Cinq Rigaud : une collection catalane à Drouot
28 juin 2023C'est toujours avec une certaine émotion que l'on a vu se disperser aux enchères Fraysse le 25 mai dernier, un ensemble composé de cinq Rigaud, patiemment et cohéremment réunis par leur détenteur catalan récemment décédé et avec qui nous avions tissé, avec le temps, des liens d'amitié. En 2004, à l'issue de la publication de notre monographie sur l'artiste, commandée par la mairie de Perpignan, Monsieur X avait été curieux de recueillir notre avis sur plusieurs tableaux qu'il souhaitait acquérir après un premier achat réalisé en 2008 dans la galerie Turquin : hypnotique portrait de Monsieur Sarazin.
À Paris ou dans sa retraite perpignanaise, autour d'un repas ou d'un vieil armagnac, nos échanges furent constamment d'un grand enrichissement, que ce soit à propos du sujet Rigaud ou de notre région de cœur. La passion de l'amateur, mêlée d'excitation et d'un sens aigu de la constitution, rejoignait celle du chercheur, intéressé de tout.
Hyacinthe Rigaud, portrait de Monsieur et Madame Rousseau, 1737. Perpignan, musée Rigaud et portrait de Marie Catherine Geneviève Boucher, 1737, collection privée © photos Stéphan Perreau
Ainsi, très vite, les époux Rousseau — aujourd'hui sur les cimaises du musée Rigaud —, ornèrent quelques temps ses murs, rejoints par l'élégante sœur de Madame Rousseau, Marie-Catherine Boucher. Si le petit dessin acquit l'année suivante lors d'une vente Osenat a, depuis, été déclassé en suiveur de Rigaud à la faveur de la réapparition de la toile peinte correspondante, l'entrée dans la collection de l'autoportrait de Rigaud au manteau bleu consola Monsieur X de n'avoir pu trouver une belle version de celui « à la toque » dont le musée de Perpignan conserve un exemplaire et qu'il admirait tant. Le peintre n'en portait pas moins beau et l'unicité de la posture ne lui en donnait que plus de prix. Comme le montrait un cliché qui nous avait été fourni par la maison Christie's en 2001, une inscription apocryphe visible avant rentoilage donnait la date de confection de l'œuvre ainsi que l'identité du dédicataire, le peintre Antoine Ranc.
Prêté au musée de la ville durant un an à l'occasion de sa réouverture, il constituait un pendant idéal au portrait de son frère, Gaspard, acquit judicieusement en 2016 par l'institution, et qui rejoignit avec ce dernier la galerie familiale que nous avions présenté à Montpellier, lors de notre exposition Ranc...
Hyacinthe Rigaud, autoportrait au manteau bleu, 1696 et signature au dos. Collection privée © photos Christie's Ltd / Vue des salles su musée de Perpignan en 2018 et accrochage des portraits au musée de Montpellier en 2020 © photos Stéphan Perreau
L'acquisition de la Madeleine pénitente en 2009 dans la galerie Raton Ladrière fut l'un des temps forts de la constitution de la collection. Choisie par la presse spécialisée comme fer de lance de la vente Fraysse — et par conséquent l'un des lots les plus disputés au sein d'enchères sans trop de surprise — l'œuvre avait pu être admirée récemment lors de l'exposition Rigaud organisée par le musée de Versailles. Si nous ne reviendrons pas sur les péripéties de sa redécouverte, la confrontation de la toile avec nombre de ses consœurs souleva des questions inédites de paternité. Élodie Vaysse, conservatrice au musée et commissaire de l'exposition, suggéra ainsi qu'il n'était peut-être pas incongru d'y voir la main de Jean Ranc, élève de Rigaud, plutôt que celle de son maître. Abandonnant provisoirement l'intimité du dessus de la cheminée du salon de Monsieur X, où elle avait détrôné Monsieur Sarazin qui y avait longtemps siégé, La Madeleine garde encore pour elle son énigme.
Hyacinthe Rigaud (ou Jean Ranc ?), La Madeleine pénitente, v. 1710. Collection privée © photo Stéphan Perreau
On regrettera peut être que la soudaineté de l'annonce de la vente n'ait pas rendu possible l'organisation d'une préemption de plusieurs de ces chefs-d'œuvres par les différents musées intéressés, mais on se consolera en espérant qu'ils aient entamés dans leurs nouveaux écrins privés une nouvelle ère de légitime admiration.