Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, Huile sur toile, 1709 (détail). Collection particulière © courtesy Christie's New York

Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, Huile sur toile, 1709 (détail). Collection particulière © courtesy Christie's New York

Il y a bientôt un an, la maison Sotheby's à New York nous proposait à l'étude le portrait en grand du conseiller d’État Joseph Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville (1661-1728), comte de Morville. Le tableau, alors en collection sud-américaine n'avait pas été restauré mais promettait beaucoup, malgré des faiblesses dans le décor, des usures et d'anciennes restaurations. Nous y avions pourtant d'emblée reconnu la qualité d'un original, notamment grâce à la rondeur des chairs, la vivacité des tissus et la brillance des couleurs. Il est aujourd'hui proposé en vente le 30 janvier prochain sous le lot n°208.

Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, Huile sur toile, 1709. Collection particulière © courtesy Christie's New York

Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, Huile sur toile, 1709. Collection particulière © courtesy Christie's New York

La qualité du travail des chairs s'est avéré au premier examen prodigieuse, avec ces veines sous-jacentes et cet épiderme aux variations de couleurs si naturelles. L'extrême fini des ces parties du corps, se juxtaposent à l'aspect très brossé et vigoureux du grand manteau moiré de noir et à la fraîcheur des manchettes de coton.

Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, Huile sur toile, 1709 (détail). Collection particulière © courtesy Christie's New York

Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, Huile sur toile, 1709 (détail). Collection particulière © courtesy Christie's New York

Le fini évident de ce qui semblait être un original, se trouva appuyé par l'authentification et la provenance du portrait. Bien que l’œuvre ait été rentoilée, le restaurateur avait prit en effet le soin de retranscrire sur la traverse médiane du châssis, l'ancienne signature de l'artiste dont la formulation est désormais bien connue (« peint par Hyacinthe Rigaud 1709 »). Sur le côté gauche, sur une ancienne étiquette, on pouvait lire : « Propriété / de M. le Duc de La Rochefoucault Doudeauville  »

Cette indication permet d'identifier le tableau de Christie's comme l'original de Rigaud, passé par descendance au fils aîné du modèle, Charles Jean-Baptiste Fleuriau de Morville (1686-1732). Le portrait dut appartenir ensuite à sa fille, Jeanne Fleuriau de Morville (1711-1768), épouse d'Alexandre Nicolas de La Rochefoucauld (1709-1760) puis à leur fils, Jean-François de La Rochefoucauld (1735-1789). De là, l'héritage se poursuivit par leur fils Ambroise Polycarpe de La Rochefoucauld (1765-1841) qui le légua au sien, Sosthène de La Rochefoucauld (1785-1864), second duc de Doudeauville.

Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, Huile sur toile, 1709 (détail du chassis). Collection particulière © courtesy Christie's New York

Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, Huile sur toile, 1709 (détail du chassis). Collection particulière © courtesy Christie's New York

Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, Huile sur toile, 1709 (détail de la traverse du chassis). Collection particulière © courtesy Christie's New York

Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, Huile sur toile, 1709 (détail de la traverse du chassis). Collection particulière © courtesy Christie's New York

Lorsque Fleuriau d’Armenonville (1661-1728), passa pour la dernière fois devant le pinceau de Rigaud en cette année 1709, il était devenu l’un des plus importants personnages du royaume. Le portrait proposé par la maison Christie's marque l’apogée d’une carrière d’une remarquable ascension mais qui connut, sous la Régence, quelques revers. Fils d’un serviteur de Gaston d’Orléans, oncle de Louis XIV, d'Armenonville est issu d’un milieu bourgeois, constitué de juristes, de gens de robe. Il grandit entre Paris et le domaine familial d’Armenonville, près de Maintenon et débute sa carrière comme commis du contrôleur général des finances, Claude Le Peletier (1631-1711).

 

Bientôt conseiller au parlement de Metz en 1686 puis Intendant des finances, il ressent le besoin de faire fixer ses traits pour la première fois par Rigaud, dont la célébrité pour avoir peint une partie de la famille royale s’imposait à lui. Il est peint donc une première fois dès 1692. De ce premier portrait, payé la somme assez importante de 360 livres on ne connaît que peu de choses sinon qu’il en fut fait trois copies en 1698. Elle devait, pour le moins, égaler en ambition picturale celles du chevalier de Croissy ou du roi de Danemark, peintes en grande pompe l’année suivante pour 367 livres.

Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, Huile sur toile, 1709 (détail). Collection particulière © courtesy Christie's New York

Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, Huile sur toile, 1709 (détail). Collection particulière © courtesy Christie's New York

Il faudra attendre 1706 pour retrouver le comte, accompagné de son frère Louis-Gaston Fleuriau d’Armenonville (1661-1733), tout nouvel évêque d’Orléans, dans l’atelier du peintre. Il s’agissait de célébrer sa récente nomination au poste de directeur des finances qu’il tiendra jusqu’en 1708. Cette fois, le prix passe à 400 livres et on note la réalisation officielle d’au moins quatre copies réduites en buste, et une « en pied » pour l’une des filles du modèle, Marie-Jeanne (1688-1735), marquise de Gassion ou Marie-Thérèse (1698-1753), comtesse d’Autrey. Là encore, nous n’avons que peu de renseignements sur l’effigie sinon qu’elle devait, déjà, représenter d’Armenonville à son bureau. Les travaux de l’aide d’atelier Bailleul en 1707, sur la copie destinée à la fille du comte en attestent.

Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, Huile sur toile, 1709 (détail). Collection particulière © courtesy Christie's New York

Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, Huile sur toile, 1709 (détail). Collection particulière © courtesy Christie's New York

Malgré un début de disgrâce liée, en 1709, à la chute de Chamillart avec qui il travaillait à l’Intendance, mais aussi à cause de l’irrésistible ascension depuis 1703 du contrôleur général de Nicolas Desmarest (1648-1721), Fleuriau d’Armenonville sollicite une dernière fois Hyacinthe Rigaud en 1709 pour un portrait tout à fait ostentatoire et qui deviendra son portrait officiel. En effet, dès 1708, l’aide d’atelier Jean-Baptiste Montmorency reçoit de Rigaud 6 livres pour la confection d’un splendide dessin qui reprend à l’identique la composition déjà entamée. Fleuriau d’Armenonville y est vu tourné de côté, vêtu d’une grande robe noire de parlementaire avec son rabat blanc en deux parties. Le buste est cintré par une ceinture nouée sur le devant du torse de même couleur que la robe. L’homme se tient debout debout, dans un environnement de palais ou de chambre officielle, décoré en fond de deux colonnes dont les fûts sont enveloppés d’un lourd manteau flottant animant la scène. Répondant à la dynamique du décor, Rigaud anime son modèle qui semble comme surpris dans la préparation de l’envoi d’une missive cachetée qu’il serre dans une main, tandis que l’autre tient une plume qu’il vient de tremper dans un encrier posé sur un bureau plat. Alors que Jean-Baptiste Colbert de Torcy, dans son portrait de 1699, avait été représenté assis dans un décor assez voisin et œuvrant à la même tâche, Fleuriau d’Armenonville semble plus volontaire, comme s’il s’était levé de son fauteuil à haut dossier et accotoir d’acanthes sur lequel repose un fracas de soieries moirées.

 

La virtuosité du rendu des textures, le vrai et le naturel des plis des manchettes de coton, l’extrême finition des carnations des mains et du visage (qui faisaient la principale attention de l’artiste), montrent l’entière qualité de l’œuvre pour laquelle aucune participation extérieure ne semble avoir été répertoriée. La graphie de la signature rapportée au dos, sur le châssis après rentoilage, la provenance directe du tableau, par la branche aînée du modèle qui fit passer la toile dans la collection des La Rochefoucauld-Doudeauville plaide également pour son prestige.

Hyacinthe Rigaud et Jean-Baptiste Monmorency, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, dessin, 1709 (détail). Collection particulière © courtesy Christie's Londres

Hyacinthe Rigaud et Jean-Baptiste Monmorency, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, dessin, 1709 (détail). Collection particulière © courtesy Christie's Londres

Le succès et la diffusion de l’image furent rapides. En 1709, l’aide d’atelier Adrien Leprieur reçoit 80 livres pour « une copie de M[onsieu]r Darménonville en pied », 70 autres pour « Une copie de M[onsieu]r Darménonville en grand » et 12 livres pour « une teste de M[onsieu]r Darménonville » . En 1711, Bailleul touche 30 livres pour « une coppie de M[onsieur] d’Arménonville, toille de 4lt » livres et l’aixois Louis René Vialy, reçoit en 1714 16 livres pour avoir « travaillé à un bureau d’après M[onsieu]r d’Arménonville » (ms. 625, f° 31 v°).

 

L’attitude et le répertoire utilisés ici feront aussi recette auprès d’autres clients de Rigaud. Avec plus ou moins de variantes, on retrouvera la posture dans le portrait du premier président au parlement de Provence, Cardin Le Bret (1712 ; collection particulière) et, surtout, du ministre Philibert Orry (1735 ; copie à Versailles, musée national du château). La main tenant la plume reviendra également en 1718 dans l’effigie de l’intendant Nicolas Lamoignon de Basville (collection particulière) ou celle du contrôleur général, Michel Robert Le Pelletier des Forts (1727, Toulouse, musée des Augustins). Quant à la célèbre tête de satyre du piètement du bureau, d’après un modèle de Girardon, elle devient alors un élément récurrent des portraits des grands personnages du royaume dès la fin de la Régence. Le bureau plat, sans doute un meuble appartenant à l’artiste, et qui était apparu dès 1702 dans le célèbre portrait de l’évêque de Meaux, Bossuet (1702 ; Paris, musée du Louvre)… se retrouvera ainsi indifféremment dans ceux du président de Nicolay (1713 ; collection particulière), celui du ministre Charles Gaspard Dodun (1723 ; collection particulière) ou du financier Gérard Michel de la Jonchère (1721 ; château de Parentignat) pour ne citer qu’eux.

Pierre Denis Martin, vue du château de Madrid dans le Bois de Boulogne, v. 1722. Versailles, musées des château de Versailles et de trianon © d.r.

Pierre Denis Martin, vue du château de Madrid dans le Bois de Boulogne, v. 1722. Versailles, musées des château de Versailles et de trianon © d.r.

Dès 1699, Joseph Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville avait acheté au duc d'Uzès dont il était le créancier, le domaine de Rambouillet pour la somme de 140 000 livres. Après avoir fait réaliser près de 500 000 livres de travaux, il le cèdera à son tour, en 1706 au comte de Toulouse, contre 500 000 livres, la capitainerie des chasses du bois de Boulogne et des plaines voisines ainsi que la jouissance du château de Madrid qui s’y dressait, avant de mourir à Paris, dans son hôtel de la rue Plastrière, le 27 novembre 1728.

Jean-François Cars d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville. 1720 © d.r.

Jean-François Cars d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville. 1720 © d.r.

A la fin de sa vie, Fleuriau d’Armenonville avait exercé la charge de secrétaire d’État au ministère de la Marine du 24 septembre 1718 au 14 août 1723. Il était déjà doyen du Conseil d’État à son décès et grand trésorier de l’Ordre des chevaliers du Saint-Esprit de 1724 à 1728 lorsqu’en 1720, Jean-François Cars grava en partie le portrait, n’en conservant qu’un « buste sans mains, tiré sans aucun changement d’un portrait jusqu’aux genoux, hormis qu’on y a ajouté la croix et le cordon de l’ordre de S.t Louis. Cette addition d’une main étrangère. » Dès avril 1719, le modèle était en effet devenu grand’croix et secrétaire de l’ordre de militaire Saint Louis, moyen parfait pour antidater l’estampe.

Le 28 février 1722, il avait enfin obtenu le poste de garde des sceaux, expliquant ainsi le changement opéré par Étienne Jehandiers Desrochers dans sa propre estampe largement inspirée de Cars : Fleuriau d’Armenonville y est vêtu de l’habit de velours violet, doublé de satin cramoisi, représentatif de sa charge. Notons que cette nouvelle fonction de garde des sceaux motiva également un suiveur de Rigaud dans l’échafaudage plus ou moins heureux d’une composition que l’on donna pourtant longtemps au maître.

École française du XVIIIe siècle (en partie) d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville. ap. 1722. Collection particulière © d.r.

École française du XVIIIe siècle (en partie) d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville. ap. 1722. Collection particulière © d.r.

Reprenant le visage et la perruque inventés dans l’original, l’auteur pensa « faire du Rigaud » en faisant asseoir le modèle dans un fauteuil, tenant une lettre et posant l’une de ses mains sur le coffre contenant les sceaux, lequel se trouve disposé sur une table recouverte de velours. Peut-être s’était-il d’ailleurs inspiré d’un autre portrait du maître, aujourd’hui perdu, figurant Daniel-François Voysin de La Noiraye (1652-1717), « habillé avec ses habits de cérémonie. Il est assis sur un fauteuil vis-à-vis le coffre des sceaux du roi » (l’œuvre fut peinte en 1715). Plusieurs témoignages de cet arrangement pictural existe, dont un dans les collections de Versailles, et un autre, plus petit, que nous reproduisons.


Actualisation 02/02/2020 (jour palindrome !)

« Grâce à la participation de la Fondation La Marck, mécène régulier des musées français, le Centre des Musées Nationaux a pu s’enrichir aujourd’hui à New York, chez Sotheby’s, d’un portrait de Joseph Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville par Hyacinthe Rigaud, adjugé pour 200 000 dollars, frais compris. Il rejoindra le château de Rambouillet dont le CMN a la charge, Fleuriau ayant été le propriétaire du domaine entre 1699 et 1706 et à l’origine de la transformation du parc en jardin à la française. » Par cet édito publié sur son site le 20 janvier 2030, la Tribune de l'art résumait en quelques mots justes le destin nouveau du grand portrait de Fleuriau d'Armenonville que nous avions redécouvert il y a un an maintenant. 

Bien qu'ayant été malmené par le temps, et comme le rappelle l'article, ce grand portrait, garde tout de même tout son lustre et reste du plus bel effet. On ne peut que se réjouir, à l'exemple des portraits des époux Bonnier de La Mosson, récemment préemptés par le musée Fabre de Montpellier avec avoir « périgriné » dans toute l'Europe jusque dans les salons de la maison Blanche, soient revenus dans leur ville de cœur.

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – Ces messieurs de Montpellier

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – Ces messieurs de Montpellier

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