Hyacinthe Rigaud : Chroniques des ventes 2016 (seconde partie)
08 mars 2017Le 28 novembre 2016 (lot 84), la maison Sotheby’s Paris, mettait aux enchères l’élégant portrait d’un anonyme, cet homme que l’on avait déjà vu en 1998 lors de la vente orléanaise Savot[1]. Peint sur une toile ovale portant au dos la mention au crayon « M. Rothan » (sans doute l’un des probables détenteurs du tableau), le portrait montre un homme dans la force de l’âge, peint vraisemblablement dans les années 1705 comme le prouve le style de la perruque haute « en cheminées ».
Si l’identité du présent modèle ne peut pas être précisée, le buste est habillé du même drapé et de la même veste (ici plus richement ornée d'un galon de boutonnière) que ceux du portrait du sculpteur François Girardon peint en cette même 1705[2].
Il est donc probable, sinon, vraisemblable, qu’ils furent confectionnés à la même époque sans qu’il soit possible de dire qui eut l’antériorité de la pose. Estimé de 10 à 15000 euros, il fit de manière méritée, et malgré l’état de la couche picturale qui nécessitera une bonne restauration, 30000 euros au marteau.
Ecole française du XVIIIe siècle, d'après Hyacinthe Rigaud, portrait d'évêque, v. 1710-1720. coll. priv. © Tajan
Plus énigmatique encore est cette effigie d’ecclésiastique[3], à la facture trop raide pour être sortie de la main de Rigaud mais suffisamment confondante pour avoir été peinte par un de ses élèves, affranchi ou non de l’atelier du maître. Proposé par la maison Tajan le 17 octobre 2016 sous le lot 101, le tableau resta invendu et fut à nouveau confié à Chevaux-Légers enchères pour une vente à Versailles le 11 décembre 2016 (lot. 68) où il ne trouva pas meilleur accueil de la part du public.
L’homme, vêtu d’un camail et de la croix d’évêque, porte son regard vers l’extérieur du tableau et ne paraît pas avoir moins de la quarantaine, comme l’attestent les traits marqués et le goitre naissant d’un visage encore élégant. Tourné de trois quarts vers la droite, le buste est ordonné selon un schéma récurrent chez Rigaud pour la plupart de ses ecclésiastiques ; schéma que l’on retrouve également chez nombre de ses contemporains.
Ici toutefois, la structure du drapé du camail renvoie indéniablement à celle du portrait de l'évêque de Nîmes, Rousseau de La Parisière (1711), de celui de l'évêque de Montauban, Nettancourt de Vaubecourt (1720)[4], ou, plus tardivement, à celui de l’évêque de Valence, Alexandre Milon de Mesme (1735), surtout pour le petit retroussement d’un pan du camail, en bas. Pour l’anonyme Tajan, le style de la perruque courte conforte une datation haute, vers 1710-1720.
Sans qu’il soit possible de faire aucun autre rapprochement en l'absence d'une iconographie comparative fiable, on ne peut s’empêcher toutefois d’imaginer à travers ce portrait, ce qu'aurait pu être l'effigie perdue de l'évêque de d'Allais, Hénin Liétard, peinte en 1714[5]...
Au début de l’été, à Paris, la maison Matthias, Baron, Ribeyre présentait à l'hôtel Drouot le 3 juin[6] un portrait de jeune femme qui, s’il était loin d’être avenant par un visage très maladroitement repeint, présentait toutes les caractéristiques des effigies féminines produites par Rigaud dans les années 1715. On ne pouvait en effet s’empêcher de penser, en la voyant, au portrait de la nouvelle Madame Le Bret, jeune femme peinte en 1712 « au soir de ses noces » devant un même parapet et coiffée de mêmes fleurs d’oranger[7].
Hyacinthe Rigaud, portrait de Marguerite Henriette de La Briffe, 1712/ Coll. priv. © photo Stéphan Perreau
Mais ici, la mise en scène semblait légèrement plus tardive, plus proche à la vérité du portrait d’Anne-Louise Pitel, dite « Mademoiselle de Fleury » (v.1694-1716), fille naturelle du Régent qui passa dans l’atelier de Rigaud en 1715[8].
Hyacinthe Rigaud, portrait de « Mademoiselle de Fleury », 1715. Suisse, coll. priv. © photo Stéphan Perreau
L’élégante, donnée de manière purement fantaisiste comme portrait présumé de Marguerite Hessein de La Sablière (1636-1693)[9], est représentée en buste, sans mains, devant un muret de pierre, devant un fond neutre agrémenté d'un rideau à droite. Elle porte une robe de brocart dont le corsage ouvert laisse apparaître une chemise au nœud de soie dénoué et dont le creux est agrémenté d'une fleur, ici un gros œillet rouge, symbole de la fécondité. Ses épaules sont recouvertes d'un grand drapé de velours galonné d'or, retenu à la robe par des agrafes de perles et ses cheveux, arrangés en hauteur par deux cheminées et une longue mèche retombant sur l’épaule, sont ornées de quelques brins de fleurs d'oranger, symbole d'un mariage récent.
Pour avoir vu le tableau chez l’expert Turquin avant la vente, et malgré de beaux restes dans les drapés, nous avions constaté que l’œuvre semblait avoir été fortement remaniée, ne permettant pas, sans une profonde restauration, d’en connaître les ravages subits. La surface peinte, recouverte d'un chancis et fortement craquelée, présentait également de nombreux manques qu’un rapide « bichonnage » avant la vente permit de masquer pour rentre le tableau présentable.
[1] Perreau, « Jean Le Gros (1671-1745), à l'image de Rigaud » [en ligne], www.hyacinthe-rigaud.over-blog.com, juillet 2011 : Perreau, 2013, cat. P.879, p. 191 ; http://www.hyacinthe-rigaud.com/catalogue-raisonne-hyacinthe-rigaud/portraits/1379-homme-87 ; James-Sarazin, 2016, p. 372, P. 1116.
[2] A. James-Sarrazin, Hyacinthe Rigaud : 1659-1743, thèse de doctorat sous la dir. de Bertrand Jestaz, Paris, EPHE, 2003, cat. II, n°16, reproduit comme Rigaud ; S. Perreau, Jean Le Gros (1671-1745), à l'image de Rigaud, publication internet, juillet 2011 [http://hyacinthe-rigaud.over-blog.com] ; S. Perreau, Hyacinthe Rigaud catalogue concis de l'œuvre, Nouvelles Presses du Languedoc, Sète, 2013, p. 191, P. 879, reproduit ; A. James-Sarazin, Catalogue raisonné Hyacinthe Rigaud (1659-1743), Faton, Dijon, 2016, p. 372, P. 1116, reproduit.
[3] Huile sur toile, H. 82,5 ; L. 65,5. Perreau, Hyacinthe Rigaud online, Add.P.1, http://www.hyacinthe-rigaud.com/catalogue-raisonne-hyacinthe-rigaud/portraits/10-ecclesiastique/1490-anonyme-91
[4] http://www.hyacinthe-rigaud.com/catalogue-raisonne-hyacinthe-rigaud/portraits/10-ecclesiastique/923-nettancourt-vaubecourt-d-haussoville-francois-joseph-henri-de
[5] Perreau, 2013, cat. *P.1206, p. 242 ; http://www.hyacinthe-rigaud.com/catalogue-raisonne-hyacinthe-rigaud/portraits/1014-henin-lietard-jean-francois-gabriel-de ; James-Sarazin, 2016, II, cat. *P.1274, p. 425.
[6] Lot 164. Huile sur toile. H. 81 ; L. 65 cm.
[7] Perreau, 2004, p. 172-173 ; Perreau, 2013, cat. P.1177, p. 234 ; James Sarazin, 2016, II, cat. P.1247, p. 409 ; http://www.hyacinthe-rigaud.com/catalogue-raisonne-hyacinthe-rigaud/portraits/1048-la-briffe-marguerite-henriette-de2
[8] Perreau, 2013, cat. PC.1238, p. 247. ; James Sarazin, 2016, II, cat. P.1303, p. 435.
[9] Cette fantaisie ne tient pas compte de l'anachronisme entre un modèle ayant vécu au XVIIe siècle et ce portrait peint vingt ans plus tard.