Élégance et vibration : Hyacinthe Rigaud à l'école hollandaise
12 déc. 2019Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, v. 1681-1685 (détail). Collection particulière © image Christie's Paris
S'il y a toujours une certaine frustration à ne pouvoir mettre un nom sur un modèle, on se consolera en admirant sans retenue l'une des élégantes productions de jeunesse de Hyacinthe Rigaud qui vient d'être proposée à la vente chez Christie's Paris en ce début décembre. Toute teintée de l'école du Nord, proposée d'ailleurs comme telle lors de sa première apparition sur le marché de l'art parisien en 2000, l'image s'inscrit comme souvent chez l'artiste, dans un ovale feint. Le buste tourné vers la droite du tableau, l'homme, au visage émacié et à la bouche pulpeuse à souhait, fixe le spectateur dans un savant jeu d'introspection feinte.
Son ample manteau au réseau de plis encore peu exubérant, mais déjà bien symptomatique de l'artiste, est traité dans des tons de bruns d'une extraordinaire douceur, simplement rehaussé d'une lumière crue venant de la gauche, appliquée sur les arêtes avec une grande vivacité. Au cou, sa cravate en dentelle de Flandres est à elle seule un morceau de bravoure dans l'étude de la nature. La perruque, évanescente, se fond doucement dans le fond neutre de l'œuvre, participant à douceur de l'ensemble.
L'homme eut sans doute quelque influence en son temps ou, du moins, son portrait fut-il assez connu pour qu'il inspire la confection d'une miniature que nous avions identifiée dans les collections du musée du Louvre. Anciennement attribuée à un artiste du XIXe siècle, elle a été depuis, rendue à l'école du XVIIe siècle.
Le grand degré de maîtrise à laquelle Rigaud était déjà parvenu en cette toute fin de XVIIe siècle force toujours autant l'admiration et renvoie directement à son premier autoportrait passé il y a peu sur le marché. Il remet toujours davantage l'historien et l'amateur en question et permet de mieux appréhender cette première période où l'artiste cherchait son style et, peu à peu, s'individualisait.
Nombreux sont les ponts stylistiques possiblement à établir entre la peinture du Catalan et tous ces artistes hollandais qui l'influencèrent ou qui ont cultivé la même fibre. À bien des égards ces portraits de jeunesse de Rigaud cultivent une réelle parenté avec ceux produits dans les années 1710-1720 par le hollandais Arnold Boonen (1669-1729), à l'instar de cet anonyme vendu récemment chez Artcurial. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, lors de sa première vente en 2000, notre tableau avait été daté des années 1720, lui aussi...
Une décennie plus tard, Hyacinthe Rigaud perpétuera en effet dans ses œuvres plus matures, une certaine tradition de retenue toute nordique. Mais dans ses jeunes années, un petit format, conservé au musée des Beaux arts de Bordeaux, et que nous lui attribuons, illustre assez nettement ce goût déjà (huile sur toile ovale, 32 x 27 cm, inv. Bx E 1069.125).
Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme inconnu, v. 1685. Bordeaux, musée des Beaux-arts. © Stéphan Perreau
L'œuvre, que nous avons pu examiner en compagnie de l'équipe de conservation du musée en 2018, est un item du fameux legs Poirson. Si elle reste en devenir, car en attente d'une restauration qui la débarrassera des traces de salissures, des repeints et des opacités accumulés par le temps, elle illustre avec justesse ces petits tableaux que l'artiste confectionnait, comme riccodo ou modello de toiles plus vastes. A moins (et cela reste à définir) qu'il ne s'agisse ici d'un portrait à part entière, dans la veine des formats réduits hollandais.
Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme inconnu, v. 1685 (détail). Bordeaux, musée des Beaux-arts. © Stéphan Perreau
On y reconnaît dans tous les cas, malgré la gêne visuelle, toute la science d'ordonnance des drapés propres au jeune Rigaud des années 1688-1689, avec l'utilisation de cette couleur violine si commune à ses compositions d'alors, notamment le portrait du duc de Chartres ou celui du marquis de Chazeron. La main, notamment, avec ses doigts exagérément longilignes, ne sont pas sans rappeler celles de Pierre Vincent Bertin (1685) ou de l'anonyme du musée de Besançon.