Hyacinthe Rigaud, tête de jeune maure, v. 1710, collection privée (à gauche) et musée de Dunkerque (à droite)

Hyacinthe Rigaud, tête de jeune maure, v. 1710, collection privée (à gauche) et musée de Dunkerque (à droite)

C'est peut-être une belle histoire qui attend l'étude de tête de jeune maure remise aux enchères par la maison Joigny le 16 mars dernier. Après un passage éclair en novembre dernier sous un vocable erroné (une simple « École Française fin XVII° début XVIII° siècles »), elle avait été rapidement retirée de la vente pour une étude plus poussée. Car en réalité, et comme nous l'avions évoqué il y a peu, le nom de Rigaud s'imposait sans grand doute.

Malgré l'état quelque peu préoccupant de la couche picturale — ces soulèvements, ces manques de matière, ces craquelures et un épais vernis opacifiant — le « modelé Rigaud » semble bien là. Le simple nettoyage temporaire opéré depuis par les experts de Turquin, tend à le prouver. Tout autant que l'exemplaire de Dunkerque, le turban de son jumeau, d'un fini extrêmement poussé, plaide en faveur d'un métier d'une grande assurance, loin de la raideur parfois trop évidente des aides d'atelier. Le visage tiendra-t-il lui aussi ses promesses après son nettoyage plus poussé ? 

Comparatif des turbans des deux versions, et détails des manques, soulèvement et rentoilage.
Comparatif des turbans des deux versions, et détails des manques, soulèvement et rentoilage.
Comparatif des turbans des deux versions, et détails des manques, soulèvement et rentoilage.

Comparatif des turbans des deux versions, et détails des manques, soulèvement et rentoilage.

S'il est difficile de se prononcer sur le reste, on se prend à croire qu'il puisse s'agir d'une seconde version autographe d'un thème que le Catalan dupliquait pour ses clients avides de têtes d'expression ou — comme c'est le cas ici — de tête exotiques. Son inventaire après décès en comptait déjà deux, on le sait. Et probablement y en aura-il d'autres à découvrir, comme autant de témoignages de ces enfants tirés de leur Afrique natale par le commerce des esclaves. Mi-esclave justement (ce que rappelle ici le collier rutilant), mi buffone hérité des cours italiennes, ils paraissant bien souvent sur les portraits soutenant le manteau de quelque militaire hardi ou comme faire valoir des peaux de lait de leurs épouses.

Alors, certes, il faudra un bon budget et surtout de la patience au nouvel acquéreur pour pourvoir juger du résultat final et pourvoir ainsi le comparer à la version mythique désormais mise en dépôt au musée de l'immigration à Paris. Mais l'attente et l'investissement en vaudront sans doute la peintre...

Hyacinthe Rigaud, portrait présumé de Madame de La Caze de Bove, v. 1692 © d.r.

Hyacinthe Rigaud, portrait présumé de Madame de La Caze de Bove, v. 1692 © d.r.

Dans un autre registre, mais non moins intéressant, un petit ovale passait un peu anonymement le 12 janvier chez Metayer à Nevers (lot 450). Donné prudemment à l'école française du XVIIe siècle comme représentant Madame de La Caze de Bove, il attisait le regard car évoquant une posture déjà vue chez Rigaud. Vue en buste, la tête tournée vers le spectateur, la jeune femme revêtait une robe de fin brocard d'or dont les demi-manches se terminaient par des galons froissés de même étoffe. Dessous, la chemise de coton blanc et ses dentelles fines terminaient le frénétique froissement en un très savant jeu de plis dont peu d'artistes en avaient le secret. Par dessus l'épaule, les pans d'un manteau bleu-vert se trouvaient retenus par une broche en diamant, répondant à celle qui, sur le devant de la pièce d'estomac, retenait la dentelle du corsage ouvert.

L'ordonnance, la posture, les menus détails d'un raffinement extreme rappelaient indéniablement la mise de la fille du comte de Morszstyn, ancien trésorier du roi de Pologne, avec lequel elle se fit peintre en 1692. 

Hyacinthe Rigaud, portrait de Izabella Catrina Morsztynówna (à gauche, détail) et portrait d'une femme (à droite) © d.r.

Hyacinthe Rigaud, portrait de Izabella Catrina Morsztynówna (à gauche, détail) et portrait d'une femme (à droite) © d.r.

Le tableau illustrait donc à merveille le principe de l'emprunt, courant dans l'atelier quand il s'agissait de postures à succès. C'est ic la première fois que l'on voyait le portrait des Morszstyn inspirer une nouvelle clientèle, très probablement dans les proches années qui suivirent sa création. À ce simple titre, l'élégant ovale de la vente nivernaise valait toutes les attentions.

En terme d'emprunt, un autre ovale, vendu avec son pendant féminin à Nantes le 25 février chez Couton Jamault Rhim (lot 135), renvoyait également au monde d'Hyacinthe Rigaud.

Suiveur d'Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, collection particulière © d.r.

Suiveur d'Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, collection particulière © d.r.

Au prix de quelques arrangements de couleurs et de simplifications dans les brocards des revers, le portrait du plénipotentiaire Nicolas Mesnager faisait encore ici recette. Moins qualitatif cependant que les productions d'un Bailleul, d'un Leprieur ou d'un Ranc, il tenait la dragée haute au modèle dont il s'inspirait. Là encore, une restauration soigneuse devrait pouvoir préciser la qualité d'exécution de l'œuvre et de déterminer s'il s'agit d'une production proche de l'atelier du maître ou, au contraire, d'une appropriation par un peintre indépendant, d'une attitude largement plébiscitée. 

Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, v. 1712. Collection privée © d.r.

Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, v. 1712. Collection privée © d.r.

S'il ne se passe pas de mois sans que, sur le marché de l'art, une copie plus ou moins inspirée ne rappelle de près ou de loin l'art de Rigaud, on en signalera plusieurs sur lesquelles nous reviendront. La première, une petite réplique du portrait dit de Monsieur de La Martinière, nous a été signalée début février en marge des salles de vente. Issue d'une collection privée génoise, cette toile ovale marouflée sur carton d'un format réduit (28 x15 cm), reprenait effectivement avec un certain soin les traits de l'énigmatique modèle, peint par Rigaud en 1712 et dont l'original, réapparu en 2021, est aujourd'hui en collection privée parisienne.

À gauche : Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, 1712, Paris, collection particulière / À droite : Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, v. 1712. Collection privée © d.r.

À gauche : Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, 1712, Paris, collection particulière / À droite : Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, v. 1712. Collection privée © d.r.

Utile à la compréhension de la diffusion de l'image, on y retrouve tous les marqueurs de l'artiste, avec moins de précision toutefois mais avec un véritable soucis de la ressemblance. L'œuvre pose de nouvelles questions, notamment sur sa paternité. Quel regard a pu avoir le maître sur sa création ? L'a-t-il seulement supervisée ? Dans quel but a-t-elle été peinte ? Si le beau-fini de Rigaud présent dans l'original n'est pas d'actualité ici, une autre fraicheur s'y substitue. Des traits parfois hésitant aux volumes studieux des boucles de la perruque, la main créatrice s'est efforcée d'imiter le maître avec un certain plaisir.

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