Salle d'accueil de l'exposition Rigaud au château de Versailles © photo Stéphan Perreau

Salle d'accueil de l'exposition Rigaud au château de Versailles © photo Stéphan Perreau

Le lundi 31 mai dernier, par une belle et (très) chaude après midi de fin de printemps, nous avons eu le plaisir de nous rendre à Versailles pour découvrir la grande exposition que le château a récemment consacré à Hyacinthe Rigaud. Nous ne pouvions évidemment pas manquer l'occasion et c'est avec enthousiasme que nous avons répondu à l'invitation spontanée de la commissaire générale de l'exposition, Élodie Vaysse, conservatrice en charge des peintures des XVIe et XVIIe au château, qui avait souhaité nous proposer une visite privée de l'évènement ; visite placée d'emblée sous le signe de l'échange et du partage des idées.

En rejoignant notre guide par le grand Commun, nous nous réjouissions de pouvoir admirer en sa compagnie tous ces chefs-d'œuvre certes familiers mais qui, réunis dans un bâti si exceptionnel, allaient prendre une saveur toute particulière. La collection du château en premier lieu — et parce qu'elle s'avère riche en toiles du maître —, avait sorti quelques-unes de ses plus belles pièces comme l'autoportrait au porte mine, l'imposant Pierre Mignard, l'opulent Courcillon de Dangeau, l'austère mais émouvant Philippe V ou le majestueux Louis XIV en costume royal restauré pour l'occasion... À leurs côtés, les Rigaud du Louvre s'avéraient tout aussi significatifs : la mère de l'artiste (toile et buste en marbre de Coysevox), la famille Léonard, l'un des quatre portraits du sculpteur Desjardins, la Présentation au temple et l'élégant duc de Lesdiguières qui, avec ses boucles blondes évanescentes, avait été choisi pour représenter la communication de cette « exposition soleil ».

Parmi près d'une centaine d'items rigaldiens (les autres étant constitués de toiles de peintres contemporains), on allait revoir les grands grands formats venus de grands musées de province, certains n'étant d'ailleurs conservés qu'en réserve. Si les musées Rigaud de Perpignan et Granet d'Aix avaient évidemment été vidés pour l'occasion d'une majorité leurs chefs-d'œuvre (nous retrouvions également l'extraordinaire marquise de Gueidan par Largillierre récemment vue à Montpellier pour la rétrospective Jean Ranc [1]), ceux de Dijon, Rouen, Montpellier, Bordeaux, ou Dunkerque n'étaient pas en reste. Leurs morceaux d'exception (études de fleurs, de mains, d'attitudes ou de tête de fantaisie) côtoyaient celles issues de collections privées, souvent sollicitées lorsqu'il s'agissait d'illustrer Rigaud. On retrouvait ainsi ceux d'une collection perpignanaise dont l'autoportrait au manteau bleu et la belle Sainte Madeleine sont les fleurons. Quelques murs plus loin, une bonne partie des désormais inévitables Parentignat trônaient. Le spirituel Michel de La Jonchère (que l'on retrouvera d'ailleurs cet été à Perpignan au sein de l'exposition Portraits en majesté aux côtés du portrait original mais toujours présumé de son épouse que nous avons récemment redécouvert), tenait ainsi la dragée haute aux tourbillonnants drapés de la marquise de Sourches

Quelques rares morceaux, inédits aux cimaises, aiguisaient tout autant la curiosité telle cette étonnante « Äldre kvinna i Svart » (vieille femme en noir), passée discrètement en mai 2008 sur le marché de l'art Suédois sous le vocable de Nicolas de Largillierre, avant de réapparaître dans une galerie parisienne où Pierre Rosenberg l'avait acquise. Etonamment exposé dans l'espace intime consacré au jeune Rigaud en formation à Montpellier, ce petit format, réalisé vingt ans plus tard, illustre autant le talent du peintre à transcrire sans mensonge la vérité d'un visage vieilli qu'à s'accomplir dans le rendu virtuose des camaïeu de noir du manteau à capuchon. Gageons qu'une belle restauration donnera bientôt au tableau un relief encore plus saisissant.

Hyacinthe Rigaud, portrait de femme en noir. Paris, collection Pierre Rosenberg © photo Stéphan Perreau

Hyacinthe Rigaud, portrait de femme en noir. Paris, collection Pierre Rosenberg © photo Stéphan Perreau

Pour le public, l'évènement versaillais fut surtout l'occasion d'admirer de plus près — ou pour la première fois —, des tableaux venus de l'étranger comme le Pâris de la National Gallery de Londres, le Saint Albin du Getty, le Dubois de Cleveland, les Brignoles de Gênes, ou les duc et duchesse de Mantoue de la Marble House de Newport, ces dernier sortant pour la première fois de leur écrin américain. L'impressionnante série des dessins du musée de l'Albertina de Vienne, également vierge de toute exposition, fascinait enfin par sa grande fraîcheur et l'effet visuel qu'elle créait dans une galerie qui lui était toute exprès dédiée.  

Vue du couloir des dessins de l'Albertina © photo Stéphan Perreau

Vue du couloir des dessins de l'Albertina © photo Stéphan Perreau

Toutefois, certains tableaux nous ont procuré une émotion encore plus particulière. Leur présence ramenait en effet à l'esprit les anecdotes qui nous ont mené à leur redécouverte tel le fastueux cardinal d'Auvergne qui, présenté en bout d'une idéale perspective, captivait toujours autant depuis ce fameux jour d'automne 2005 où nous l'avions vu surgir de l'ombre inédite d'un salon de son château du Langonnais. 

Hyacinthe Rigaud, portrait du cardinal d'Auvergne (à gauche) ; portrait d'homme dit de Monsieur de Montginot (à droite) © photo Stéphan Perreau

Hyacinthe Rigaud, portrait du cardinal d'Auvergne (à gauche) ; portrait d'homme dit de Monsieur de Montginot (à droite) © photo Stéphan Perreau

Si l'on pouvait s'émouvoir de l'état devenu préoccupant de sa couche picturale (lacunes, soulèvements et décollement de la petite toile marouflée du visage), l'œuvre témoignait, près du présumé Montginot — et quelques salles avant le « tourbillon » pyrotechnique des Gueidan d'Aix —, du savoir faire extrême dans le rendu des textures auquel le peintre était alors parvenu au faîte de sa gloire.

Les deux Mantoue, que nous n'avions pas pu admirer in situ après que nous les ayons redécouverts en 2013, s'offraient à loisir au terme de l'impressionnante rétrospective. Témoins de l'histoire rocambolesque de leurs modèles, ces deux tableaux connurent un destin tout aussi mouvementé qui les teinta à jamais d'un parfum d'aventure tout aussi capiteux que celui, plus licencieux, du cardinal d'Auvergne. Leur état d'inachèvement, dans certaines parties (le fond du portrait de la duchesse ou les doigts du duc sur son épée, figurés dans l'ombre par un simple trait de contour noir) en font des items particulièrement sensibles.

Hyacinthe Rigaud, portraits du duc et de la duchesse de Mantoue. Newport, Marble House © Stéphan Perreau

Hyacinthe Rigaud, portraits du duc et de la duchesse de Mantoue. Newport, Marble House © Stéphan Perreau

Hyacinthe Rigaud, portraits du duc et de la duchesse de Mantoue (détails). Newport, Marble House © Stéphan Perreau

Hyacinthe Rigaud, portraits du duc et de la duchesse de Mantoue (détails). Newport, Marble House © Stéphan Perreau

Il serait toutefois impossible de vouloir ici énumérer par le menu tous les numéros présentés dans les différentes salles d'attique du château, tant ils mériteraient qu'on s'y attache. Comme nous le rappelait très justement Élodie Vaysse, une telle juxtaposition de chef d'œuvre (au delà de l'effet visuel qu'elle procure), a surtout permis aux organisateurs de se questionner sur la réelle paternité de quelques toiles exposées et de faire de nouvelles découvertes sur d'autres que l'on croyait connaître, telle la date de 1689 inscrite sur le Saint André de l'école des Beaux-arts et qui n'avait jamais été relevée.

C'est par exemple le cas de l'Enfant Jésus entouré des instruments de la passion, du musée de Caen, dont l'attribution à Rigaud semble toujours devoir être débattue par les historiens de l'art ou de la Sainte Madeleine qui, directement confrontée avec les autres œuvres de l'exposition, apparaît tout à coup étrangement plus proche de la manière de son meilleur élève, Jean Ranc... Même tendance pour le portrait présumé de Jean de La Fontaine âgé, ovale issu des collections du château de Versailles, qui trôna longtemps dans les bureaux de la conservation des peintures où nous l'avions jadis examiné. Si la bienveillance teintée d'introspection qu'il transcrit évoque les meilleurs pièces rigaldiennes, sa facture nettement plus vigoureuse dans le rendu des traits vieillis renvoie à celle de Nicolas de Largillierre, ce que tendrait à confirmer, selon la conservatrice, la présence d'une ancienne signature de cet artiste au dos de la toile ; signature devenue désormais invisible avec le rentoilage de l'œuvre.  

Confrontation des portraits du duc de Bourgogne dans la rotonde de l'exposition "Rigaud, le portrait soleil" © EPV / Thomas Garnier

Confrontation des portraits du duc de Bourgogne dans la rotonde de l'exposition "Rigaud, le portrait soleil" © EPV / Thomas Garnier

Mais la découverte la plus spectaculaire est sans doute celle qu'Élodie Vaysse a faite sur l'effigie du duc de Bourgogne. Dans un récent article qu'elle a fait paraître sur ce sujet, la conservatrice explique qu'à l'occasion de l'exposition elle a pu réaliser une confrontation entre l'exemplaire historique du château de Versailles (que l'on croyait être une réplique) et celui de la Kenwood House, réputé être l'original et que la rétrospective a présenté.

Malgré l'indéniable qualité des deux versions — tant dans la représentation du modèle que dans celle des fonds de bataille réalisés par Joseph Parrocel —, le portrait conservé à Versailles semble, finalement, d'une facture plus poussée qu'on ne le pensait : le travail sur le visage notamment, plus en épaisseur, avec ces blancs richement nourris sonnent comme une signature de l'art du maître. Tout comme les infimes variations du coloris sur les lèvres, il tranche avec la science exacte mais toutefois plus sage de l'exemplaire londonien. 

Hyacinthe Rigaud, portrait du duc de Bourgogne, 1703 (détail des visages). Londres, Kenwood House (à gauche) ; Versailles, musée national du château (à droite) © EPV / Thomas Garnier

Hyacinthe Rigaud, portrait du duc de Bourgogne, 1703 (détail des visages). Londres, Kenwood House (à gauche) ; Versailles, musée national du château (à droite) © EPV / Thomas Garnier

Si l'ensemble des chocs guerriers offre la même virtuosité, davantage de personnages apparaissent en arrière plan de la version versaillaise, finement et patiemment esquissés. Comme si, finalement, l'on avait porté plus d'attention à fouiller un portrait devant être admiré de toute la cour et destiné à son modèle.

Mais, l'ultime détail qui semblerait faire pencher la balance de l'original pour Versailles, réside dans la petite toile carrée représentant le visage (marouflée sur le format définitif) qu'Élodie Vaysse a découverte fortuitement au détour d'un contrejour. Comme elle le rappelle dans son article, la pratique était connue de Rigaud pour ses originaux et ses modèles les plus prestigieux qui n'accordaient que peu de séances de poses à l'artiste. On imagine donc aisément le peintre fixer les traits du petit-fils du roi pour, ensuite, l'insérer dans une composition plus grande, au calme dans son atelier, procédé qui n'était pas nécessaire pour les répliques autographes — probablement celle de Kenwood — ou pour les multiples copies connues à ce jour.

Hyacinthe Rigaud, portrait du duc de Bourgogne, 1702 (détail du visage en contre-jour), Versailles, musée national du château © photo Élodie Vaysse

Hyacinthe Rigaud, portrait du duc de Bourgogne, 1702 (détail du visage en contre-jour), Versailles, musée national du château © photo Élodie Vaysse

On le voit donc, chaque exposition continue de réserver aux chercheurs d'innombrables surprises, rendant le sujet Rigaud délicieusement inépuisable. Toutefois, et si l'on excepte l'aspect purement scientifique de l'approche, les superlatifs ne manqueront sans doute pas dans la bouche du simple amateur comme dans celle du plus érudit pour qualifier l'art de notre portraitiste. Un tel tourbillon de couleurs, une si belle exemplarité dans la construction des drapés, une telle science à rendre le naturalisme des textures, de si fastueuses mises en scène, un tel brio dans la science de la représentation ; tous extirpent définitivement Hyacinthe Rigaud du cercle des peintre de l'intime.

Si l'on tentait en effet encore il y a quelques années de lui refuser le titre de « peintre des rois » que nous avons utilisée pour notre monographie sur l'artiste parue en 2004, cette réunion choisie de « portraits soleil », illustre à la perfection ce à quoi Rigaud aspirait : peindre les rois. Toute sa vie, il n'eut en effet de cesse de rappeler au lecteur, au visiteur ou à ses clients qu'il avait atteint « l’honneur singulier [...] de peindre la maison royale jusqu’à la quatrième génération : savoir le roi, bisaïeul de Sa Majesté, le roi deux fois, Messeigneurs les dauphins, aïeul et père de Sa Majesté, Monsieur, Monsieur duc d’Orléans, Madame, monsieur le duc d’Orléans leur fils, messieurs les ducs et princes de Conti, mesdames les princesse de Conti, les rois d’Angleterre et de Danemark, le prince royal de Saxe et plusieurs autres princes d’Europe ».

Un titre glorieux donc, qui ne saurait mieux seoir au roi des portraitistes...

Never enough Rigaud in our Cosmos...

[1] Ce qui n'est curieusement par mentionné par Dominique Brême, auteur de la notice correspondante au portrait dans le catalogue versaillais...

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