Jean Ranc : redécouvertes
26 avr. 2020Si les livres de comptes tenus par Hyacinthe Rigaud tout au long de sa vie ont très tôt permis aux historiens d’établir un catalogue assez fidèle de son Œuvre, ceux de la plupart de ses contemporains restent encore tributaires des aléas de la redécouverte. Jean Ranc ne fait pas exception et l’on peut donc se réjouir qu’à la suite de l’exposition qui vient d’être organisée avec le musée Fabre de Montpellier en ce début d’année 2020, plusieurs toiles essentielles de son catalogue soient enfin réapparues.
Jean Ranc, portrait d'Antoine Houdart de La Motte, v. 1704. Collection particulière © Photo d.r. Stéphan Perreau
La première – et non des moindres –, est le portrait du poète, fabuliste et librettiste Antoine Houdart de La Motte (1672-1731) peint par Ranc vers 1704 et exposé au Salon de la même année. Comme on le sait, les deux hommes on cultivé une amitié durable, qui vit son apogée en 1719, avec la participation de Ranc à l’illustration des Fables Nouvelles de La Motte.
Nicolas Étienne Édelinck d'après Ranc, portrait d'Antoine Houdart de La Motte, Collection particulière © d.r
Le portrait du poète, souvent mis en tête de différentes éditions de ses œuvres, n’était donc connu que par l’estampe de Nicolas Étienne Édelinck, ami du peintre et son graveur presque attitré, copiées et « arrangées » ensuite par Desrochers, Ingouf, Bernigeroth, Gleditsch et les Crépy,[1]. On y voit Houdart, en homme de lettre, tenue décontractée et chemise ouverte, assis dans un fauteuil, un bonnet d’intérieur sur la tête et tenant dans ses mains un feuillet ouvert. Un état primitif de la planche mentionnait le nom du peintre avec l’orthographe phonétique « Ranck », ce qui fut corrigé dans un second état en même temps que l’on glissait entre les doigts d’Houdart un accessoire plus évocateur de son talent, une plume.
L’estampe d’Édelinck ne transcrivait en réalité qu’une partie du portrait original dont on avait malheureusement perdu la trace au lendemain de la mort du poète. Le cadrage voulu par Ranc, beaucoup plus ambitieux qu’on ne l’imaginait, montre désormais un décorum plus abouti, composé d’un grand rideau sur la droite et de nombreux livres sur la table à gauche. Il faudra malheureusement attendre la fin du confinement actuel pour pouvoir examiner plus attentivement la toile mais sa réapparition revêt donc un caractère essentiel pour la connaissance de l’idée de l’artiste.
Jean Ranc (?), portraits de Jean Antoine du Vidal et d'Anne de Fournas, v. 1700. Collection particulière © d.r Stéphan Perreau
Anonyme d'après deux tableaux de Jean Ranc, portraits de Jean Antoine du Vidal et d'Anne de Fournas. Collection Nicolas Gladysz © d.r
Deux autres portraits, que nous connaissions par le biais de tirages photographiques de la fin du XIXe siècle aimablement communiqués par leur propriétaire (ci-dessus)[2], sont également venus confirmer leur place dans le corpus de notre artiste. Jean Antoine du Vidal (1664-1733), seigneur de Montferrier, Baillarguet, Saint-Clément, Rivière et Terre-Neuve, était l’une des figures majeures de la vie Montpelliéraine au temps de Ranc[3]. Maître à Cour des comptes, aides et finances de Montpellier dès 1691, conseiller du roi puis syndic général des États du Languedoc (1704), il partageait son temps entre les affaires du midi et ses rendez-vous parisiens où il fit probablement la connaissance de son peintre. C’est donc en habit de la cour des comptes, rouge et d’hermine, que du Vidal choisi de se faire représenter. Certaines différences dans le traitement du drapé, entre la toile et la photographie, apparaissent, indiquant peut-être une modification ultérieure par un restaurateur, à moins que l’on ait à faire à une réplique.
Là encore, l’examen post-confinement permettra de se prononcer sur son état, tout comme sur celui de l’effigie de son épouse, Marie Anne de Fournas de La Brosse (v. 1670-ap.1733), avec qui il s’était unit le 11 janvier 1689 sur la paroisse Notre Dame des Tables de Montpellier. Si l’image proposée par l’exemplaire que nous avons redécouvert semble conforme à celle de la photographie, l’examen de visu saura déterminer s’il s’agit bien d’une œuvre autographe de Ranc. Tout du moins l’œuvre a-t-elle gardé son cadre « à la marguerite » qui nous fait penser que l’œuvre est un probable pendant d’un autre portrait de Jean-Antoine du Vidal, représenté « en habit de ville »et de mêmes dimensions[4] .
Dans tous les cas, avec les Bon de Saint Hilaire, les Bonnier de la Mosson et les d’Aigrefeuille, tous bien représentés au musée Fabre le temps de l’exposition, c’est tout un pan de l’histoire de Montpellier qui ressurgit aujourd’hui.
Ces redécouvertes, auxquelles viendra bientôt s’ajouter un modello inédit pour une pièce majeure de Ranc (et sur lequel nous reviendrons), semblent donc de bonne augure pour une meilleure connaissance de l’œuvre du meilleur élève d’Hyacinthe Rigaud.
[1] Catalogue de l’exposition Jean Ranc, un montpelliérain à la cour des rois, Silvana, 2020, cat. 42, p. 160-161 [notice de Stéphan Perreau].
[2] Ibid. fig. 14 et 15, p. 26. Nous remercions Monsieur Nicolas Gladysz de nous avoir fait connaître des photographies issues de sa collection et, pour un historique des Montferrier, l’on renverra le lecteur vers le site artifexinopere.
[3] Malgré notre vigilance, la citation du personnage dans le catalogue de l’exposition Ranc indique de manière erronée son fils, le premier marquis de Montferrier (1700 –1786), comme client de Ranc.
[4] Catalogue Ranc, op. cit., fig. 13, p. 25. Joseph Roman, lorsqu’il publia les livres de comptes de Rigaud, vit le tableau dans les collections du 5e marquis de Montferrier à Paris, mais, malgré là encore un cartouche attribuant l’ovale au peintre Catalan, il le rejeta avec raison de ce corpus sans le donner cependant à Ranc (1919, p. 293, « portraits d'attribution incertaine »).