Gaspard Rigaud, portrait de jeune femme, v. 1699. Perpignan, musée Rigaud © photo d.r

Gaspard Rigaud, portrait de jeune femme, v. 1699. Perpignan, musée Rigaud © photo d.r

C’est presque inaperçu qu’un joli portrait de femme fut proposé le 14 décembre dernier à Drouot, par la maison Morand & Morand  sous le lot 18 d'une vente judiciaire d’un intérieur parisien quelque peu hétéroclite. Avec une estimation très basse, il ne tarda pas à tenter un enchérisseur venu exprès, qui, discrètement positionné près de la porte de la salle, remportait le tableau à 1000 euros.

Gaspard Rigaud, portrait de jeune femme, v. 1699 © photo Morand

Gaspard Rigaud, portrait de jeune femme, v. 1699 © photo Morand

 

L'œuvre, un ovale discret figurant un modèle discret, avait un petit air de déjà vu, avec ce regard mélancolique, presque enfantin dans son dessin, et cet habillement déjà utilisé dans un portrait. Parce que nous étions il y a quelques jours au musée Rigaud de Perpignan pour une expertise, le rapprochement se fit avec un autre portrait, signé et daté avant son rentoilage fait par Rigaud le jeune 1699 et qui venait tout juste d’intégrer les collections du tout nouveau musée. Accompagnée de son pendant masculin, l’œuvre, un don via l’association des amis du musée, venait à point nommer grossir le corpus encore peu étoffé du corpus peint par Gaspard Rigaud.

Gaspard Rigaud, portraits de jeunes femmes, 1699. Perpignan, musée Rigaud (à gauche © photo dr), Coll. priv. (à droite © photo Morand)

Gaspard Rigaud, portraits de jeunes femmes, 1699. Perpignan, musée Rigaud (à gauche © photo dr), Coll. priv. (à droite © photo Morand)

La comparaison entre le tableau désormais à Perpignan et celui mis en vente à Paris, est édifiante. On y retrouve le même vêtement, selon le principe de « l’habillement répété » si chère à son frère Hyacinthe et suivi ici à la lettre : de la robe de brocard d’or dégrafée d’où pend une chaconne de soie bleue ornée d’un pompon, à la sous chemise rouge agrémentée d’une dentelle fine très discrète. Le même manteau bleu doublé de soie argent entoure le buste tandis que la coiffure avec ses cruches sur le front et ses cheminées à la Fontanges, marquent bien les deux œuvres de l’extrême fin du XVIIe siècle. Une petite différence tout de même dans les parures puisque qu’inconnue de la vente Morand arbore des rangs de perles dans les cheveux et les nattes et que son bijou de corsage, une simple pierre bleue ovale cernée de perles, diffère de celle en perle-poire unique de l’inconnue de Perpignan.

En zoomant sur le drapé, on retrouve la même économie de matière et ce pinceau parfois imprécis de Gaspard, notamment dans sa façon de rendre les irisations sur les plis des tissus du revers du manteau, tout comme sa tentative de faire vivre le brocard d’or, par petites touches mais suivant un tracé très scolaire.

Gaspard Rigaud, portraits de jeunes femmes, v. 1699. A gauche, Perpignan musée Rigaud. A droite, coll. priv.

Gaspard Rigaud, portraits de jeunes femmes, v. 1699. A gauche, Perpignan musée Rigaud. A droite, coll. priv.

Il était fort courant donc de puiser dans quelque tableau-modèle resté dans l’atelier de l’artiste, une attitude qui allait plaire à un client de passage. Il arrivait aussi que le dit client avait vu sur les cimaises d’un salon, en ville, un portrait qui ne pouvait pas mieux convenir à son épouse ou à lui-même. On se rendait chez le peintre, on discutait couleur de manteau, détails de coquetterie et… de prix. Tout ceci grâce aussi à de petits répertoires d’attitudes, mains, fleurs ou dessins de drapés susceptibles d’orienter le choix du client.

Gaspard Rgaud, portraits d'hommes, v. 1699-1700. Séville, coll. part. (à gauche, © Isbillya Subastas) ; Perpignan, musée Rigaud (à droite © d.r.)

Gaspard Rgaud, portraits d'hommes, v. 1699-1700. Séville, coll. part. (à gauche, © Isbillya Subastas) ; Perpignan, musée Rigaud (à droite © d.r.)

Par un heureux hasard, le portrait d’homme qui fut légué au musée Rigaud en pendant de son épouse, possède, lui aussi, un clone, qui lui reprend avec néanmoins plus de rondeur, un vêtement bordeaux jeté sur l’épaule, au plis près. Le tableau, vendu lors de plusieurs vacations par la maison Sévillane Isbilya Subastas, la dernière fois le 28 juin 2017 sous le lot 103, avait été attribué à Hyacinthe, frère de Gaspard alors qu’il présentait tout les symptômes de l’art du cadet, notamment dans ce regard mélancolique si caractéristique…

 

La formule de l’habillement répété aura sans aucun doute de beaux jours devants elle encore, notamment chez les disciples d’Hyacinthe Rigaud, puis que son jeune frère allait mourir prématurément en 1705 alors que son aîné perdurera longtemps dans le nouveau siècle pour ne mourir que 38 ans plus tard

Ecole française du XVIIIe siècle. attribué à Claude Arnulphy. Portrait de militaire, v. 1730 © photo Leclere svv.

Ecole française du XVIIIe siècle. attribué à Claude Arnulphy. Portrait de militaire, v. 1730 © photo Leclere svv.

Nous terminerons par un bel exemple de ces emprunts de modèle qui a récemment été illustré par la vente chez Leclere à Paris, le 9 novembre dernier (lot 60). On y voyait un portrait de militaire d’une grande intensité que les experts attribuèrent à l’entourage de l’aixois Claude Arnulphy (1697-1786), peut-être à cause de la touche virile qu’il partage avec le portrait du marquis de Muy par le même, conservé au musée Granet d’Aix. De taille modeste (H. 73,5 ; L. 59 cm) l’œuvre s’impose pourtant comme un véritable emprunt, sinon un plagiat, des représentations à succès par Rigaud des ses jeunes militaires des années 1715-1730 dont on trouve de très grands exemples dans son art, à commencer par le comte Durazzo de Gènes, de Charles-François de Vintimille du Luc (sans le drapé) ou encore du comte de Spaare.

L’artiste, sans doute un suiveur dont il est difficile de dire s’il a vraiment travaillé dans la sphère intime du maître, a reproduit à l’identique l’entière vêture et décorum nécessaire à l’élaboration du portrait. Tout juste s’accorde-t-il une actualisation de la perruque de son client dans la mesure où le portrait a du être peint tardivement, au mi-temps du siècle des Lumières.

Charles Sevin de La Penaye, portrait d'homme, v.1717. coll. priv. © photo Stéphan Perreau

Charles Sevin de La Penaye, portrait d'homme, v.1717. coll. priv. © photo Stéphan Perreau

L’assimilé Arnulphy possède ainsi de grandes analogies avec le même prototype, emprunté par Charles Sevin de La Penaye à Rigaud vers 1717 pour ce pétulant militaire…

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