De Largillierre à Rigaud : petite histoire d'une réattribution
01 sept. 2016Hyacinthe Rigaud, portrait de jeune homme, v. 1690. France, collection privée (détail) © photo Stéphan Perreau
Une fois n’est pas coutume, c'est par une belle après midi de juillet 2015 que nous avons eu la chance de redécouvrir un très élégant portrait de jeune homme remarqué neuf ans plus tôt, sur le marché de l’art. Contactés six mois auparavant par l’actuel collectionneur qui venait de l’acquérir auprès d’un galeriste parisien, nous y avions immédiatement reconnu l’ovale proposé à la vente la maison Daguerre le 24 mars 2006 (lot 110) sous le vocable d’ « École française du XVIIIe siècle, suiveur de Nicolas de Largillierre » (huile sur toile ; H. 72 ; L. 59,5 cm).
Hyacinthe Rigaud, portrait de jeune homme, v. 1690. France, collection privée © photo Stéphan Perreau
L’ovale représente un adolescent en buste, tourné vers la droite de la composition, vêtu d’une veste se soie crème, les épaules ceintes d’un large drapé bleu flottant. Si la thèse Largillierre ne nous avait pas vraiment convaincu, principalement à cause de l'aspect très achevé du dessin, nous nous étions cependant gardés de l’intégrer à notre catalogue raisonné de l'œuvre de Rigaud, alors en préparation, n’ayant pu voir le tableau de près. En effet, si l’attribution au cercle de Largillierre n’était pas tout à fait incongrue, elle n’impliquait pourtant pas nécessairement alors le nom du Catalan.
Finalement, l’approche directe du tableau se révéla pleine d'instruction. Rien dans le fondu des chairs, la subtilité de la physionomie, la précision du dessin, la douceur du regard ou l’évanescence des carnations ne pouvait évoquer Largillierre. Ce dernier, dont la manière franche, épaisse et pleine d’effets visuels prenait tout son sens avec un certain recul par rapport à la toile, devenant presque moderne à mesure de l’œil se rapprochait de la matière, ne se retrouvait pas ici.
Seul Rigaud possédait ce pouvoir hypnotique de la correction du dessin et de la vraisemblance des visages. On retrouvait dans ce portrait de jeune homme, les doux mots d'Hyacinthe Collin de Vermont, décrivant la peinture de son parrain comme remarquable car elle savait plaire également de loin comme de près, parce que le beau fini n’en ôtait pas l’effet.
Hyacinthe Rigaud, portrait de jeune homme, v. 1690. France, collection privée (détail) © photo Stéphan Perreau
Pouvoir examiner le tableau dans de bonnes conditions de lumière acheva de nous convaincre. Son état n’avait visiblement pas vraiment évolué depuis 2006. Un ancien vernis, qui encrassait la surface, avait masqué les imperfections mais demandait à être enlevé pour mieux comprendre la scène.
Guillaume Bouchayer, restaurateur à qui nous avions conseillé de confier la toile, constatait ainsi que ce vernis, agissant comme un glacis jaune, avait perturbé les rapports de valeur du tableau qui s’en trouvaient ainsi faussés : les clairs étaient devenus sombres tandis que les parties sombres avaient été éclaircies.
Le dégagement de cette matière qui révéla quelques repeints assez peu anciens, s'effectua par étapes. Toute une zone de petites lacunes fut mise à jour, sur la joue, le cou et l'épaule. En bas, à droite, est réapparu un arbre que l’on ne soupçonnait même pas...
Hyacinthe Rigaud, portrait de jeune homme, v. 1690. France, collection privée © photo Guillaume Bouchayer
Hyacinthe Rigaud, portrait de jeune homme, v. 1690. France, collection privée © photo Guillaume Bouchayer
Sur les bords de la toile, d'anciens mastics avaient été posés au moment du rentoilage et devenaient désormais bien visibles. Après dévernissage, une nouvelle couche de vernis fut appliquée, permettant un travail de retouche visant à ajuster les couleurs. Chaque lacune fut comblée à la manière d'un puzzle : clair sur sombre, sombre sur clair, coloré sur moins coloré... La netteté du dessin chère à Rigaud n’en devint que plus limpide.
Hyacinthe Rigaud, portrait de jeune homme, v. 1690. France, collection privée © photo Guillaume Bouchayer
L’entier vocabulaire présent ici évoquait indubitablement la carrière de l'artiste autour des années 1690. Le travail dans les cheveux blonds, libérés de tout carcan conventionnel, illustrait l’homme encore fortement inspiré des portraits flamands « à la Van Dyck » qu'il collectionnait. Un col de dentelle tout en légèreté venait à l'appui de cette datation.
Enfin, le bleu du manteau, rehaussé d’un liseré d’or en quadrilobe, renvoyait à la « belle en bleu » passée en vente il y a quelques années à Fontainebleau.
Hyacinthe Rigaud, portrait de jeune homme, v. 1690. France, collection privée © photo Guillaume Bouchayer
Hyacinthe Rigaud, portrait de jeune homme, v. 1690. France, collection privée © photo Guillaume Bouchayer