Réplique, œuvres de collaboration ou d'influence : Rigaud toujours à l'honneur
15 déc. 2024Le 19 octobre dernier, chez Coronari auction à Bruxelles (lot 380), était proposée une très belle version du portrait d'Anne-Catherine de La Briffe, peint par Hyacinthe Rigaud en 1698 et dont nous avions reparlé à l'occasion de notre article sur la Schorr Collection.
L'œuvre est d'autant plus intéressante qu'elle illustre parfaitement le principe de la collaboration dans l'atelier de l'artiste. Ainsi, le visage de la modèle, précis et travaillé (avec cette humeur blanche dans les yeux) plaide pour une intervention directe du maître dont on reconnait ici le grand fini et l'épaisseur de la matière dans les carnations. La « façon » des aides, quant à elle, est nettement plus discernable dans les vêtements, avec ses brosses un peu raides dans les velours et le soin minimal apporté aux fondus des décors de soierie ou aux rendus des bijoux.
Fille aîné de sa fratrie, la jeune femme était devenue comtesse de Meslay par son mariage en 1690 avec le fantasque conseiller au Parlement Jean-Baptiste Rouillé (1656-1715), chevalier, seigneur et comte de Meslay-le-Vidame. Contrairement à certaines de ses sœurs — notamment Marguerite (1680-1732) qui, bavarde et volubile notoire, menait grand train à Paris avec son époux Louis Bossuet (1663-1742) —, la jeune comtesse fut une épouse discrète. Mère en 1697, elle mourut quatre ans plus tard, le 1er mars 1701 à Paris, à peine âgée de 23 ans. Dans une lettre écrite depuis Rochefort le 8 février 1701 à l'un de ses correspondants, Michel Bégon, autre modèle de Rigaud et intendant de Rochefort puis de La Rochelle, se fait écho des ennuis pulmonaires probables de la comtesse : « J'apprends avec bien du chagrin la maladie de Madame de Meslay à laquelle le meilleur de tous les remèdes est de prendre de trois en trois heures quelques gouttes de baume du Pérou liquide » [1].
La jeune femme fut probablement aimée et regrettée comme en témoignent les nombreuses répétitions de son portrait, commandées de son vivant ou post mortem par des membres de sa famille. L'exemplaire réapparu un peu anonymement chez Coronari, appartient sans nul doute à cette série à laquelle on peut rajouter une belle miniature que nous avions repérée en 2017 à Fontainebleau sous un vocable erroné (P.563-2).
Hyacinthe Rigaud, Salvator mundi, v. 1710-1716. Paris, collection particulière © photo Stéphan Perreau
Dans la catégorie des répliques autographes cette fois-ci, on peut accorder au crédit de l'artiste une seconde version de son Salvator Mundi, après celle réapparue en 2013 chez Christie's à Paris. Détenue dans une collection privée depuis plusieurs générations, cette réplique nous avait été soumise en janvier 2022 à l'aide de photos. Depuis, un examen de visu a pu confirmer la qualité de l'œuvre et lancer le débat de sa chronologie.
D'emblée, plusieurs détails diffèrent par rapport à la première version connue. Si la grande qualité du traitement des drapés est sensiblement la même, l'anatomie du visage présente quelques différences. Tous les indices d'une paternité à Rigaud sont présents mais l'on sent dans cette nouvelle version une plus grande affirmation du trait anatomique, par exemple dans les contours sur-lignés de noir des paupières ou l'ove orbiculaire des yeux.
Dessiné d'un grand geste haut et régulier, l'orbite gauche semble ainsi suivre un trait d'esquisse préalable, peut-être le travail d'un aide d'atelier au métier très sûr. Sur ce canevas, le maître a ainsi pu laisser libre cours à sa virtuosité, celle que l'on retrouve également dans l'agencement des textiles et le rendu des carnations. Gageons qu'une restauration saura donner à cette réplique toute sa haute paternité.
Toujours en marge des ventes, c'est un tout nouvel opus inédit de Claude Bailleul que l'on nous a proposé il y a quelques mois. Collaborateur de confiance d'Hyacinthe Rigaud, Bailleul fut aussi l'un de ses imitateurs les plus fervents dans les années 1730-1740. Ce portrait de gentilhomme dans un intérieur n'échappe pas à la règle. Contrairement à l'architecte du château de Castelnau-Bretenoux, le modèle n'emprunte pas au Catalan de posture particulière mais plutôt l'ensemble des codes.
Souvent de grand format, ces compositions correspondaient ainsi à une mutation du goût pour le portrait intime en une image toujours domestique mais plus représentative encore de l’aisance de leurs modèles. Que ce soit dans des parcs, sous des portiques, à l’avant d’une bibliothèque ou d’un mur orné de pilastres sur lesquels se lovaient des rideaux agités par un vent imaginaire, le modèle pouvait hésiter entre décontraction suggérée par un col ouvert ou une chaconne dénouée et une certaine solennité conférée par l’opulence d’un décor imaginaire.
Bureau plat sculpté et doré au premier plan sur lequel est disposé tout un nécessaire de correspondance, colonnes palatiales à l'arrière, habillées d'un lourd drapé volant... tout concours ici au faste que vient ponctuer une touche d'érudition.
L'homme, vêtu d'un habit-veste de soie grise et d'un manteau de brocart d'or doublé de rouge, semble en effet avoir souhaité que l'attention du spectateur puisse se porter sur les volumes d'une bibliothèque ostentatoire. Histoire de France ou Histoire Romaine en plusieurs volumes et Œuvres de Tacite en arrière plan répondent à ceux du Traité du Sublime posés en évidence sur le bureau. Alors homme de culture ou homme de parade ?
En rapportant ironiquement en 1757 les remarques qu’aurait écrites un hypothétique Monsieur Findsault (dans une édition inventée du Mercure de France du mois de juin 2355), Charles Nicolas Cochin avait en effet fait remarquer que les appartements choisis par les artistes de l’antiquité française, étaient « toujours ornés de colonnes de marbre avec des bases de bronze doré » parfois « entourées de rideaux très-amples d’étoffe d’or » choisis pour marquer la richesse des modèles représentés puisqu’ils n’étaient « point attachés à des tringles sur lesquelles ils pouvaient glisser » [2]. Ces pièces de parade qui ne possédaient aucune fenêtre ne devaient être, selon lui, que des vestibules ou des galeries dont la fonction ne servait qu’à décorer les palais. Il raillait ces pièces de velours très amples qui enveloppaient systématiquement les modèles, sorte de prétexte essentiellement « favorable à la peinture ». Il remarquait aussi que « tous les hommes de ce temps-là devoient être fort sçavans, puisqu’il n’en est presque aucun qui n’ait une bibliothèque fort riche, de livres qui, à la vérité, nous sont pour la plus grande partie inconnus, mais qui vraisemblablement étoient fort estimés alors », ajoutant que l'on pouvait peut-être penser « que c’étoient des bibliothèques de parade de livre qu’on ne lit point, comme c’est assez l’usage de nos jours ».
En se conformant à ces dictats, Bailleul s'inscrivait dans une mode courante qui produisit quelques belles pièces pleines d'élégance, à l'époque où Jean-Marc Nattier allait s'imposer dans la même veine à la cour.
1. Archives historiques de Saintonge et d'Aunis, 1930, p. 51-52.
2. Charles Nicolas Cochin, Recueil de quelques pièces concernant les arts, extraites de plusieurs Mercures de France, Paris, 1757, p. 150-151.