Hyacinthe Rigaud, portrait de Gaspard Rigaud, 1691 (détail). Lausanne, galerie Reymondin @ d.r.

Hyacinthe Rigaud, portrait de Gaspard Rigaud, 1691 (détail). Lausanne, galerie Reymondin @ d.r.

Il est de ces peintres du Grand Siècle sur lesquels le chercheur s’était résolu, avec le temps, de ne pouvoir mettre de visage. Gaspard Rigaud (1661-1705), frère du grand Hyacinthe était de ceux-là. À quoi ressemblait-il ? Posait-il, lui aussi, avec ses attributs de la peinture ? Portait-il comme son frère un bonnet d’intérieur sur la tête ? Toisait-il le spectateur ? Autant de questions restées jusqu’ici sans réponses qui désolaient déjà François Macé de Lépinay qui publia la première véritable étude sur Gaspard en 1972[1].

On savait pourtant qu’il avait été peint par son aîné et qu’il fut exposé au célèbre Salon de 1704, aux côtés du propre autoportrait de Hyacinthe Rigaud dit « au turban » (1698, Perpignan, musée Rigaud) et des deux portraits de sa mère, l’un en ovale (1695, château de Fontaine-Henri), l’autre contenant deux profils (1695, Paris, musée du Louvre)[2

Hyacinthe Rigaud, portrait de Gaspard Rigaud, 1691. Lausanne, galerie Reymondin @ d.r.

Hyacinthe Rigaud, portrait de Gaspard Rigaud, 1691. Lausanne, galerie Reymondin @ d.r.

L’émotion était donc palpable lorsqu’il nous a été donné de découvrir le visage de Gaspard, lors d'une visite amicale faite à un collectionneur de notre connaissance en décembre 2015. On venait en effet de lui proposer, par l'intermédiaire de la galerie parisienne Coatalem, ce portrait peint par Rigaud, qui avait longtemps été conservé dans la même collection suédoise depuis le XIXe siècle.

Il ne fut pas difficile de remonter la piste du tableau car la notice de présentation, si elle ne mentionnait pas la que l'œuvre avait été, en réalité, initialement proposée par son propriétaire suisse à la galerie Michel Reymondin à Montreux-Lausanne, elle livrait cependant quelques indices sur sa provenance.

Acquise à une date inconnue par le suédois David von Schinkel (1743-1807), traducteur de Bernadotte et futur roi de Suède, le portrait de Gaspard Rigaud resta dans la descendance du détenteur au Tidö Slott jusqu'en 1977, date du décès de David Herbert von Schinkel. Comme nous l'indiquèrent les services administratifs du château, le tableau passa ensuite à l'un de ses fils, à Genève qui nous contacta ensuite suite à notre demande. C'est à ce moment que nous avons appris que le portrait avait été officiellement proposé à Monsieur Reymondin qui nous fit l'amabilité d'une correspondance.

Allait se poser alors la question de la présence de ce portrait, sans doute celui exposé à Paris en 1704, dans une collection privée Suédoise. En l'absence d'éléments d'archives précis sur la date d'acquisition du tableau par le premier Schinkel, on peut supposer que ce dernier avait pu saisir une opportunité, à Paris, enrichissant ainsi ses collections déjà très fournies.

Le peintre, aux traits plus juvéniles que ceux de son frère, est figuré en buste, portant une ample perruque noire légèrement vaporeuse. Il tourne sa tête vers la droite de la composition et porte son regard serein à l’extérieur de la scène. Son cou est dégagé par le col ouvert d’une chemise de coton dont la cravate déborde elle même sur le devant d’une superbe veste de soie crème brodée de délicats galons d’or. Les mains sont cachées par un large manteau de velours noir doublé de brocard, lequel s’émancipe dans le bas de la composition par un grand pli dit « ouvert ». Le fond, très neutre, est traité en léger clair-obscur avec, comme seul décor à droite, un grand chevalet supportant une toile.

De cette face douce et tranquille émane une certaine lumière qu’aucun défaut anatomique ne semble pouvoir troubler. La bouche, très dessinée, est caractéristique des Rigaud : la lèvre inférieure, proéminente, est brillante d’humidité grâce au reflet de légères touches de blanc tandis que la lèvre supérieure, plus en retrait, donne à Gaspard une petite moue pincée et un demi-sourire esquissé.

Rigaud par Rigaud ou le portrait de Gaspard Rigaud retrouvé

Étonnamment, la composition nous sembla immédiatement familière, renvoyant à celle utilisée dès 1682 pour le portrait du peintre Charles de La Fosse. Même si chez ce dernier, les attributs de peinture ne sont pas présent, on peut imaginer que Rigaud privilégia pour les effigies d'artistes une posture décontractée et une vêture dans le même ton. Ainsi, le col ouvert de la chemise et le manteau simplement rabattu sur le devant par l'un de ses pans, à la manière d'un habit d'intérieur, pourrait suggérer cette option de représentation même si l'on se gardera de conclure à une quelconque récurrence. Le succès de la pose, notamment chez La Fosse, fut à l'origine de plusieurs copies du portrait.

Hyacinthe RIgaud et atelier, v. 1695-1705), portrait d'homme © galerie Mendes

Hyacinthe RIgaud et atelier, v. 1695-1705), portrait d'homme © galerie Mendes

Rigaud reprit l'attitude quelques années plus tard, pour un portrait d’homme resté non identifié, acquis par la galerie Mendès en 2009 après avoir été vendu à Drouot par Enchères Rive gauche en 2005[3]. Consultés par la galerie, nous avions proposé une datation prudente entre 1695 et 1705 car le modèle portrait une perruque haute à « cheminées », très en vogue à l’extrême fin du XVIIe et au tout début du XVIIIe siècle.

Il aurait été difficile d’affirmer qui avait été peint le premier si une indubitable signature autographe n’était venue confirmer la primauté du portrait du frère de Rigaud. Au dos, en effet, est encore visible à l’infra-rouge, un belle signature parfaitement autographe : « Gaspar Rigaud peint par hyacinthe Rigaud / son frère ayné 1691 »

Hyacinthe Rigaud, portrait de Gaspard Rigaud, 1691 (détail de la signature). Coll. priv. © d.r.

Hyacinthe Rigaud, portrait de Gaspard Rigaud, 1691 (détail de la signature). Coll. priv. © d.r.

La date de 1691 n’était pas anodine car quelques mois plus tard, le 28 janvier 1692 et après être passé la veille devant notaire pour l’établissement de son contrat de mariage, Gaspard s’unissait en l’église Saint Eustache avec Marie-Marguerite Caillot (v. 1671-1737), fille d’un marchand épicier. Il en aura trois enfants : Hyacinthe (1693-v. 1725) qui reçut le parrainage logique de son illustre oncle homonyme, une fille (1695-av. 1705)[4] et Marguerite Élisabeth (1697-1772). Quittant la rue Neuve-des-petits-champs, à l’entrée de la place des Victoires et de la rue de La Feuillade où il passa chez son frère les premières années de sa carrière, il rejoignit dès son mariage le domicile tout proche de ses beaux parents, marchands épiciers qui tenaient boutique rue Montmartre, vis-à-vis la rue du Mail, de l’autre côté de la place. Il demeurera dans ce quartier jusqu’à sa mort, le 28 mars 1705.

Les portraits peints par Gaspard durant sa courte carrière individuelle sont encore trop peu nombreux pour que l'on ne puisse pas se réjouir de l'entrée dans les collections du musée Rigaud de deux nouveau ovales, achetés par le musée lors d'une vente à Blois en octobre 2015. S'ils ne sont sans doute pas du meilleur de l'artiste (on connaît quelques unes de ses productions bien plus abouties), ils témoignent déjà de l'appropriation par le jeune artiste des postures commercialisées par son frère.

Gaspard Rigaud, portrait d'homme et de femme, v. 1699. Perpignan, musée Rigaud © Blois enchères

Gaspard Rigaud, portrait d'homme et de femme, v. 1699. Perpignan, musée Rigaud © Blois enchères

Hyacinthe portera constamment un regard bienveillant sur son frère, le soutenant et souhaitant même un temps se faire enterrer auprès de lui. Il conservera dans tous les cas son portrait dans ses appartements et ce jusqu’à sa propre mort[5], le léguant à la fille cadette de Gaspard, Marguerite-Élisabeth Rigaud (1697-1772), qui était devenue en 1715, l’épouse du peintre Jean Ranc (1674-1735).

Ce don semblait évident quand on sait que Gaspard avait été formé à Montpellier dans l’atelier du père de Jean. Le 28 mai 1678, en effet, Hyacinthe Rigaud signait comme témoin du contrat d’entrée en apprentissage de son frère[6], dans l’atelier d’un des peintres les plus sollicités de la région, Antoine Ranc (1634-1716).

Hyacinthe Rigaud, portrait présumé d'Antoine Ranc, v. 1696. Narbonne, musée des B.A.  © d.r.

Hyacinthe Rigaud, portrait présumé d'Antoine Ranc, v. 1696. Narbonne, musée des B.A. © d.r.

Le 16 janvier 1744, la fille aînée de Gaspard, Marguerite Élisabeth Ranc, veuve depuis 1735, déposa depuis Madrid où elle vivait encore, une procuration « en langue espagnole » reçue par maître Antoine Gaspard Feliciano Garcia notaire royal, donnant pouvoir à Jean-Baptiste Hersan, maître de la garde-robe de Philippe V, lors à Paris, pour retirer son héritage[7]. Suivant la quittance n° 23 établie par maître François de Langlard le 21 décembre, on remit donc à Hersan « deux tableaux peints sur toile dans leurs bordures dorées qui sont, un portrait dudit feu sieur Rigaud peint par luy même et l’autre le portrait du feu sieur Gaspard Rigaud son frère, père de ladite dame Ranc, aussy peint par luy »[8] et, le 30 décembre, Madame Ranc les récupéra enfin à son arrivée à Paris où elle s’était provisoirement établie, rue des Grands Augustins.

Signature de Madame Rigaud Rauc © photo S. Perreau

Signature de Madame Rigaud Rauc © photo S. Perreau

Conservé jusqu’à sa mort de cette dernière en 1772, le portrait se perd ensuite dans les temps troublés de la Révolution, probablement récupéré par l’un des deux derniers enfants vivants de Ranc, Hyacinthe Joseph (1722-1784) ou Marguerite Antoine (1729-1801). Il semble avoir ensuite été acquis au tout début du XIXe siècle par un baron suédois, passé chez ses descendants suisses depuis.

Hyacinthe Rigaud, portrait de Clara Rigaud et de sa famille Lafita, 1696, Paris, musée du Louvre

Hyacinthe Rigaud, portrait de Clara Rigaud et de sa famille Lafita, 1696, Paris, musée du Louvre

Le portrait de Gaspard vient donc combler un manque iconographie certain et reconstituer également le chaînon manquant de l'histoire des portraits de la famille Rigaud.

S'il ne fut pas explosé sur les cimaises du Salon de 1704, le portrait de la sœur des artistes, la catalane Clara Jeronima Lafita, née Rigau, partage avec les effigie des ses frères, un réel sens de la douceur et de la psychologie humaine. Le tableau, également compris dans l'inventaire après décès de Hyacinthe, sera légué au roi ce qui explique aujourd'hui sa localisation (Paris, musée du Louvre).

Il ne restera donc désormais qu'à trouver le portrait attesté de Jean Ranc, ce qui, nous l'espérons, ne saurait tarder...

Signature autographe de Gaspard Rigaud © photo S. Perreau

Signature autographe de Gaspard Rigaud © photo S. Perreau

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[1] « Il serait intéressant de retrouver ce tableau, qui complèterait la série des portraits de famille de Hyacinthe Rigaud. Peut-être a-t-il été classé, à cause d’un « air de famille » probable et de la présence logique des attributs du peintre (palette, chevalet), parmi les nombreux autoportraits de Hyacinthe Rigaud ». Cf Macé de l’Epinay, « Un peintre méconnu : Gaspard Rigaud, frère de Hyacinthe. Quatre portraits retrouvés », Bulletin de la Société de l’Histoire français, Paris, 1971-1972, p. 91-101.

[2] « M. Rigault le jeune » ; « son portrait [hyacinthe] peint par lui » ; « Madame Rigaud la mère en trois différentes attitudes ». Cf Guiffrey, 1869, p 40 ; Brême & Lanoe, 2013, p. 80 (le portrait de Gaspard mentionné comme non localisé).

[3] Perreau, 2013, cat. P.910, p. 197.

[4] Son acte de baptême n’avait pas été relevé dans son intégralité par Jal avant que les archives de Paris ne brûlent. La Tution des enfants de Gaspard Rigaud que nous avons retrouvée dans les archives du Châtelet de Paris en date du 8 mai 1705, montre qu’elle était déjà décédée (Paris, arch. nat., Y4144).

[5] Inventaire après décès de Rigaud : « n°361. Item deux tableaux quarrés dans leurs bordures dorées qui sont l’un un Portrait dudit feu sieur Rigaud peint par luy même et l’autre le Portrait du feu sieur Gaspard Rigaud son frère, père de ladite dame Ranc aussy peint par luy, lesquels deux tableaux comme portraits de famille n’ont esté ny numérotés ny estimés et le présent article tiré pour mémoire », et remis « à la dame Ranc » (fol. 48).

[6] Emile Bonnet, Dictionnaire des artistes et ouvriers d’art du Bas-Languedoc, Montpellier, 2004, p. 404-405. Julien Lugand a montré que Gaspard avait débuté sa carrière par un apprentissage chez un maître cordier à Perpignan, dès 1674.

[7] Madrid, archivo del Protocolo, 164342 ; Paris, arch. nat. MC, LXXIX, 44.

[8] Paris, archives Nationales, minutier central des notaires parisiens, étude LXXIX/44.

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