Hyacinthe Rigaud (?), portrait d'un militaire, v. 1700, Suisse, commerce d'art © Auktionshaus Zofingen

Hyacinthe Rigaud (?), portrait d'un militaire, v. 1700, Suisse, commerce d'art © Auktionshaus Zofingen

Si l'on sait par divers témoignages que Hyacinthe Rigaud s'adonna à l'art de la miniature, son corpus dans ce genre reste malheureusement trop ténu pour s'assurer d'attributions irréfutables. Néanmoins, sur certaines pièces de belle qualité, on peut s'engaillardir à y voir la main du maître. Ce fut le cas en son temps de l'autoportrait de l'ancienne collection Calmann-Lévy ou, plus récemment, d'un homme âgé ou — peut-être — d'un gentilhomme au manteau rouge.

Le 29 novembre prochain, à Zofingen en Suisse, on verra la dispersion d'une importante collection de miniatures dont un portrait d'homme en armure à la précision et aux pointillisme remarquable. Anciennement dans la collection du docteur Erika Pohl-Ströher — puis passé sous le marteau de Sotheby's à Londres le 30 juin 1980 (lot 85) —, le numéro 1759 de la vente n'est pas une huile sur émail ou sur toile marouflée mais une gouache et aquarelle sur parchemin, ici prudemment attribuée à l'école française vers 1700. 

Miniature, dessin, copies ou répliques... quand l'art d'Hyacinthe Rigaud fait écoleMiniature, dessin, copies ou répliques... quand l'art d'Hyacinthe Rigaud fait école
Miniature, dessin, copies ou répliques... quand l'art d'Hyacinthe Rigaud fait écoleMiniature, dessin, copies ou répliques... quand l'art d'Hyacinthe Rigaud fait école

Le lien avec Rigaud n'est pas malaisé à faire tant l'image renvoie inévitablement à une posture à succès du peintre : celle des « militaires brandissant un bâton de commandement » qui firent florès dans son catalogue entre 1690 et 1710. Avec comme pivot le portrait du Grand Dauphin qui, en 1697, marqua le départ d'un formidable engouement pour une composition inventée quelques années plus tôt, nombreux furent les haut dignitaires de l'armée qui voulurent s'habiller de même, se tenir à l'identique et glorifier ainsi leur image. Le présent militaire, qu'il est difficile d'identifier en l'absence d'une quelconque distinction, n'est toutefois pas sans rappeler les traits simplifiés du prince Antoine 1er de Monaco...

Jean-Marc Nattier, étude d'homme armé, v. 1745 © Drouot estimations

Jean-Marc Nattier, étude d'homme armé, v. 1745 © Drouot estimations

Alors que passait chez Ader, le 8 novembre 2024, Ader (lot 23), un dessin représentant l'évêque Bossuet [PC903-6] , c'est une élégante feuille donnée à Jean-Marc Nattier (1685-1766) qui retenait l'attention dans une vente à venir chez Drouot Estimation, le 29 novembre (lot. 84). Si le dessin proposé par Ader s'avère en réalité une copie d'après la gravure que publia en 1723 Pierre-Imbert Drevet — dont il emprunte le même sens au prix de quelques erreurs de perspective (notamment dans le livre tenu par Bossuet) —, celui qui s'apprête à connaître le feu des enchères a tout pour réussir. Vif et nerveux, resté à l'état d'étude (la tête n'est pas caractérisée), il prouve la dette que l'artiste eut régulièrement envers Rigaud en lui empruntant sans vergogne certaines de ses créations pour les siennes propres. C'est le cas ici lorsque vers 1745, il envisage un portrait du duc de Penthiève qui reprendrait à la presque exactitude celui du jeune duc de Bourgogne peint par Rigaud en 1702.

À gauche : Hyacinthe Rigaud, portrait du duc de Bourgogne, 1702, Versailles, musée national du château © photo S. Perreau / à droite : atelier de Jean-Marc Nattier, portrait du duc de Penthièvre. vte Paris, Pousse cornet, 24 sept 2023, lot 99  © d.r.

À gauche : Hyacinthe Rigaud, portrait du duc de Bourgogne, 1702, Versailles, musée national du château © photo S. Perreau / à droite : atelier de Jean-Marc Nattier, portrait du duc de Penthièvre. vte Paris, Pousse cornet, 24 sept 2023, lot 99 © d.r.

Pris de côté, à mi jambes, la main gauche tenant délicatement l'épée, le modèle brandit son bras droit vers l'extérieur de la composition en un mouvement volontaire. Qu'il soit peint devant un fond de bataille comme pour le petit-fils de Louis XIV ou d'une mer sur laquelle voguent quelques navires (allusion à ses fonctions d'amiral de Penthièvre), les deux hommes s'imitent. Le mouvement esquissé des jambes «en arrière», l'ordonnance de l'écharpe blanche de commandement militaire et la hauteur du bras en avant, témoigne de l'étude faite par Nattier sur la source de son inspiration : l'œuvre de Rigaud. Rien n'est étonnant quand don sait que le père de Nattier, Marc, oeuvra à l'occasion dans l'atelier de Rigaud sur une réplique du premier portrait du roi, et que son fils se vit confier l'honneur insigne de reproduire au crayon le portrait de Louis XIV en grand costume royal.

À gauche : Charles Montmorency d'après Rigaud, portrait du duc de Mantoue © d.r. / Au centre : Hyacinthe Rigaud, portrait du duc de Mantoue, 1706, Newport, Marble House © d.r. : à droite : Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait du duc de Mantoue © d.r.

À gauche : Charles Montmorency d'après Rigaud, portrait du duc de Mantoue © d.r. / Au centre : Hyacinthe Rigaud, portrait du duc de Mantoue, 1706, Newport, Marble House © d.r. : à droite : Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait du duc de Mantoue © d.r.

Savoir donc bien qualifier le travail d'un artiste comme « de l'atelier de Rigaud » demeure encore aujourd'hui difficile, voir presqu'impossible en l'absence d'une source fiable, d'un paiement fait audit artiste pour son travail. On ne peut s'en cacher, la formule généralisée d'«atelier de Rigaud » est bien souvent d'une grand secours pour appuyer l'estimation en salle de vente quand on n'a aucun historique à faire valoir. La question est particulièrement épineuse, on l'a vu maintes fois, lorsque ces artistes « faisaient du Rigaud » en dehors de toute supervision du maitre, que ce soit en province ou à l'étranger, le créateur ne s'en offusquant d'ailleurs pas. 

Dans le cas du portrait du duc de Mantoue — dont l'histoire rocambolesque est désormais bien connue — c'est un nouveau dessin qui est venu illustrer le choix cornélien de l'expert et de l'historien. Si l'on savait déjà qu'une feuille existait et qu'elle avait été payée 6 livres en 1706 par Rigaud à son aide Montmorency, qui avait donc pu faire un autre dessin identique — reprenant même la dédicace  « Le Grand Duc de Mantoue dessiné par M[onsieu]r Rigaud sur le tableau qu’il en a fait qui appartient à M[onsieur] de Bury. / Ce portrait n’a jamais été gravé. » —, proposé chez Arenberg Auctions, le 27 juin 2024 dernier sous le lot. 18 ? Voilà sans aucun doute du grain à moudre pour le vacillement des hypothèses les plus ancrées.

Hyacinthe Rigaud, portrait d'un jeune maure, v. 1715-1720. Coll. part. © Stéphan Perreau

Hyacinthe Rigaud, portrait d'un jeune maure, v. 1715-1720. Coll. part. © Stéphan Perreau

Mystérieux à plus d'un titre fut cette version du fameux jeune maure des collections du musée de Dunkerque que l'établissement en travaux a déposé pour un temps chez son collègue parisien du musée de l'histoire de l'immigration. Donné chez Joigny encheres le 11 nov 2024 (lot 45) comme portrait d'homme noir au turban de l'école Française de la fin XVII° ou du début du XVIII°, il promettait pourtant de belles espérances par son estimation ridiculement basse.

Bien qu'il ait été très endommagé, avec ses innombrables soulèvement, ses dangereuses craquelures et ses nombreux manques de matières auxquels venait s'ajouter un chanchi généralisé brouillant la lecture, certaines parties visibles de cette nouvelle version peut être autographe (turban, drapé de la gauche) laissaient espérer pour qui avait l'œil de pouvoir faire une belle affaire. Hélas, le tableau fut retiré la veille de la vente, peut-être suite à un intérêt par trop appuyé et aux doutes qui s'en suivirent... 

Mais d'autres surprises avaient ou allaient consoler l'amateur et l'historien en 2024 : un nouveau Claude Bailleul inédit, une troisième (et belle) version de Madame de Meslay le 10 octobre et un modello (ou riccodo) du prince danois de Gyldenloeve le 19 décembre. Mais, cela, c'est une autre histoire...

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