Hyacinthe Rigaud, portrait de femme, v.1695-1700. Collection particulière © Tajan

Hyacinthe Rigaud, portrait de femme, v.1695-1700. Collection particulière © Tajan

« Si je les fais telles qu'elles sont, elles ne se trouveront pas assez belles ; si je les flatte trop, elles ne ressembleront pas » aurait avoué Hyacinthe Rigaud à propos de ses clientes féminines, entretenant dès lors la légende selon laquelle il rechignait à les peindre en leur préférant des modèles masculins[1]. Quoique son corpus laissât effectivement transparaître une majorité d’hommes, la maxime ne doit pas être prise dans son exception tant on y trouve de belles figures parées de tous les atouts que l’artiste n’eut pas moins de mal à transcrire que ses confrères. Qu’elles aient voulu paraître avantageusement sous les traits de déesses ou mises en scène dans des palais imaginaires, toutes ont trouvé chez Rigaud un traducteur attentif et scrupuleux de la nature, sans trop en faire mais sans céder non plus à une artificielle surenchère. 

C’est probablement le plus sereinement du monde que la belle inconnue de la vente Tajan du 22 juin dernier (lot 75) posa devant son pinceau assuré[2]. Le regard presque mutin, les joues empourprées à souhait, la bouche délicate et fraiche comme un bonbon, elle se savait sans doute parée de suffisamment d’attributs naturels pour que le portrait lui ressemblât, ayant à peine peaufiné sa coiffure « à la Fontange » par deux petites boucles ou « cruches » ramenées sur ses tempes.

Hyacinthe Rigaud : chroniques des ventes 2020-2021 - part 2

Le résultat fut probant, l’artiste ayant porté toute son attention à fixer dans un petit format l’essentiel de l’âme de son modèle, se réservant pour plus tard un habillement peut-être plus ambitieux. Avait-il prévu d’enchâsser cet ovale dans une composition plus vaste ou, au contraire, de ne lui adjoindre qu’un simple drapé, que de menues dentelles sur ce décolleté simplement esquissé sur la préparation rouge sous-jacente ? Nul ne sait tant les formules étaient alors possibles chez lui.

Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait de femme, v. 1698. Galerie Manuel Fruit © d.r.

Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait de femme, v. 1698. Galerie Manuel Fruit © d.r.

Toutefois, telle cette autre anonyme réalisée par un aide d’atelier[3], on imagine notre inconnue de Tajan devoir revêtir pareil manteau de velours ouvert doublé sur une robe de soie brodée d’or plutôt que de demeurer sous un cadrage plus resserré. En son temps, et avec une variante plus frontale du buste, Anne-Catherine de La Briffe n’avait-elle témoigné elle aussi du succès de ce type de pose, sans les mains, et dont les exemples firent florès dans le corpus de l’artiste ?

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait dit de la marquise d'Anlezy, v. 1705. Collection particulière © photo Stéphan Perreau

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait dit de la marquise d'Anlezy, v. 1705. Collection particulière © photo Stéphan Perreau

Dans la même veine, le portrait dit de la comtesse d’Anlezy, présent actuellement sur le marché de l’art parisien, fut lui aussi longtemps attribué à Largillierre, comme si décidément, Rigaud ne pouvait être l’auteur d’une image si gracieuse. Sans doute peinte vers 1700-1705, à une époque où l’on note la récurrence des oculis de pierre dans l’œuvre de Rigaud, cette effigie illustre s’il était besoin le plaisir qu’avait pourtant l’artiste à peindre ces dames. Argent satiné, bleu roi, jaune orangé, blancs crémeux et gris bleutés, la palette fut subtilement choisie afin de rehausser les carnations dont la profondeur sera peut-être révélée par une restauration future. Malgré un examen direct de la toile, on a effectivement quelque mal à jauger de la qualité de toutes les matières qu’un rentoilage ancien a quelque peu aplaties. La promesse semble pourtant là, qui transparaît malgré les repeints et les vernis épaissis, mêlant dans cette œuvre de collaboration, le travail soigneux du visage et celui, plus superficiel mais non moins efficace de la vêture.

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait dit de la marquise d'Anlezy (détail), v. 1705. Collection particulière © photo Stéphan Perreau

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait dit de la marquise d'Anlezy (détail), v. 1705. Collection particulière © photo Stéphan Perreau

Bien que le portrait ait toujours été conservé dans la descendance du modèle indiqué par le cartouche, il reste difficile de maintenir de manière crédible le nom de Marie-Agnès de Tiercelin de Rancé, comtesse d’Anlezy que l’on y lit. En effet, veuve depuis 1682 de Nicolas François de Damas, capitaine enseigne des Gendarme de la reine, cette fille d’honneur de la souveraine fut elle-même inhumée un an plus tard dans le cœur de l'église d'Anlezy, alors que Rigaud débutait à peine sa carrière parisienne. Compte tenu de la date probable de la confection du portrait, il serait donc plus correct d’y voir une belle-fille de la comtesse, Marie Madeleine des Vaux (morte le 3 février 1712), épouse depuis le 14 mars 1697 de Nicolas François de Damas, marquis d’Anlezy. Maitre de camp de cavalerie du régiment de Saint Pouange, ce dernier mourut en 1707, durant la guerre de succession d’Espagne[4].

Hyacinthe Rigaud : chroniques des ventes 2020-2021 - part 2

Malheureusement, les livres de comptes de Rigaud ne mentionnent à aucun moment le nom de la marquise, excepté celui, en 1704 d’une certaine marquise d’Anzy ou « d’Anzié », dont l’habillement fut confié à l’aide d’atelier Claude Bailleul. À l’instar de ce qu’ont proposé certains historiens pour d’autres portraits du catalogue de l’artiste, pourrait-on considérer que le manuscrit ait pu mal retranscrire le nom du modèle et l’ait par conséquent contrefait ? Et que la méprise ait pu être réitérée en 1709 lors de l’inscription à titre « posthume » d’un portrait du marquis ? Si l’on a vu déjà ce type de proposition avancée, on ne peut hélas qu’y apporter les plus grandes réserves dans l’attente d’un éventuel désentoilage de l’œuvre qui pourrait alors faire réapparaître une possible signature datée au dos[5].

Démultipliées, transformées de manière plus ou moins inspirées, les copies d’après les créations féminines d’Hyacinthe Rigaud ne faiblirent donc pas au cours du temps. Quelques jours avant la vente Tajan, le 15 juin 2021, la maison Pescheteau et Badin proposait ainsi sous le lot 6, un portrait certes assez raide dans sa facture, mais témoin s’il était besoin, de la reprise par des artistes satellitaires d’une posture bien connue chez le Catalan. À Auxerre, le 6 septembre 2020, d'aucuns diront que le lot 205 n’était pas non plus sans évoquer tout à la fois le vocabulaire rigaldien avec son foisonnement de drapés et celui de Largillierre avec une pose qui se serait voulue plus dynamique. Comme si finalement le hiératisme ou la souplesse d'une composition suffisait à eux seuls à déterminer le nom d'un artiste...

Nous verrons d'ailleurs prochainement, à l'occasion de notre redécouverte du portrait par Rigaud de la belle Jeanne Marie Regnault, que pour certains, la confusion entre artistes créateurs est encore bien présente aujourd'hui.

À gauche : Suiveur d'Hyacinthe Rigaud, portrait de femme, v. 1700. Collection privée / À droite : école française du XVIIe siècle, portrait de femme. Collection privée © d.r.

À gauche : Suiveur d'Hyacinthe Rigaud, portrait de femme, v. 1700. Collection privée / À droite : école française du XVIIe siècle, portrait de femme. Collection privée © d.r.

 


[1] Le propos est rapporté par Dezallier d’Argenville dans le tome 2 de son Abrégé des plus fameux peintres de 1745 (p. 412) ajoutant que « quoique Rigaud fût naturellement galant avec les Dames, il n’a jamais aimé à les peindre ».

[2] Huile sur toile, 78 x 62 cm. Anciennement dans la collection du baron Robert Gendebien (1885-1954), l’œuvre porte au dos une étiquette lui donnant une paternité et une identité erronée : celle de Nicolas de Largillierre qui aurait peint ici la comtesse de Parabère (dont on connaît les traits quelque peu idéalisés par Jean-Baptiste Santerre et ceux plus assurés de Rigaud en 1711). Voir S. Perreau« Rigaud... particuliers, inédits et découvertes », L’Estampille. L’Objet d’art, n°451, 2009, p. 64, reproduit.

[3] Huile sur toile 78 x 62 cm. Galerie Manuel Fruit en 2021.

[4]Il mourut près de Dourlac, à Pforzheim (Phorsheim), alors qu’il combattait contre un corps de 500 cuirassiers allemands lors du forcement passage de Vittemberg (Gazette de France du 11 juin 1707 et Histoire de la milice française, par le P. Daniel, p. 476).

[5] En 1703, Rigaud inscrivit à ses comptes la production d’un portrait présumé de François Léonor de Dio (v. 1675-1714), marquis de Montpeyroux qui se trouvait allé aux d’Anlezy par sa soeur, Marie Élisabeth Palatin de Dio. Cette dernière, en ayant épousé en 1701 l’aîné de la famille Damas, Louis Antoine Erard, (v. 1673-1712), comte d’Anlezy, devint donc belle-sœur de Marie-Madeleine des Vaux.

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