D'Avaux versus d'Avaux : les portraits retrouvés de Jean-Antoine II et Jean-Jacques II de Mesmes par Hyacinthe Rigaud
25 mars 2017Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean Antoine II de Mesmes, comte d'Avaux, 1702. France, coll. priv. © Galartis
« Avaux Jean Antoine de Mesme, comte d’. Portrait peint par Hyacinthe Rigaud acheté à la vente de la galerie des tableaux du General Comte Despinoy, inscrit au catalogue sous le N° 850 »[1]. C’est sous cette appellation, soigneusement rapportée sur une étiquette apposée au dos de la toile, que le portrait de Jean-Antoine II de Mesmes (1640-1709), comte d’Avaux a fait une réapparition remarquée, le 12 novembre 2016 dernier, sous le lot 302 d’une grande Galartis à Lausanne. Avant d’être acquis par son nouveau propriétaire qui nous a aimablement contacté, le tableau avait en effet appartenu au célèbre général Hyacinthe-François-Joseph, comte Despinoy (1764-1848) dont la collection de peintures, riche en portraits, avait été dispersée en 1850[2].
Hyacinthe Rigaud, portrait de Jean Antoine II de Mesmes, comte d'Avaux, 1702 (détail). France, coll. priv. © Galartis
En « habit noir brodé d’or. Décoré du cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit », le modèle peint en buste de trois-quarts fut sans hésitation attribué à Hyacinthe Rigaud dans le volumineux catalogue de vente, aux côtés d’une dizaine d’autres numéros, certains donnés de manière sûre au maître, d’autres, semble-t-il, de manière un peu plus fantaisiste. On put en effet, dès le XIXe siècle et à l’appui d’une iconographie connue, confirmer les images du maréchal de Tessé (n°849), de Vauban (n°848), de Jean Hérault de Gourville (n°854), de Jean-Louis de Boulongne (n°863), de Philippe V (n°846) ou du comte de Toulouse (n°845).
Il est plus difficile cependant d’apporter aujourd'hui un crédit aux portraits dits de la duchesse de Bourgogne (n°852), de Louis Boucherat (n°853), de Pierre Corneille (n°857), du poète Benserade (n°858), ou le compositeur Lully (n°860) dont on sait désormais qu’ils ne furent jamais peints par l’artiste. L’effigie du poète Regnard (n°864), est à ce titre un bon exemple, donnant une paternité un peu rapide à Rigaud sur la seule foi d’estampes de qualité moyenne, publiées bien après la mort du maître par Ficquet, Duflos, Ingouf ou Tardieu[3]. Dans le même esprit, la description d'un autoportrait de Rigaud (n°844, H. 72. L. 59), en buste de trois quart, « en longue perruque blonde, flottante. Chemise brodée entr'ouverte. Manteau violet à reflets sur un habit de satin noir » ne trouve aucun équivalent peint chez l'artiste qui préférait les perruques noires...
En l’absence de toute illustration dans le catalogue de la vente Despinoy, le cas du portrait du comte d’Avaux pouvait donc paraître tout aussi épineux car aucune gravure ne fut réalisée d'après lui et, le portrait lui-même, était resté dans l’anonymat depuis son rachat. On ne pouvait donc s’en remettre qu’aux appréciations de chacun et au goût très sûr du collectionneur qui, tout militaire qu’il fût, s’avérait un fin connaisseur.
Dégagé de ses engagements au terme de sa vie, le général s'était en effet dès lors occupé « exclusivement des arts et des sciences qu’il avait toujours aimés, mais auxquels, dans sa longue carrière militaire, il n’avait pu donner que de bien rares moments de loisirs. Sa riche bibliothèque[4], sa superbe galerie de tableaux, dont les catalogues sont en ce moment dans les mains des savants et des artistes français et étrangers, témoignent de la constance et des soins qu’il a eus pour rassembler tant de chefs-d’œuvre[5]. »
Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme portant la croix de l'ordre du Saint Esprit (Jean-Jacques de Memes ?). v. 1690. Coll. priv. © Stéphan perreau
Nous avions donc proposé en 2012 de faire correspondre à la première des deux effigies du comte d’Avaux peintes par Hyacinthe Rigaud, celle d’un homme dont l’âge[6], la vêture et le physique réunissaient tous les éléments descriptifs du portrait littéraire fait par Saint Simon :
« En ces temps-là, et jusqu’à la mort du roi, nul homme du parlement ne paraissait à la cour sans robe, ni du conseil sans manteau, ni magistrat, ni avocat nulle part dans Paris sans manteau, où même beaucoup du parlement avaient toujours leur robe. M. d’Avaux, seul, conserva la cravate et l’épée, avec un habit toujours noir, au retour de ses ambassades ; aussi s’en moquait-on fort, jusque-là que ses amis et le chancelier lui en parlèrent. Le roi, qui en riait aussi, eut pitié de cette faiblesse et ne voulut pas lui faire dire de reprendre son rabat et son manteau. Le président de Mesmes, son frère, ne l’approuvait pas plus que les autres. Ce pauvre homme, avec sa charge de l’ordre et son cordon bleu en écharpe, se comptait faire passer pour un chevalier de l’ordre et se croyait bien distingué des conseillers d’État de robe, dont il était, par ce ridicule accoutrement »[7].
Notre hypothèse, reprise par la suite par d’autres historiens[8], doit être aujourd’hui abandonnée au profit du portrait de l’ancienne collection Despinoy. En effet, si le visage de l’homme de la vente Lauwrences Auctioneers de 2012 présentait bien quelques affinités avec celui de son neveu, le parlementaire Jean-Antoine III de Mesmes, peint en 1690[9], les traits du personnage réapparu à Lausanne correspondent davantage à ceux laissés par Largillierre de Jean-Antoine II et connus par l’estampe de Vermeulen.
Commandeur, grand-prevôt et maître des cérémonies des ordres du roi (1684)[10], le comte d’Avaux en porte chez Rigaud comme chez Largillierre, tous les signes distinctifs (le cordon bleu de l'ordre du Saint Esprit ainsi que la croix pectorale d’argent sur le manteau). Le visage, au nez fort et anguleux, la bouche pincée, le menton saillant et les yeux en amande fortement cernés se retrouvent chez les deux artistes et invitent à une datation autour de 1700 ou 1702, date des portraits fixés par le Catalan[11]. Quelques années plus tôt, alors que d'Avaux avait traité la paix de Nimègue, le graveur nordique Hardouin Quitter avait fixé des traits plus juvéniles mais qui, déjà, annonçaient les peintres français.
Personnage considérable, ne serait-ce que par l’importance des traités politiques qu’il eut à négocier, d’Avaux appartenait à une famille riche en parlementaires. Resté célibataire, titré Chevalier, Seigneur d'Irval et de Roissy, il hérita, comme par succession et avec son nom illustre, des grandes qualités de son oncle, Claude de Mesmes (1595-1650). Il eut les mêmes emplois et les mêmes talents, devint conseiller au parlement, puis maître des requêtes et conseiller d’état.
Une belle allégorie gravée par Pierre Landry illustra dès 1662 les talents du comte d'Avaux et fut répertoriée dans le volume 6 de l'inventaire du fonds français des graveurs du XVIIe siècle (Préaud, 1939, p. 202).
Pierre Landry, Allégorie du Comte d'Avaux, 1662. Versailles, musée national du château © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot
Louis Moreri, dans le tome VII de son Grand dictionnaire historique[12] nous avait quant à lui décrit la carrière haute en couleur de notre modèle : « Il fut envoyé à Venise en l’année 1671, en qualité d’ambassadeur extraordinaire : il y résida jusqu’en 1674. Le roi le choisit l’année suivante pour un de ses plénipotentiaires à la paix de Nimegue, qu’il conclut heureusement. Il fut envoyé quelque temps après en Hollande avec le titre d’ambassadeur ; il y ménagea une trêve en 1684 avec l’Espagne, par laquelle le Luxembourg fut cédé au roi. La guerre l’ayant fait revenir en France l’an 1688, le roi le nomma l'année suivante pour son ambassadeur extraordinaire auprès de Jacques II, roi d’Angleterre, qui étoit alors en Irlande. L’an 1692, il fut envoyé en Suède avec la même qualité d’ambassadeur, & il y travailla utilement aux préliminaires de la paix, qui fut conclue depuis à Riswick. Enfin, après avoir renouvelé les anciens traités d'alliance entre la France & la Suéde, il passa pour la seconde fois en Hollande, d’où la guerre, causée pour la succession d’Espagne, le fit revenir, & il mourut à Paris le 11 février 1709, à l’âge de 69 ans. »
Hyacinthe Rigaud, portrait d'homme portant la croix de l'ordre du Saint Esprit (Jean-Jacques de Memes ?). v. 1690 (détail). Coll. priv. © Stéphan perreau
Désormais orphelin, l’homme de la vente Lauwrences, nous semble désormais devoir être daté plus tôt dans la carrière de Rigaud. Une récente restauration, qui a remis sur un châssis ovale l’ancienne toile découpée et collée sur un rectangle, a en effet fait réapparaître de manière plus précise une perruque basse typique des années 1688-1690 et ravivé le rose fané du drapé, lui aussi caractéristique de cette période. L'embonpoint du personnage au nez retroussé n'était pas sans évoquer la figure du frère de l'ambassadeur, Jean-Jacques de Mesmes (1640-1688), dont Antoine Masson nous a laissé une estampe « ad vivum » en 1683.
Comte d’Avaux, vicomte de Neufchâtel, seigneur de Roissy et Cramayel, seigneur d’Irval (par sa mère), conseiller au parlement de Paris, maître des requêtes, conseiller d’Etat, Président à mortier (1671), Intendant de Soissons, Plénipotentiaire au Traité de Nimègue, Académicien Français (1676), Prévôt et Maître des Cérémonies de l’Ordres du Saint-Esprit de 1671 à 1684, Jean-Jacques de Mesmes aurait ainsi tout à fait pu être peint par Rigaud dans une vêture différente. Dans ce cas, l'œuvre aurait été réalisée à la toute fin de la vie du parlementaire, c'est à dire vers 1688. L'hypothèse n'est pas incongrue si l'on considère les couleurs utilisées par le peintre à une époque où il apprécie toujours ce même rose fané que nous évoquions plus haut pour animer le drapé de ses manteaux, à l'instar de ceux visibles dans le portrait du futur Régent, Philippe d'Orléans, duc de Chartres (1689) et dans celui du marquis de Chazeron (1688). Dans ce cas, l'effigie de Jean-Jacques de Mesmes constituerait l'une de ces toiles « oubliées » des livres de comptes de l'artiste. La thèse est séduisante car, par ailleurs, peu d'autres croix de l’ordre du Saint Esprit (dans la liste des décorés non militaires), auraient pu à cette époque, prétendre à avoir été peints par Rigaud.
Nous évoquerons ainsi, mais avec moins de convictions le cas de Balthasar Phélypeaux (1638-1700), marquis de Châteauneuf, qui commande, conjointement avec sa femme, un portrait payé 367 livres et 10 sols en 1693. Le prix, valant ordinairement pour un portrait en pied[13], les historiens ont pensé légitimement à une une double effigie même si cette règle ne se vérifiait pas de manière systématique dans le catalogue de l’artiste. Un aide d'atelier aurait-il pu copier la figure de Phélypeaux de manière indépendante et ceci, même ce travail ne trouve aucun écho dans les livres de comptes de l'artiste ? Peut-on vraiment reconnaître dans le tableau de la vente Lauwrences les traits vieillis de Châteauneuf, « homme d’une prodigieuse grosseur » que Mignard avait peint dans sa jeunesse ?
La question mérite d'être posée même si les caractéristiques physiques de l'homme de 2012 semblent davantage appartenir à celles de la branche aînée des comte d'Avaux...
Brouillon le 23/03/10 / publication le 25./03/17 / actualisation : 27/03/2017
[1] Texte en français de l'étiquette en anglais, donné par Ariane James Sarazin dans son récent article « Le portrait de Jean Antoine II de Mesmes, comte d'Avaux », Hyacinthe Rigaud (1659-1743). L'homme et son art - Le catalogue raisonné, Editions Faton, [en ligne], 25 mars 2017, URL : http://www.hyacinthe-rigaud.fr/single-post/2017/03/25/Le-portrait-de-Jean-Antoine-de-Mesmes-comte-dAvaux. Nous avions initialement donné la transcription du texte en anglais sur ce blog (et en deux langues sur notre site « Hyacinthe Rigaud online », http://www.hyacinthe-rigaud.com/catalogue-raisonne-hyacinthe-rigaud/portraits/1551-mesmes-d-avaux-jean-antoine-de) pour l'actualiser deux jours après grâce à la communication du même auteur dont nous saluons l'apport de précision à l'historique du tableau.
[2] Catalogue des tableaux de diverses écoles, composant le cabinet de feu M. le Lieutenant-Général Comte Despinoy, dont la vente aura lieu au domicile du défunt, rue du Regard,5, Par le ministère de Mr Trinquand, Commissaire-Priseur, Assisté de M. Ch. Roehn, Peintre-Expert, elle se fera en deux parties, La première partie, les 14, 15, 16, 17, 18 et 19 Janvier 1850, Exposition, les 6, 7, 8, 9, 10, 1 1, 12 et 13 Janvier 1850, La deuxième partie aura lieu les 4, 5, 6, 7, 8 et 9 Février 1850, et jours suivants, s’il y a lieu. Ce catalogue se distribue chez M. Trinquand, Commissaire-Priseur, rue Grange-Batelière, 18 ; M. Ch. Roehn, rue Neuve-Guillemin, 15. A Versailles, Kleffer, 1850, p. 361, lot 850.
[3] En l’absence d’une bonne version de ce portrait, et connaissant le goût de certains graveurs pour l’attribution indue d’œuvres à Rigaud, l’image ne pouvait à elle seule, selon nous, prouver que l’original soit sorti du pinceau du Catalan plutôt que de celui de Largillierre ou de de Troy. Voir James Sarazin, 2016, II, cat. *P.9, p. 22, pour l'attribution à Rigaud.
[4] Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu le lieutenant général Despinoy précédé d'une Notice biographique, par m*** D. R. B, Paris, Teschener, 1849.
[5] Selon la biographie insérée en tête du catalogue de la vente.
[6] Perreau, « Ces Gentilshommes de Rigaud », [en ligne], 21 mai 2012, http://hyacinthe-rigaud.over-blog.com/article-ces-gentilhommes-de-rigaud-105546864.html [d'Avaux] ; Perreau, 2013, cat. PC.675, p. 156 [d'Avaux]. Huile sur toile ovale, [coupée à l’ovale pour être contrecollée sur un rectangle ; remise sur châssis ovale en 2013], H. 81 ; L. 65 cm. Vente Crewkerne, Lauwrences Auctioneers, 20 avril 2012, lot 1797 [=Dodun, marquis d’Herbault par Vivien].
[7] Mémoires, 1703, IV, 12
[8] Notre hypothèse avait été reprise par James Sarazin dans son récent catalogue raisonné de Rigaud. 2016, II, cat. P.725 (1700), p. 243-244 : « S. Perreau a proposé en 2012 d'identifier le portrait d'homme passé en vente chez Lawrences avec le comte d'Avaux ; nous partageons son analyse, car le témoignage de Saint Simon vient confirmer les choix vestimentaires [...] qui furent ceux du modèle dans son effigie ».
[9] http://www.hyacinthe-rigaud.com/catalogue-raisonne-hyacinthe-rigaud/portraits/246-mesmes-d-avaux-jean-antoine-iii-de.
[10] Charge dont il hérita sur démission de son frère, Jean-Jacques III (1640-1688), comte d’Avaux, vicomte de Neufchastel, seigneur de Cramayel, président à mortier en 1672, Intendant à Soissons et prévôt et maître des cérémonies des Ordres du roi de 1671 à 1684 (lequel en conserva cependant les honneurs et les privilèges)
[11] http://www.hyacinthe-rigaud.com/catalogue-raisonne-hyacinthe-rigaud/portraits/1551-mesmes-d-avaux-jean-antoine-de
[12] Paris, 1759, p. 497
[13] Tels les portraits contemporains du chevalier de Croissy ou du prince de Dannemark.