Les élèves de Rigaud à l'honneur : Descours et Fontaine

Si la réapparition progressive sur le marché de l’art d’œuvres originales d’Hyacinthe Rigaud est toujours un événement en soi, celles de ses disciples n’est jamais inintéressante. Moins extravagantes, moins spectaculaires, parfois plus timides et souvent moins qualitatives, ces œuvres témoignent pourtant de l’influence qu’eu le maître sur ses élèves et ses suiveurs, participant de fait à la connaissance du métier de transmission. C’est le cas du bernayen Michel Hubert-Descours (1707-1775) et de l’Amiénois Éloy Fontaine (1678-ap.1747) qui ont récemment fait l’actualité du marché de l’art.

Du second, on commençait à peine à identifier quelques œuvres. On savait pourtant, et grâce à la gravure de Claude Duflos[1], qu’un portrait de l’évêque de Beauvais, François Honorat Antoine de Beauvilliers de Saint Aignan (1682-1751), était sorti de son pinceau. Cependant, comme bien souvent dans ce cas, aucune toile correspondante n’était encore parvenue jusqu’à nous. Le tableau proposé à Mayenne par la maison Blouet le 14 juillet 2020 (lot 92) tombait donc à point nommé pour combler ce manque.

Portrait de François Honorât de Beauvilliers, évêque de Beauvais. À gauche, huile sur toile par Fontaine, v. 1690. À droite, Claude Duflos d'après Fontaine © d.r.

Portrait de François Honorât de Beauvilliers, évêque de Beauvais. À gauche, huile sur toile par Fontaine, v. 1690. À droite, Claude Duflos d'après Fontaine © d.r.

Conservée au château du Bourg d’Yré en Maine-et-Loire, au sein de la collection des comtes de Falloux, l’œuvre se présentait en exacte contrepartie du burin de Duflos. Malgré un état fortement chanci, on y retrouvait le même buste, sans mains, revêtu du rocher violine doublé de soie rouge et boutonné de même. Ce frère de l’élégant duc de Saint-Aignan (peint en 1722 par Rigaud), avait sans doute sollicité Fontaine à l’occasion de son élévation à l’épiscopat Beauvaisien en 1713.

Peut-être rebuté par les tarifs du Catalan, il s’était alors rabattu sur son élève qui officiait de son chef comme expert successoral sur la place de Paris. S’il avait retenu les leçons de son maître dont il s’était émancipé, et bien qu’il n’en ait pas les nombreux talents, Fontaine pouvait pourtant donner à ses clients l’assurance d’une certaine « illusion rigaldienne ».

La posture, somme toute conventionnelle, n’était d'ailleurs pas sans rappeler les planches d’Edelinck [*P.491-4-b] et de Drevet [P.491-4-a] faites d’après le portrait du cardinal de Noailles, peint par Rigaud en 1697 …

Michel Hubert-Descours : à gauche, portrait d'homme au tricorne ; à droite, portrait de Monsieur Bourgade. Collections particulières © d.r.

Michel Hubert-Descours : à gauche, portrait d'homme au tricorne ; à droite, portrait de Monsieur Bourgade. Collections particulières © d.r.

Avec un portrait d’homme au tricorne (lot 99) et six panneaux décoratifs en camaïeu de bleu (lot 100), le peintre bernayen Michel Hubert-Descours (1707-1775) défendait, quant à lui lors d’une vente à Louviers, le 14 juillet 2020, son statut présumé d’ultime collaborateur d’Hyacinthe Rigaud. Bien que son nom n’apparaisse jamais dans les livres de comptes de ce dernier, on sait que le jeune artiste avait travaillé pour lui à ses débuts, en tant que copiste, de manière aussi marquante semble-t-il que Charles Sevin de La Penaye dont les références, par contre, abondent dans la comptabilité du Catalan (du moins jusqu’en 1726)[2].

 

Michel Hubert-Descours, portrait de Marie Jacqueline Fabre. Collection particulière © d.r.

Michel Hubert-Descours, portrait de Marie Jacqueline Fabre. Collection particulière © d.r.

Cependant, et si l’on perçoit çà et là dans l’œuvre d’Hubert-Descours, quelques allusions au vocabulaire de Rigaud — on pense notamment à son emprunt du célèbre jeune serviteur maure en fond de la non moins fameuse effigie de sa propre femme[3] —, la plupart des portraits qu’il peignit s’avèrent davantage marqués par l’art du flamboyant Louis Tocqué (1696-1772). C’est ainsi le cas d’ailleurs de notre inconnu au tricorne qui, dès 1929, avait été intégré au corpus de ce dernier artiste[4] par le comte Doria. Il est vrai que sa mise et son vocabulaire pictural n’étaient pas sans rappeler d’autres productions d’Hubert-Descours telle l’effigie de Monsieur Bourgade ou encore celle de Michel Gabriel de Chanu du Beaubenard, peinte en pendant de celle de son épouse, Catherine Fouques Dasnie du Beaubenard (1750)[5].

Michel Hubert-Descours, portraits de Monsieur et de Madame du Beaubenard, 1750. Collection particulière © Photo Dorotheum

Michel Hubert-Descours, portraits de Monsieur et de Madame du Beaubenard, 1750. Collection particulière © Photo Dorotheum

Malgré des manières de peindre très opposées, on a rapidement fait de Rigaud le formateur d’Hubert-Descours à son arrivée à Paris en 1731, à l’âge de 24 ans. La principale source en faveur de cette assertion est un petit manuscrit, écrit par le jeune homme, dans lequel il raconte avec beaucoup de pittoresque les évènements qui le menèrent à s’unir, en l’église Saint Paul à Paris le 15 octobre 1737, à Marie Jacqueline Fabre (Paris, 1717 - Bernay, 24 novembre 1797)[6].

 

Connu sous le titre de Les Amours de M. Hubert-Descours avec Mademoiselle Marie Fabre écritte par luy même en 1737[7], le document contient effectivement quelques indices sur la genèse de sa formation mais ne cite pourtant jamais le nom de Rigaud. Tout au plus apprend-on que, désireux d’apprendre la correction de l’anatomie à l’Académie Royale de Peinture et de sculpture, Hubert-Descours avait préalablement réussi à intégrer en 1731 l’atelier du premier peintre du roi. Or, le seul artiste ayant occupé ce poste de 1725 à 1733 était alors Louis II de Boullongne (1654-1733) — et non Rigaud qui n’y fut jamais promu[8]. On ne sait donc pas quand et comment le jeune artiste eut l’occasion de travailler avec le Catalan. En devint-il un copiste occasionnel, extérieur à l’atelier et ce, à partir de la mort de Boullongne ? Combien de temps dura cette nouvelle « collaboration » ? Il reste bien hasardeux aujourd’hui d’y répondre.

Manuscrit des Amours de M. Hubert-Descours avec Mademoiselle Marie Fabre écritte par luy même en 1737. Evreux, archives de l'Eure, 5F28, f°12 © Archives de l'Eure

Manuscrit des Amours de M. Hubert-Descours avec Mademoiselle Marie Fabre écritte par luy même en 1737. Evreux, archives de l'Eure, 5F28, f°12 © Archives de l'Eure

Dans tous les cas, durant le courant de l’année 1734, Hubert-Descours fit la connaissance d’un autre artiste, Jacques Fabre, légèrement plus jeune que lui, venu quelques années plutôt « chez le premier peintre du roi pour y apprendre le dessein ». Les deux jeunes gens se lièrent d’amitié et Fabre ne tarda pas à introduire Hubert-Descours dans son cercle familial, installé à Paris, rue de La Mortellerie.

« Il y avoit dans cette maison deux demoiselles, dont l’aisné n’avoit pas plus de dix sept à dix huit ans, mais quoi qu’elles fusents toute deux doüé d’un meritte infini, je trouvai un certain je ne sçai quoi pour la cadette pour la qu’elle mon cœur des cet heure avoit donné la préférence. A peine eu-je vû les beaux yeux de Mademoiselle marie ….. (c’est ainsi qu’elle se nommeoit) que je ne conçu pas pour elle de l’amitié sans beaucoup d’amour ».   

On savait que la famille Fabre était déjà bien en vue à Paris pour avoir donné plusieurs artistes, des notables et un ecclésiastique[9]. Grâce à la redécouverte de plusieurs actes d’archives jusqu’ici inédits — une tutelle des enfants Fabre et l'inventaire après décès de Jean Fabre —, nous connaissons mieux désormais la composition du foyer qui comptait en réalité quatre enfants et non trois comme on le pensait jusqu’à présent.

Vue de la rue de Mortellerie au quartier de l'hôtel de ville à Paris, près du pont Marie. Plan de Turgot, 1739 © d.r.

Vue de la rue de Mortellerie au quartier de l'hôtel de ville à Paris, près du pont Marie. Plan de Turgot, 1739 © d.r.

De Jean Fabre, maître chirurgien à Paris (mort en 1735)[10] et de Jacqueline Caille, naquirent successivement : Jacques (né en 1713), l’ami présumé d’Hubert-Descours et qui devait rejoindre, deux ans plus tard, l’atelier du peintre Étienne Lecœur, dans lequel il entra en apprentissage pour cinq ans le 2 mai 1736. Vint ensuite Jacqueline Henriette (née en 1716), qui deviendra la marraine d’un des enfants d’Hubert-Descours et dont l’artiste parle plusieurs fois dans son manuscrit. Puis Marie Jacqueline, héroïne de la romance et future Madame Hubert-Descours ; enfin Louis François Fabre (1720-1771), qui allait développer ses talents de marchand d’estampes et de graveur en tailles douces.

Si Hubert-Descours ne parle à aucun moment de ce dernier dans son récit, c’est que ce Fabre était encore très jeune. S’il est peu probable que Louis François Fabre ait pu jamais compter au nombre des collaborateurs de Rigaud, compte tenu de son jeune âge, il fut néanmoins un fin connaisseur du potentiel que représentait les planches d’interprétation du Catalan, très tôt recherchées dans le siècle.

En témoigne une très belle série de portraits d’après Rigaud, issue de son impressionnante collection de gravures dispersée à sa mort par et chez François Basan, rue Serpente, le 2 mai 1771. En préambule au catalogue[11], le rédacteur avait pris soin de préciser que Fabre « étoit très difficile sur le choix des épreuves lorsqu’il pouvoit le faire ; aussi dans tout ce qui s’appelle Estampes modernes il n’y a rien a désirer, tant pour la beauté des épreuves, que pour la conservation ». Il poursuivait en notant que le marchand avait rassemblé « depuis un nombre d’années tous les portraits qui ont été gravés d’après le célèbre Hyacinthe Rigaud, Chevalier de l’Ordre de S. Michel, & le plus habile en ce genre qu’ai produit l’École françoise. J’ai cru ne devoit pas partager un tel œuvre, qui ne peut que faire plaisir aux Curieux, & qu’il seroit difficile de rassembler dans le présent Catalogue au n°649, les épreuves en sont parfaites, & une grande partie avec différences, qui en caractérisent la primauté des Epreuves, soit avant la lettre ou autrement ».

Michel Hubert-Descours, panneaux décoratifs (détails), 1755 © d.r.
Michel Hubert-Descours, panneaux décoratifs (détails), 1755 © d.r.

Michel Hubert-Descours, panneaux décoratifs (détails), 1755 © d.r.

Dans les autres parties de sa peinture, Hubert-Descours trahira bien d’autres influences. C’est notamment le cas des scènes champêtres et villageoises, d’une grande fraîcheur de ton, et dont nous parlions en préambule. Plus proches de la tendresse des scènes d’Histoire de Bollongne — et de ses élèves (Jacques Courtin ou Louis Galloche) —, elle témoignent naïvement de l’intérêt porté par le Bernayen pour les décors de bergeries alors très en vogue à cette époque, pour ce goût du rural et du pittoresque qui s’invitait tout autant dans les hôtels particuliers parisiens que dans les belles demeures de province. Partie d’une suite de huit panneaux décorant jadis le salon d'une de ses maisons à Bernay, rue du grand Bourg, cette paysanne trayant des vaches, ces bergers jouant du flageolet, ces villageois cueillant un essaim d’abeilles, ce jeu de la perche et ce couple de berger et bergère dansant au son du tambourin, étaient encore en place en 1889 lorsque le principal biographe de l’artiste, l’abbé Adolphe André Porée (1848-1939), imprima la première grande étude sur le peintre et en dressa une première esquisse de catalogue[12].

À défaut de se révéler un élève avéré d’Hyacinthe Rigaud et quoique son Œuvre puisse s'avérer bien inégal en qualité (on pense au second portrait de son épouse, réalisé en 1770 et peu flatteur pour son modèle), Michel Hubert-Descours reste cependant un bon représentant des portraitistes de l’entourage de Tocqué, partageant avec Jean-Marc Nattier ou le pastelliste Louis Vigée, un goût pour la représentation d’une certaine élégance du siècle des Lumières.

 


[1] Perreau, 2013, fig. 28 p. 35.

[2] Selon Antoine Dezallier d’Argenville Rigaud aurait laissé « pour élèves Nicolas Desportes neveu du peintre de ce nom & plusieurs copistes, tels que les sieurs la Penai & Descours qui ont toujours travaillé sous ses yeux » (Abrégé, de la vie des plus fameux peintres, Paris, De Bure, 1745, p. 413).

[3] Huile sur toile, vente Christie’s, Monaco, 7 décembre 1987, lot 102 ; vente Robert de Balkany, Sotheby’s, Paris, 20 septembre 2016, lot 15.

[4] Pour les scènes champêtres : Huiles sur toile, 157 x 168 cm, 157 x 56 cm, 157 x 169, 157 x 120 cm, 157 x 75 cm, signées et datées « Descours pinxit 1755 ». L’homme au tricorne quant à lui, avait déjà été proposé à la vente à Paris, par le crédit municipal, le 13 juin 2017, lot. 23.

[5] Vente Paris, Tajan, jeudi 26 juin 2008, lot. 88 ; vente Vienne, Dorotheum, 6 octobre 2009, lot. 293.

[6] Bernay, paroisse Sainte Croix, 4 frimaire An VI, archives départementales, 8Mi418 f°409. On la disait jusqu’ici décédée en 1777.

[7] Evreux, archives départementales de l’Eure, 5F28.

[8] La mort de Boulongne mit le poste à la vacance jusqu’en 1736, date à laquelle il fut repris par François Le Moyne (1688-1737).

[9] Jean-Claude Fabre (1668-1753), prêtre de l’Oratoire devint l’un des protagonistes de l’intrigue des Amours du peintre. Prédicateur et traducteur reconnu, il s’avisa, dans une édition du Dictionnaire de Richelet, en 1709, « d'insérer des articles de théologie janseniste, des éloges exagérés de Port-Royal, et des satires contre les Jésuites, il fut obligé de sortir de l'Oratoire. Son ouvrage fut supprimé. Rentré dans la congrégation après la mort de Louis XIV, Fabre entreprit de continuer l'Histoire ecclésiastique de Fleury » (Pierre-Joseph Picot de Clorivière, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique pendant le dix-Huitième siècle, vol. 3, Paris, d’Adrien Le Clere, 1854, p. 439).

[10] Et non en 1738 comme on le pensait jusqu’à présent, ce qu'atteste son inventaire après décès réalisé le 14 octobre de cette année (Paris, AN, MC, ét., LXXII, liasse 268).

[11]Exemplaire de la bibliothèque de l’INHA, en ligne : Catalogue des estampes, dessins et planches gravées trouvés au décès de M. Fabre, marchand d'estampes à Paris, par F. Basan, graveur, dont la vente se fera rue & Hôtel Serpente, en la manière accoutumée, au plus offrant & dernier enchérisseur, de relevée, le may 1771, & jours suivans

[12] Abbé Porée, Un peintre bernayen, Michel hubert Descours 1707-1775, Paris, typographie Plon 1889, 30 pages.

Retour à l'accueil