Hyacinthe Rigaud, Marie-Madeleine Mazade, 1734, collection particulière © Sotheby's Ltd

Hyacinthe Rigaud, Marie-Madeleine Mazade, 1734, collection particulière © Sotheby's Ltd

Qu'elles aient voulu évoquer Thalie, muse de la Comédie ou — dans le cas présent —, un retour ou un départ pour de bal, nombreuses furent les jeunes femmes qui, en ce mitant du XVIIIe siècle, se firent représenter tenant un loup de cuir noir. Parées de la dernière robe à mode, la tête souvent panachée, elles n'hésitèrent pas à poser avec ostentation et luxe, dans des antichambres imaginaires propres à dynamiser l'évocation recherchée.

Du 27 juin au 4 juillet dernier, lors d'une vente en ligne chez Sotheby's à Londres (lot 208), on a ainsi revu la mutine Marie Madeleine Mazade (1713-1776), peinte par Rigaud en 1734 tenant un loup de comédie. Fille du fermier général Laurent Mazade et fraîche épouse de son confrère Antoine Gaspard Grimod de La Reynière (1654-1758) [1], la jeune femme appartient à ce lot de modèles de la dernière période de l'artiste, époque durant laquelle le vieux maître septuagénaire semble, aux dires de certains chroniqueurs, s'essouffler quelque peu dans sa manière. Au lendemain de la mort de Rigaud, Hyacinthe Collin de Vermont allait en effet reconnaître que dans certains des dernières productions de son parrain — dont il disait les yeux affaiblis —, on ne retrouvait plus cette fermeté de pinceau qui avait fait sa réputation. Tout comme la vérité des teintes, qu'il mettait à l'ordinaire dans ses carnations, et avait pu y manquer aussi, parfois...

Hyacinthe Rigaud, Marie-Madeleine Mazade (détail du revers), 1734, collection particulière © Sotheby's Ltd

Hyacinthe Rigaud, Marie-Madeleine Mazade (détail du revers), 1734, collection particulière © Sotheby's Ltd

Face à une nouvelle génération de portraitistes, souvent pastellistes et « voleurs d'âmes », Rigaud avait tenté à son tour de capter une clientèle friande d'effigies plus sensibles alors que Maurice Quentin de La Tour avec Madame Savalette de Magnanville (collection particulière) [2], Jean-Marc Nattier avec Madame Royer (Karlsruhe, Staatlishe Kunsthalle), Charles-Antoine Coypel avec une anonyme (collection particulière) ou Louis-Michel Van Loo avec Madame Randon de Malboisière (collection particulière), occupaient unanimement un marché hautement concurrentiel.

De gauche à droite (détails) : Maurice Quentin de La Tour, portrait de Madame Savalette de Magnanville ; Jean-Marc Nattier, portrait de Madame Royer ; Charles-Antoine Coypel, portrait d'une anonyme ; Louis-Michel Van Loo, portrait de Madame Randon de Malboisière © d.r.

De gauche à droite (détails) : Maurice Quentin de La Tour, portrait de Madame Savalette de Magnanville ; Jean-Marc Nattier, portrait de Madame Royer ; Charles-Antoine Coypel, portrait d'une anonyme ; Louis-Michel Van Loo, portrait de Madame Randon de Malboisière © d.r.

Si l'on ne pourra nier que dans sa série de portraits des années 1730-1740, presque essentiellement dévolus à la représentation d'une clientèle de financiers parisiens « extra-enrichis », Rigaud tend à rendre les contours de ses figures un peu secs (selon Dezallier d'Argenville), l'artiste n'a cependant rien perdu de sa verve coloriste et du brio de ses compositions.

Figurée devant un mur de fond en rotonde orné de pilastres et, à gauche, d'un grand rideau de velours brun, la nouvelle Madame Grimod de La Reynière apparaît sous son meilleur jour. La tête légèrement de côté, le regard appuyé, elle arbore une riche robe de brocart d'or corsetée et porte, sur les épaules, un grand manteau de soie bleu galonné d'or, retenu sur les manches par de gros nœuds de même étoffe orangée.

Alors que le vieux maître jetait ses derniers feux dans des effigies de grande ampleur dont il pensait le décorum et les drapés plus riches et plus agités encore — on pense notamment au portrait de l'achevêque d'Auvergne, celui du ministre Philibert Orry, de Gaspard de Gueidan en joueur de musette ou du petit prince de Lichtenstein — certains de ses confrères le talonnèrent sur son propre terrain. En costume de bal, les marquises de la Ferté Imbault par Nattier (1740) et de Caumont par Jean Valade (1756), témoignent ainsi par leur brio mais aussi par leurs teintes sucrées, d'un « goût Pompadour » aux antipodes de celui inexorablement vieillissant du Catalan auquel ils avoue néanmoins une certaines dette.

À gauche : Jean-Marc Nattier, portrait de la marquise de La Ferté Imbault, Tockyo, Fuji art museum ; à droite : Jean Valade, portrait de la marquise de Caumont, Avignon, musée Calvet © d.r.

À gauche : Jean-Marc Nattier, portrait de la marquise de La Ferté Imbault, Tockyo, Fuji art museum ; à droite : Jean Valade, portrait de la marquise de Caumont, Avignon, musée Calvet © d.r.

Dans un autre esprit, et avant que d'être finalement retiré de sa vente prévue par la maison Nagel de Stuttgart le 26 juin dernier (lot 3618), un élégant portrait de femme évoquait indéniablement l'univers d'Hyacinthe Rigaud. En buste, tournée légèrement de côté, le visage de face, la jeune modèle (donnée à un auteur anonyme du XIXe siècle), se lovait dans un ample drapé suivant une tournure inventée par le Catalan pour quelques clientes éprises d'élégance à l'instar de celui présumé de Mademoiselle de Chastillon

Adrien Leprieur, portrait de femme, v. 1700, collection particulière © Nagel svv

Adrien Leprieur, portrait de femme, v. 1700, collection particulière © Nagel svv

Si l'habillement de cette nouvelle inconnue se calquait à la perfection au prototype rigaudien, la facture duveteuse de la perruque, celle évanescente des dentelles et le modelé des yeux en amande soulignés d'ombres scolaires renvoyait cependant au métier désormais mieux connu de l'un de ses meilleurs aides d'atelier, Adrien Leprieur. On avait vu il y a peu combien ce dernier avait su s'approprier les tournures de son employeur sans que celui-ci ne trouva à redire. Il avait ainsi produit plusieurs portraits dont certains, s'ils n'avaient pas été signés, seraient encore pour longtemps passés comme de légitimes œuvres de Rigaud. 

École française du XVIIIe siècle, étude de fleurs et de fouine, v. 1710. Collection particulière © d.r.

École française du XVIIIe siècle, étude de fleurs et de fouine, v. 1710. Collection particulière © d.r.

Préparé de rouge brun sur lequel un profil de fouine trônait entouré d'études de fleurs, un petit panneau était proposé comme Rigaud le 21 juin dernier à Drouot (de Maigret) sous le lot 55. Il est vrai qu'à première vue, l'œuvre présentait quelque affinité avec la toile de thème voisin, conservée à Dijon, signée et daté de 1720 par l'artiste. Estimée de 1200 à 1500 euros, il semblait s'agir ici sinon d'une belle redécouverte, du moins d'une bonne affaire. 

Cependant, excepté le fond préparatif commun (par ailleurs communs à bien d'autres artistes comme Alexandre François Desportes), ce nouvel opus ne nous semblait pas devoir appartenir au corpus du Catalan. Le traitement assez lissé des feuilles et des fleurs s'en éloignait assez nettement et suffisait pour demeurer dans la prudence. Resté invendu à l'issue des enchères, ce petit panneau trouvera peut-être prochainement son véritable auteur...

1. La notice de la vente Sotheby's donne fautivement comme oncle de Grimod de La Reynière, Jean Le Juge, peint en 1699 par Rigaud. Comme nous le documenterons dans un prochain article, le modèle peint par le Catalan était Nantais alors que l'aïeul homonyme du fermier général, appartiennent à une autre famille, originaire de Lyon. 

2. Pastel perdu mais connu par une version peinte anciennement dans la collection Rotshild et attribuée à Jean Valade lors de sa vente chez Christie's New York le 13 octobre 2023 (lot 417). Attribution rétablie par Xavier Salmon, Maurice Quentin de La Tour, L'oeil absolu, Paris, Cohen & Cohen, 2024, p. 305-307, ill. 244, note 437 p. 596-597.

Retour à l'accueil