Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme (détail), v. 1690-1695. Collection particulière © Photo Sotheby's

Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme (détail), v. 1690-1695. Collection particulière © Photo Sotheby's

C’est un bien joli Rigaud que s’apprête à vendre la maison Sotheby’s le 31 janvier prochain (lot 245). Peint dans durant la dernière décennie du XVIIe siècle, sans doute entre 1690 et 1695 comme le montre le style caractéristique de la perruque, ce portrait était déjà connu des spécialistes pour être passé en vente plusieurs fois sur le marché de l’art français avant de partir en collection privée aux États Unis.

Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, v. 1690-1695. Collection particulière © Photo Sotheby's

Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, v. 1690-1695. Collection particulière © Photo Sotheby's

Avec son œil doux et presque pétillant, l’iris habillé d’une légère humeur blanche, l’homme peint ici nous regarde par dessus son épaule, selon une attitude déjà bien rodée chez l’artiste. La chemise libérée de sa chaconne bleue dénouée, il pose devant un fond neutre qu’habille discrètement un léger rideau à droite. En tournant le buste de son client complètement vers l'extérieur de la composition, Rigaud créé en effet l’impression d’une conversation domestique et décontractée qui semble s’être engagée entre le sujet et le créateur.

À gauche : Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, v. 1690-1695. Collection particulière Photo Sotheby's / À droite : Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme. Barcelone, musée d’art ancien © photo d.r.

À gauche : Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, v. 1690-1695. Collection particulière Photo Sotheby's / À droite : Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme. Barcelone, musée d’art ancien © photo d.r.

L’attention portée à la ressemblance du visage, avec ces arrêtes bien dessinées et ces chairs douces et subtiles, préfigure l’art fameux du « beau fini » qui fera la réputation du Rigaud des années 1700-1720. Si la copie du portrait vendu par Sotheby's, conservée au musée d’art ancien de Barcelone, ne lui dispute par exemple que l'illusion de la reproduction (avec menues variantes), l'original dévoile une touche aisée, sans trop d’empâtements, privilégiant l’harmonie des traits et la correction du dessin. Tronquée dans sa partie basse, présentant de menues variantes (un goitre plus prononcé notamment), la version catalane simplifie d'ailleurs les textures traite les ombres en « lavis » et reproduit une perruque sans relief particulier.

Qu’elle soit d’un rose légèrement poudré ou d’un doux gris matérialisant la pilosité sous-jacente, la peau de l'exemplaire Sotheby's s’anime au contraire d’une lumière plus subtile, rehaussée ça et là de traits plus marqués, comme sur l’arrête et le bout du nez.

Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme (détail), v. 1690-1695. Collection particulière © Photo Sotheby's

Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme (détail), v. 1690-1695. Collection particulière © Photo Sotheby's

L’évanescence de la perruque doit aussi beaucoup à l’harmonieuse disposition de ses boucles, presque extirpées une à une par l’artiste d’une masse plus sombre. Chacune est retravaillée à la pointe d'un pinceau ondulant qui se plaît à recréer une lumière mordorée que l’on pourrait croire émaner d’un candélabre.

Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, v. 1690-1695. Collection particulière (détail) © Photo Sotheby's

Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, v. 1690-1695. Collection particulière (détail) © Photo Sotheby's

À ce berceau de l’expression, répond la masse de l’habillement, autre élément de virtuosité dans lequel le peintre fait montre de sa capacité dans l'agencement des tissus par l’ingéniosité de la liaison des plis. Telle une pyramide au sommet de laquelle la tête du modèle aurait été posée, le vaste manteau de velours rouge légèrement galonné, arbore ses drapés architecturés, comme dans maintes autres productions à cette époque.

À gauche : Hyacinthe Rigaud, autoportrait au manteau rouge. Picardie, coll. part © photo Stéphan Perreau / À droite : Hyacinthe Rigaud, autoportrait au manteau rouge. Karslruhe Gemäldegalerie Alte Meister © photo dr

À gauche : Hyacinthe Rigaud, autoportrait au manteau rouge. Picardie, coll. part © photo Stéphan Perreau / À droite : Hyacinthe Rigaud, autoportrait au manteau rouge. Karslruhe Gemäldegalerie Alte Meister © photo dr

L'autoportrait dit « au manteau rouge », peint en 1692, s'était ainsi habillé d’un semblable tissu, prolongé par Rigaud d'un grand pan débordant lorsqu’il s’était agi de le faire graver par Édelinck.

 

Bien d’autres exemples issus du catalogue de l'artiste, ont repris des textures similaires, souples et ondoyées, avec ces vigoureuses touches de blanc apposées dans les creux et sur les bords des plis, comme autant de traits d’une lumière crue presque impressionniste.

Hyacinthe Rigaud, portrait d'Antoine Ranc, 1696. Narbonne, palais des archevêques © Musées de Narbonne

Hyacinthe Rigaud, portrait d'Antoine Ranc, 1696. Narbonne, palais des archevêques © Musées de Narbonne

En admirant le portrait d’Antoine Ranc, peint quelques années plus tard, on perçoit l’harmonie qui régnait dans une production autographe de l’artiste et ce, même si en son sein, il arrivait que Rigaud apporte un plus ou moins grand degré de finition aux différentes parties de son œuvre. Le visage pouvait ainsi accuser un grand degré d’illusion, et  l’habillement supporter un simple brossage des matières, sans le fondu habituel.

L’inverse était bien moins probable.

Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, v. 1695. Coll. part. © photo Stéphan Perreau

Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme, v. 1695. Coll. part. © photo Stéphan Perreau

 

Un portrait d’homme, passé il y a quelques années en vente à Paris et sans doute contemporain de celui présenté par Sotheby’s, avait ainsi prétendu au titre d’autographe. S’il partageait avec la toile américaine un certain effet spectaculaire dû au manteau d’un rouge profond, on avait été pourtant bien en peine d’y trouver la main du maître. Ne serait-ce que dans ce visage au traitement diffus et imprécis, raccordé fort maladroitement au buste par à un cou trop long. L’examen attentif de la toile, nous avait permis à l’époque d’écarter tout repeint ultérieur des traits qui aurait expliqué une dégradation d’un visage autrefois autographe. Seule explication : l’œuvre était probablement due à un copiste, suffisamment au fait du métier de Rigaud pour rendre une illusion des drapés mais pas celle de la précision anatomique et de la ressemblance.

 

Fort heureusement, le portrait de Sotheby’s ne soulève pas de telles réserves, nous montrant l’effet d’un métier sûr en devenir de perfection.

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