie officielle faite en 1703 contre 150 livres et qui correspond probablement à celle que Christie's présente). De temps à autre, on sait aussi que Leprieur ne rechignait pas à travailler sur des parties bien spécifiques du tableau, telle la bataille de fond, inventée par Joseph Parrocel (1646-1704). D'ailleurs, preuve de sa compétence, il se vit offrir 20 livres en 1707 pour « avoir coppié une bataille d’après Mr Paroussel, 5 journées », même si on ne sait pas à quel tableau était destiné ce choc de cavalerie. 

 

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Atelier de Hyacinthe Rigaud - Portrait du comte d'Evreux (détail de la bataille d'après Parrocel).Ccoll. priv. © Sotheby's Londres 2012

 

En 1704, Éloi Fontaine réalisa une petite réplique en buste, travail pour lequel il reçoit 36 livres. L'année précédente, Nicolas de Launay n'en avait reçu que 3 en contrepartie de son travail sur une copie. Enfin, Leprieur produisait « une tête » du comte en 1704, et n'en retira que 12 livres.

 

Sous le lot 229, la vente Sotheby's propose également la gravure correspondante de Schmidt (dont nous avions rappelé la genèse il y a peu) mais aussi celle par Claude Drevet d'après Rigaud, figurant Henri-Oswald de la Tour d'Auvergne (lot 107), archevêque de Vienne (1721), cousin germain du comte d'Evreux.

 

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Claude Drevet d'après Hyacinthe Rigaud - Portrait l'archevêque d'Auvergne (1749).

Coll. priv. © Sotheby's Londres 2012

 

Jusque récemment, l'estampe restait orpheline du tableau qu'elle transposait et c'est avec beaucoup d'émotion que nous avions redécouvert au détour d'une demeure privée en 2006, la toile d'origine qui avait été peinte en 1732 à l'occasion de la nomination du modèle comme premier aumônier du roi (on voit encore le marouflage sur la grande composition du carré du visage). Au prix de quelques aménagements (dont on ne sait s'ils furent du fait du commanditaire de la gravure, le médecin Vallant), la planche de Drevet transposait l'ensemble de la composition de Rigaud, de la plus belle hermine à l'infini détail de la dentelle.

 

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Hyacinthe Rigaud - Portrait de l'archevêque d'Auvergne - 1732. France, coll. priv.

© photo Stéphan Perreau (Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur)

 

Le Mercure de France de 1749 (p. 161) qui signala la parution de la gravure ne s'y était d'ailleurs pas trompé :

 

« Le sieur Drevet, graveur du roi, vient de finir le portrait du Cardinald ‘Auvergne, gravé d’après le célèbre Rigaud. Cette estampe, qui est de la grandeur de celle de M. Bossuet, répond parfaitement à la réputation du sieur Drevet, et ce fameux artiste a surpassé encore dans celle-ci par la douceur et la force de son burin les excellens morceaux qu’il a déjà donnés au public. On trouvera cette estampe chez l’Auteur, aux Galeries du Louvre »

 

Estimées entre 200 et 500 livres sterling, les deux estampes (dont celle du comte d'Evreux est malheureusement pliée) montrent la vigueur du marché des gravures d'après Rigaud. On se souvient de certains prix réalisés lors de la jolie vente Brissonneau du 7 février dernier, lesquels furent pourtant pulvérisés par les 13750 dollars atteints par une estampe figurant Louis XIV lors d'une vente Sotheby's New York, le 19 avril 2012 (lot 42).

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Pierre Drevet d'après Hyacinthe Rigaud - Portrait de Louis XIV - 1712 

Coll. priv. © Christie's New York 2012

 

Mais il est vrai que cette pièce, passée de la collection Suzanne Saperstein de Beverly Hills à un nouveau propriétaire, était pompeusement encadrée par une bordure « dorée à l'américaine »...

 

Le lendemain de la vente Sotheby's, la maison londonnienne Christie's remettra pour sa part en vente la version du portrait de l'archevêque de Paris Charles Gaspard de Vintimille du Luc (lot 151), peinte également en 1732, et que nous avions identifié lors d'une première session le 8 juillet 2011.

 

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Atelier de Hyacinthe Rigaud - portrait de Charles-Gaspard de Vintimille du Luc (1732) © Christie's images

 

L'original de 1731, au décorum très proche de celui de l'archevêque de Vienne, est aujourd'hui conservé à la Memorial Art Gallery de Rochester aux Etats Unis. L'un comme l'autre, les deux archevêques n'étaient pas des inconnus de Hyacinthe Rigaud. Le premier était le neveu du célèbre cardinal de Bouillon, peint par l'artiste en 1706. Sa propre sœur, Elisabeth-Eléonore de la Tour d’Auvergne (v. 1665-1746), abbesse de Thorigny en 1702 passa dans l'atelier de Rigaud dès 1714... Quant à Vintimille, il avait été séduit par le style de l'artiste qui transposa en 1713 les traits de son frère, Charles-François de Vintimille du Luc (1653-1740), marquis des Arcs et de La Marthe mais également l'année suivante ceux de son neveu, Gaspard-Hubert Magdelon (1687-1748).

 

Pour terminer, on remarquera au lot 152 de la vente Christie's, un portrait d'homme au manteau rouge donné à l'école de Rigaud, occasion de faire un point sur quelques portraits de gentilhommes récemment sortis de l'ombre. Mais cela est une autre histoire...

 

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