Quand les copies d'après Hyacinthe Rigaud font recette...
02 sept. 2018
Si nous avions d'emblée choisi dans nos classifications le terme « d'après Rigaud » plutôt que celui plus « commercial » d'« atelier de Rigaud » c'est qu'à notre sens on a eu tendance ces dernières années à réunir dans ce même atelier, peut-être par complaisance, un ensemble hétéroclite de bonnes et de moins bonnes productions. A tel point d'ailleurs, qu'on ne savait quand et sur quelle partie du tableau Hyacinthe Rigaud intervenait. Pire, si l'on pensait arriver à mesurer cette intervention sur une effigie qui pouvait, à la fois, multiplier les erreurs anatomiques, voir même des défauts de conception, l'historien pouvait devenir perplexe. Pourquoi Rigaud, si exigeant avec la Marque qu'il avait eu tant de mal à ériger et dont il devait soutenir l'excellence, aurait-il pu laisser sortir de son atelier des tableaux très moyens qui auraient pu ternir le standing de son image ?
Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait de Jacques Nicolas Colbert, archevêque de Rouen, v. 1800 ? © by courtesy T. de Maigret
Fort heureusement, nous avons vu Bailleul, Leprieur et surtout Sevin de la Penaye, très attachés à prolonger sous la conduite de leur maître, puis en dehors de son contrôle, l'enseignement dont ils avaient su profiter. Leurs propres talents ont permis à leurs oeuvres de faire illusion, à l'instar de cette version du portrait peint par Rigaud en 1696 de Jacques Nicolas Colbert, archevêque de Rouen et qui sera vendu à Drouot le 13 septembre prochain par la maison Thierry de Maigret sous le vocable de « portrait d'ecclésiastique » (lot. 17).
Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portrait de Jacques Nicolas Colbert, archevêque de Rouen, v. 1800 ? détail © by courtesy T. de Maigret
Si l'aspect brouillon de l'ensemble, que n'aide pas une couche picturale difficilement lisible, écarte d'emblée la main de l'artiste (que ce soit en retouche ou en création), il témoigne cependant d'une bonne correction du dessin et du rendu de l'effet des étoffes même si, d'évidence, il reste assez scolaire.
D'après Hyacinthe Rigaud, Portrait d'Henri, duc d'Harcourt, H. 83 ; L. 62 cm. Vente Genève enchères, 19 septembre 2018, lot. 462 © Courtesy of Genève enchères
A peu près au même moment (19 septembre 2018, lot. 462) se vend à Genève une nouvelle version en buste du portrait initialement en pied du duc d'Harcourt (il n'a pas encore de bâton de maréchal) ; version habillée comme plusieurs autres portrait que nous connaissions tels les portraits de Niccolo Durazzo (1712), du baron de Sparre (1717) ou de l'inconnu de 1716.
D'après Hyacinthe Rigaud, Portrait d'Henri, duc d'Harcourt, H. 83 ; L. 62 cm. Vente Genève enchères, 19 septembre 2018, lot. 462 (détail) © Courtesy of Genève enchères
Ce système à géométrie variable illustre bien multiples déclinaisons possibles dans les vêtures, dans les positions, dans les réductions de format, tout ceci pour un même modèle, le peintre adaptant ses commandes en fonction des demandes qu'on lui faisait ou des besoins protocolaires de ses clients.
Mais dans tous les cas, si l'illusion semblait parfaite, elle avait ses limites, surtout lorsque la comparaison d'avec un original du maître devenait trop cruelle. On le voit particulièrement dans la version du duc d'Harcourt, belle et soyeuse, au dessin assuré mais au relief très scolaire et assez plat. C'est particulièrement visible dans la bouche, sans trop d'expression, ou les yeux quelque peu éteints, malgré les fameuses humeurs blanches dont le but était d'insuffler l'émotion au regard. Ici, le soucis de précision l'emporte sur l'instantanéité que donne l'étude de la nature. Le scolaire est enfin particulièrement flagrant dans les boucles de la perruque, ordonnées sagement, avec leurs ronds bien pensés, à la manière d'un Cellony, chez qui ce parti-pris donne, par-contre, une certaine candeur.
D'après Hyacinthe Rigaud, Portrait d'Henri, duc d'Harcourt, H. 83 ; L. 62 cm. Vente Genève enchères, 19 septembre 2018, lot. 462 (détail) © Courtesy of Genève enchères
Une récente vente, réalisée par la maison Tajan le 19 décembre 2017 (lot 26), et qui a proposé de rendre à Rigaud l'entière paternité d'un tableau vendu le 12 octobre 2000 à Argenteuil, illustre à notre avis les difficultés que rencontrent à la fois l'expert et l'historien face à un tableau de belle qualité, du moins suffisamment homogène et efficace pour proposer une attribution correcte. Nous avions vu le tableau à l'époque à Argenteuil, assez sale et chancis, ce qui en donnait une lecture difficile pour donner un avis quelques heures avant la vente. Sa restauration a heureusement montré le haut de gré de qualité de la toile, qualité qui, pourtant, ne semble pas devoir être imputée à Hyacinthe Rigaud. C'est l'exemple type où l'on confond fidèle facture de copie et réelle matière autographe, dans laquelle tout la magie du maitre opère.
Le meilleur moyen pour s'en rendre compte est sans doute de juxtaposer le tableau vendu par Tajan avec « son double » duquel il s'est inspiré (si l'on en excepte les traits). L'inconnu de la vente de 2017 doit en effet toute sa mise au portrait du marquis de Verneuil, autographe celui-ci. L'image sucrée du portrait de Tajan nous évoque sans conteste l'art de Sevin de La Penaye, le meilleur aide de Rigaud dans ses dernières années et qui, justement, avait cette manière très symétrique de construire les réseau de boucles de ses perruques.
A gauche : Hyacinthe Rigaud, portrait du marquis de Verneuil / A droite ; Atelier de Rigaud (La Penaye ?), portrait d'homme © d.r.
Au jeu des comparaisons, les deux tableaux ont leurs indéniables qualités, une maîtrise qui enchante. Mais comment croire que Rigaud, à quelques années d'intervalles, soit passé d'une technique de fondu extrême des chairs et d'une manière si vaporeuse de traiter les boucles de la perruque du marquis de Verneuil pour peintre soudainement une face glacée, avec des carnations lissées à l'extrême, d'un toucher scolaire tel qu'on retrouve dans les boucles de la perruque, comme autant d'éléments laborieusement exécutés ?
La remarque est troublante quand on sait Rigaud en pleine possession de ses moyens, quoi que déjà malade en ces années 1730, mais qui continuera jusqu'en 1740 à peindre l'excellence d'un Chaspoux de Verneuil. A méditer donc tant le travail reste à faire pour dénouer l'autographe de la copie, à l'heure où la Tribune de l'art vient de publier un article fort intéressant sur la problématique des attributions.