Quand Hyacinthe Rigaud peint Monseigneur d'Auvergne ou genèse d'un chef d'œuvre
16 mars 2016Hyacinthe Rigaud, portrait de l'archevêque de Vienne, 1732-1735 (détail). Coll. Priv. © cabinet Turquin
C’est en 2005, par un bel après-midi d’automne, que nous avons eu la chance de découvrir l’extraordinaire portrait de l’archevêque Henri Oswald de La Tour d’Auvergne (1671-1747), archevêque de Vienne puis cardinal d’Auvergne, inscrit en 1732 pour l’importante somme de 3000 livres dans les comptes d’Hyacinthe Rigaud. L’effet fut saisissant quand, à l’ouverture des grands volets du salon principal d’un charmant château du Langonnais, une douce lumière découvrit ce qu’on nous avait annoncé comme un antique évêque de Bazas.
Demeuré dans un certain anonymat durant plusieurs générations, les traits du prélat furent pourtant immédiatement reconnaissables, connus pour être ceux du futur cardinal d’Auvergne grâce à la non moins vibrante gravure de Claude Drevet. Bien qu’accrochée en hauteur, nous avions immédiatement reconnu l’œuvre originale, tout à fait illustratrice de ces grands portraits de princes de l’église dont Rigaud s’était fait une certaine spécialité. Grâce à la lumière rasante, on voyait d’ailleurs très nettement la trace du marouflage du visage, peint sur une petite toile lors des premières séances de pose, puis enchâssée sur la grande une fois le modèle libéré de son obligation. Inscrit dans les livres de comptes de l’artiste en 1732 pour la somme de 3000 livres[1], ce portrait qui témoigne de l’art d’un artiste parvenu au faîte de sa gloire, très tôt considéré par ses contemporains comme « le premier peintre de l’Europe pour la ressemblance des hommes et pour une peinture forte et durable », sera mis en vente à l’hôtel Drouot, le 4 avril prochain, par la maison Lhuillier et associé.
À l’heure où il s’était agi pour Monseigneur de La Tour d’Auvergne de briller comme tous les grands ecclésiastiques qui avaient souhaité un portrait ostentatoire, l’homme ne put exiger rien de moins qu’une œuvre peinte sur une toile de 4 francs (soit environ un mètre quarante par un mètre dix). En cette année 1732 le modèle multipliait les titres nouvellement acquis : Grand Prévôt de Strasbourg, archevêque de Vienne, grand aumônier du roi et commandeur des ordres.
Comme c’était parfois le cas, Rigaud n’avait pas reçu son modèle dans son riche appartement de la rue Louis-le-Grand. En effet, et bien qu’il n’y fût pas naturellement enclin, il lui fallut parfois céder aux maigres disponibilités de certains clients de haut rang et accepter les quelques séances de pose qu’on pouvait lui consentir. Il se contentait alors donc de fixer les traits de son modèle sur une petite toile aisément transportable, laquelle était destinée à être « incorporée » (cousue ou marouflée) dans une composition finale de plus grande envergure qui devait être achevée au retour du peintre, dans le calme de son atelier[2]. Ce fut le cas du portrait de l’archevêque d’Auvergne. Rigaud n’en était pas à son premier coup d’essai, ayant déjà utilisé cette technique lorsqu’en 1696 il s’était rendu à l’abbaye de La Trappe près d’Alençon pour « capturer » de mémoire la tête du fameux abbé homonyme. Il l’avait ensuite adaptée à Paris, « sur une toile en grand » en y joignant « le corps, le bureau et tout le reste »[3].
En 1701, il avait renouvelé l’opération à Germiny, en peignant la tête de l’évêque Bossuet destinée à son grand portrait en pied « en habit d’hiver » (Paris, musée du Louvre)[4]. En mars de la même année, à Versailles, il avait également procédé de la même manière pour les premières esquisses du visage du roi en vue d’un grand portrait en costume royal, devenu célèbre (Paris, musée du Louvre) : « Jeudi 10, à Versailles, La goutte du roi continue, il se fait peindre l’après-diné par Rigaud pour envoyer son portrait au roi d’Espagne à qui il l’a promis »[5]. Le marouflage de la tête sur l’œuvre finale se voit d’ailleurs encore très nettement in situ, tout comme dans le spectaculaire portrait du cardinal de Bouillon, peint entre 1708 et 1741, et conservé au musée Rigaud de Perpignan.
Hyacinthe Rigaud, portrait de l'archevêque de Vienne, 1732-1735 (détail). Coll. Priv. © cabinet Turquin
L’artiste choisit donc de représenter l’archevêque d’Auvergne à mi-corps, tourné vers la droite de la composition et assis dans un somptueux fauteuil de style rocaille au dossier mouvementé à coquille, accotoirs d’acanthe et frises de rosaces. Le plaçant sur un fond neutre en clair-obscur, il lui a fait tenir dans sa main droite une barrette de velours à pompon avec, à l’annulaire, la bague « d’une pierre verte façon d’émeraude montée sur son chaton et anneau d’or » que l’on retrouvera dans un petit baguier de chagrin lors de son inventaire après décès[6]. De l’autre main, l’archevêque avait été invité à froisser délicatement le pallium que lui avait confié le pape, accessoire bien reconnaissable avec ses quatre précieuses agrafes en or et rubis, ses bouts plats de plomb recouverts de soie noire et ses cinq croix pattées. Ostensiblement disposée, à droite de la composition, sur une riche table à pied mouvementé orné d’acanthe, l’élégante pièce de tissu semblait autant évocatrice du pouvoir conféré par le Vatican au modèle qu’un prétexte à Rigaud pour montrer ses talents à peindre les matières « d’après le vrai ».
Trois livres de maroquin (symbolisant la réputation de bibliophile acquise par l’archevêque), ainsi qu’une mitre d’étoffe d’argent glacée à galon[7] et une crosse (attributs de ses charges sacerdotales), parachèvent la mise en scène. Derrière, à gauche, on aperçoit le fût d’une colonne cannelée, « habillé » d’un ample drapé volant fait d’un velours lie-de-vin galonné d’or. Plutôt que de revêtir une simple robe d’archevêque à camail, Henri-Oswald avait choisi de porter la vêture caractéristique des Chanoines et grands Prévôts de la cathédrale de Strasbourg, habit à brandebourgs qu’il avait d’ailleurs contribué à introduire dans le Chapitre au début du XVIIIe siècle :
« Les grands Chanoines de Strasbourg portaient pour habit de chœur, sous un surplis à la Romaine à très-hautes dentelles, une longue simarre de velours rouge à manches pendantes et queue trainante, doublé [sic] d’un taffetas de même couleur, avec des Brandebourgs tressés d’or et de soye, & une aumusse d’hermine entremelée de petit gris doublée en rouge, qu’ils mettent sur les épaules en forme de camail[8]. »
En 1721, Alexandre Goulley de Boisrobert avait déjà évoqué de manière plus générale ces chanoines portant « pour habit de chœur une grande soutane traînante de velours rouge avec des boutons d’or et des boutonnières aussi d’or avec des fanfreluches à peu près comme les Bouillon en portent sur leurs livrées. Par-dessus cette soutane, un rochet de la plus fine toile avec une très haute dentelle d’Angleterre et une aumusse d’hermine […] »[9]. L’archevêque n’oublia pas de demander la représentation, à son cou, du cordon bleu et de sa croix de commandeur de l’ordre du Saint Esprit, obtenue en 1733, en cours d’élaboration du portrait[10] qui ne fut achevé qu’en 1735, comme l’atteste la signature discrète de l’artiste, dans l’ombre du fauteuil, en bas à gauche[11].
Hyacinthe Rigaud, portrait de l'archevêque de Vienne, 1732-1735 (détail de la signature). Coll. Priv. © cabinet Turquin
Comme à son accoutumée, Rigaud avait pris un soin tout particulier au rendu des détails, profitant d’un repli sur le devant de l’aumusse pour faire apparaître la doublure de taffetas rouge. La qualité de l’ample surplis de grande dentelle d’Angleterre à réseau fut également le prétexte à la plus grande des virtuosités, illustrant combien le maître avait su varier les étoffes de cent manières différentes pour les faire paraître d’une seule pièce par l’ingénieuse liaison des plis. Le portrait d’Henri Oswald de La Tour d’Auvergne semble ainsi, encore aujourd’hui, rendre parlantes les louanges que l’on portait à l’art de son auteur, affirmant que « s’il peignait du velours, du satin, du taffetas, des fourrures, des dentelles, on y portoit la main pour se détromper ; les perruques, les cheveux, si difficiles à peindre, n’étaient qu’un jeu pour lui »[12].
Gille Edme Petit d'après Hyacinthe Rigaud, portrait d'Armand Jules de Rohan, archevêque de Reims. Coll. priv. © photo S. Perreau
Si l’attitude ne dérogeait pas à une certaine tradition consistant à mettre en scène un prince de l’église dans un intérieur de palais, c’est qu’elle devait rivaliser avec les effigies des cardinaux de Rohan (1710), de Bissy, de Polignac (1715), Dubois (1723) et de Fleury (1727) ou celles des archevêques de Narbonne (1715), de Cambrai (1723) et de Paris (1731). Toutefois, elle fut suffisamment nouvelle pour satisfaire l’orgueil du futur cardinal, empruntant à ses prédécesseurs ici un drapé, là une pièce de mobilier. Reprise l’année suivante (avec menues variantes), pour le portrait d’un beau-frère de notre modèle, Armand-Jules de Rohan (1695-1762), archevêque de Reims[13], elle venait s’inscrire dans la lignée des portraits de la famille des La Tour-Bouillon[14] et offrait un véritable instantané des charges obtenues par Henri-Oswald de la Tour d’Auvergne.
Claude Drevet d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de l'archevêque d'Auvergne, 1739-1749. Coll. priv. © photo S. Perreau
Au commencement de l’année 1739, l’œuvre de Rigaud fut gravée en contrepartie à la demande du médecin personnel du cardinal, Jean-François Vallant, également connu comme médecin de la faculté de Montpellier et des écuries du roi. Claude Drevet (1697-1781), l’un des transpositeurs attitrés du peintre[15], fut tout naturellement choisi pour réaliser la planche car il avait bénéficié du soutien du modèle alors qu’il souhaitait conserver les logements du Louvre, vacants par la mort de son oncle Pierre (1663-1738), ami très proche de Rigaud[16].
Au service d’Henri Oswald durant les 17 dernières années de la vie de l’archevêque, Vallant avait initialement prévu d’insérer au bas de la gravure des vers de louange en forme de quatrain. Il s’adressa pour cela à Voltaire qui, en conflit avec l’évêque voisin de son diocèse, pensait trouver de nouveaux appuis. Une lettre autographe de Vallant, datée du 15 septembre 1744, témoigne de cette demande : « Je serois bien flatté […] en réitérant la prière que j’eus l’honneur de vous faire dernièrement à Paris, au sujet de quatre vers que je voudrois placer au bas de l’estampe de feu monseigneur le cardinal d’Auvergne, laquelle par mes soins a été gravée par Drevet ; j’eus l’honneur de vous représenter, qu’ayant pendant plus de dix-sept années conservé la santé de ce seigneur, mon but actuellement étoit de le faire revivre dans la Postérité […] »[17]. Le 30 septembre suivant, Voltaire refusa finalement la commande qui tournait à la basse flatterie : « Je vous conseille, monsieur, de mettre l’inscription la plus simple au bas du portrait du cardinal d’Auvergne ; tous les sujets ne sont pas propres pour les vers, ce n’est pas assez d’avoir été grand seigneur et cardinal, il faut avoir fait de grandes choses pour mériter les éloges de la postérité. Le cardinal d’Auvergne avoit un nom par sa naissance ; il avait des dignitez, mettez son nom et ses dignitez au bas de son estampe. Et pourquoi cette estampe ? Vanitas vanitatum. » Vexé, le médecin s’adressa finalement au poète et ennemi de Voltaire, Pierre-Charles Roy (1683-1764) qui proposa plusieurs versions d’un quatrain qui ne fut pas non plus ajouté[18]. Au prix de quelques variantes dans les accessoires (la crosse archiépiscopale peinte sur tableau a fait place à une grande croix patriarcale ou « croix de Lorraine » et le prélat ne porte plus de bague au doigt), la planche fut achevée en 1749 et annoncée dans le Mercure de France qui assurait alors que le graveur avait surpassé « par la douceur et la force de son burin les excellens morceaux qu’il a déjà donnés au public »[19].
Henri-Oswald, ou histoire de l’« abbé d’Auvergne »
Mort cardinal, celui qui n’était à ses débuts qu’« abbé d’Auvergne » fut un personnage haut en couleurs, défrayant la chronique par des mœurs libertines et un certain opportunisme. Infatigable voyageur, partagé entre son hôtel parisien du faubourg Saint Germain, ses obligations à la cour, en province (Cluny, Vienne, Strasbourg) ou à l’étranger (Rome), il était né le 5 novembre 1671 près d’Anvers. Quatrième enfant vivant du lieutenant général Frédéric-Maurice de la Tour d’Auvergne (1642-1707), comte d’Auvergne et d’Oliergues, marquis de Lanquais et de sa première épouse, la princesse Henriette-Françoise von Hohenzollern-Hechingen (1642-1698), marquise de Bergen-op-Zoom, il héritait d’une histoire familiale parfois mouvementée et contestée.
Si son père ne s’était principalement illustré que dans les armes, ses aïeux furent à l’origine de biens des titres dont le jeune abbé allait pouvoir se targuer. Décidés de faire reconnaître une « princerie » qui apparaissait comme défaillante tant chez eux que chez les La Tour auxquels ils s’étaient alliés, les premiers Bouillons s’étaient en effet arrogé la principauté de Sedan. Louis XIV, qui craignait la souveraineté de la place, avait convaincu le grand-père d’Henri-Oswald, le frondeur Frédéric Maurice (1605-1652) et son frère, le fameux Turenne (1611-1675), d’échanger Sedan contre les duchés-pairies d’Albret et de Château-Thierry, ajoutés des comtés d’Auvergne et d’Évreux. Par brevet royal d’avril 1649, l’ensemble des membres des deux familles allaient pouvoir « jouir du rang et préséances appartenants à leur maison et [être] traitées comme les autres princes issus de maisons souveraines habituées en ce Royaume »[20]. Ce fait fut décisif dans la carrière d’Henri Oswald puisqu’elle lui permit de paraître à la cour sur un pied d’égalité avec les plus anciennes familles de France et, surtout, de se prétendre plus légitime que ses confrères moins bien nés.
Cependant, son ascension n’eut sans doute pas été si fulgurante sans la présence à ses côtés de son oncle, le fameux cardinal de Bouillon (1643-1715). Ce grand prélat, véritable « Lucifer français » qui « vivait dans la plus brillante et la plus magnifique splendeur » nous rapporta ironiquement Saint Simon, avait été mis au banc du royaume après avoir essuyé de nombreux différends avec Louis XIV. Deux fois exilé mais resté jusqu’à sa mort dans l’ombre de son neveu, il se plaça auprès du pape en ayant eut l’honneur d’ouvrir la porte Sainte à Rome lors du Jubilé de 1700.
Hyacinthe Rigaud, portrait du cardinal de Bouillon, 1708. Perpignan, musée Rigaud © photo S. Perreau
C’est tout auréolé de cette gloire que ce cardinal entreprit de se faire peindre par Rigaud en 1707, dans toute la pompe de ses charges. Le tableau, aujourd’hui conservé au musée des Beaux-arts Hyacinthe Rigaud de Perpignan, était longtemps resté la propriété du peintre par le décès du modèle. Un simple acompte de 1000 livres sur les 8000 prévues avait été versé en 1708 et son auteur eut toutes les peines du monde à en obtenir le solde. Au prix d’un rabais de 1000 livres, l’abbé d’Auvergne régla finalement l’affaire en accordant à l’artiste une rente de 300 livres sur un principal réduit de 6000[21], récupéra le tableau et le conserva jusqu’à sa mort[22].
Vicomte de Turenne, duc d’Albret et de Château-Thierry, marquis de Berg-op-Zomm, comte d’Évreux et baron d’Oliergues, Henri Oswald avait obtenu dès 1684 et grâce à son oncle, un canonicat en l’église de Liège, dépendante du duché de Bouillon et fut, à la même époque, le premier français à accéder au chapitre de la cathédrale de Strasbourg. Cette place, chère à son cœur, n’aurait pas pu être acquise sans l’héritage de ses aïeux car l’on exigeait pour y accéder, d’importants quartiers de noblesse : « Le chapitre de la cathédrale de Strasbourg est un des plus nobles qu’il y ait dans l’église. Pour y être reçu chanoine, il faut faire preuve de huit quartiers de haute noblesse du côté paternel, & d’autant du côté maternel. La qualification de haute-noblesse exclut les simples gentilshommes, & elle exige une extraction de princes et comte de l’empire pour les Allemands, & de princes, ducs & pairs, ou maréchaux de France pour les François »[23]. Seuls quatre français purent répondre aux critères demandés : notre modèle, son jeune frère Frédéric Constantin (1682-1732), dit le « prince Frédéric », l’abbé d’Antin (1692-1733) puis le futur cardinal de Rohan (1674-1749)[24].
En place, « l’abbé d’Auvergne » débuta également sa longue quête de bénéfices en obtenant, le 23 août 1692, la commende de l’abbaye de Redon, dans le diocèse de Vannes (poste qu’il gardera jusqu’en 1740). Deux ans plus tard, le 27 décembre 1694, il est fait abbé commendataire de l’abbaye Normande de Conches-en-Ouche, dans le diocèse d’Evreux. Docteur en théologie de l’Université de la Sorbonne le 11 mai 1695, il devient vicaire général de l’archevêque de Vienne, Armand de Montmorin (1643-1713). Le 22 avril 1697, il se voit confier, grâce à son oncle parti pour Rome, l’administration de l’abbaye de Cluny qui valait alors près de 40 000 livres de rentes. L’installation clunisienne, agréée par le pape, sera déterminante dans la carrière du jeune abbé tant l'abbaye était .
C’est d’ailleurs de cette époque que date son premier portrait connu, dessiné et gravé en 1699 par Jean-François Cars (1661-1738)[25] : un simple buste où l’on voit le jeune abbé revêtu d’un vêtement de chanoine quelque peu austère.
Prieur de Saint Pierre d’Abbeville (février 1706), chanoine du Chapitre de Saint-Lambert de Liège, visiteur général des carmélites sur bulle du pape (à la place du feu abbé de Vassé), d’Auvergne était entre temps devenu par sa coadjutorerie de Cluny, abbé de Tournus et de Saint-Martin de Pontoise. C’est aussi à cette époque qu’il reçut du souverain pontife la Grande Prévôté de Strasbourg. Toujours selon Goulley de Boisrobert, on sait que les Grands Prévôts étaient « obligés par an à une résidence de trois mois pour percevoir leurs revenus qui se montent à près de vingt mille livres ». Le choix fait par Henri-Oswald de se faire représenter en 1732 dans cette vêture (alors qu’il était déjà archevêque) est donc doublement intéressant, montrant l’importance qu’avait Strasbourg dans le message qu’il souhaitait véhiculer par son effigie officielle.
Abbé titulaire de l’ordre de Cluny, le 5 mars 1716, notre modèle prit la suite de son frère, démissionnaire, à la commende de l’abbaye de Notre Dame du Valasse, en Normandie et, en novembre 1719, il fut nommé par le roi à l’archevêché de Tours à la place d’Henri de La Croix de Castries, lequel venait d’être transféré à Albi. Cette décision souleva une vague d’indignation, largement relayée par Saint Simon et l’abbé Dorsanne[26]. Tous reprochaient à d’Auvergne d’avoir précédemment intrigué pour récupérer Cambrai, pourtant promis à Charles de Saint Albin (1698-1764), « bâtard fort bien fait » du Régent, mais, surtout, de ne pas faire mystère de ses mœurs libertines qui défrayaient alors la chronique[27] :
« Lorsque l’abbé de Castries, sacré archevêque de Tours, passa peu après à l’archevêché d’Albi, l’abbé d’Auvergne eut celui de Tours. L’abbé de Thesut, secrétaire des commandements de M. le duc d’Orléans, […] fit un cri épouvantable quand il entendit cette nomination, dont il dit son avis par l’horreur qu’elle lui fit. Le régent convint de tout, y ajouta même le récit d’aventures de laquais fort étranges et assez nouvelles, et comme cet énorme genre de débauche n’était pas la sienne, il avoua à Thesut qu’il avait eu toutes les peines du monde à faire l’abbé d’Auvergne évêque, mais qu’il en était depuis longtemps si persécuté par les Bouillon, qu’il fallait à la fin se rédimer de vexation. […][28]. »
Henri Oswald ne s’installa donc pas en Touraine et dut attendre le 8 janvier 1721 pour être nommé à l’archevêché de Vienne. Préconisé et proposé à Rome le 10 septembre suivant, il reçut le pallium des mains du pape le 16 avril 1722. Son sacre fut célébré le 10 mai dans la chapelle de la congrégation du Noviciat des Jésuites de Paris, par le cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, assisté des évêques de Nantes et de Coutances. L’année suivante, en 1723, on le retrouva aux côté d’autres modèles de Rigaud, en tant que député de sa province à l’assemblée du clergé de 1723[29] (il en sera l’un des présidents en 1734). Partagé entre Paris et la province, il resta actif à Strasbourg, souhaitant dès 1730 que l’on puisse allonger le chœur de la cathédrale. En mai 1738, il sollicitera même l’architecte Robert de Cotte pour étudier un projet de transformation des jardins du grand doyenné de sa ville[30].
Abbé commendataire de l’abbaye royale de Saint-Martin d’Ainay de Lyon, le prélat cumulait désormais d’importants revenus qui lui permirent d’acheter au cardinal de Fleury 300 000 livres, sa charge de premier aumônier du roi. Muni de lettres de provisions signées par le roi en décembre 1732, il put désormais bénéficier d’un tabouret aux audiences de la reine et obtint, le 2 février 1733, le titre de commandeur de l’ordre du Saint Esprit, vacant par la mort du duc de Coislin. Le marquis d'Argenson rapporte à cette époque dans ses Mémoires une anecdote, qui donne une singulière idée des railleries que notre prélat subissait à la cour : « Le cardinal d’Auvergne, dit-il, se trouvant au coucher de M. le Dauphin, ce prince lui fit l’honneur de l’engager à dire la prière du soir ; en quoi il se trouva que ce cardinal savoit mal le Pater, peu l’Ave, et confondoit le Credo avec le Confiteor. On en rit longtemps. N’est-il pas honteux qu’un prélat, si grassement payé, ait rompu de cette sorte avec ses devoirs de chrétien. »
La dernière étape de sa carrière fut celle du cardinalat, franchie le 20 décembre 1737 grâce à la protection du pape Clément XII, qui le nomma prêtre cardinal du Consistoire avec le titre de Saint Calixte. Cet événement considérable fut commémoré par une estampe réalisée par le romain Jérôme Ressi, et figurant un buste du cardinal, en mozette, dans un ovale surmonté de ses armes et de celles de son bienfaiteur[31].
S’il n’est pas possible de mettre en relation ce portrait avec celui peint la même année par le Jésuite Giuseppe Castiglione (1688-1766) avant son départ pour Pékin (non localisé)[32], le dessin du visage s’inspire indéniablement de Rigaud et peut même être rapproché d’un autre portrait d’Henri-Oswald, en buste, que conserve le musée des Beaux-arts de Dijon[33].
École française du XVIIIe s., portrait du cardinal d’Auvergne, v. 1740, Dijon, musée des Beaux-arts © Dmba
Le tout nouveau cardinal reçut son chapeau des mains de l’abbé Delci, camerier du pape, lors d’une pompeuse cérémonie qui se déroula dans la grande chapelle de Versailles et en présence du roi[34]. Participant au conclave de 1740[35], il fut toutefois contraint de se démettre de son aumônerie royale en 1742 puis de son évêché en mars 1745 du fait de son mauvais état de santé. Le roi lui offrit en compensation la commenderie de l’abbaye d’Anchin « qui lui vaudra 30 000 livres de rente, toutes charges déduites »[36]. Peu de temps avant de mourir, Henri-Oswald fit frapper quelques jetons à son effigie comme le prouve une quittance du médailleur Joseph Charles Roettiers (1691-1772), en date du 20 janvier 1746 :
« J'ay reçcu de Son Altesse Eminantissime, monseigneur le cardinal d'Auvergne, la somme de six cent livres et six jettons d'argent livres et six jetons d’argent pour les carrez de jettons que j’ay gravé et livré représentant d’un côté l’effigie de son Eminence, et de l’autre ses armes. Je promais réparer les accidants qui pouroient survenir auxdit carrez pendant cinq annéez à conter d'aujourd'huy, vingt janvier mil sept cent quarante-six[37]. »
Art, Fortune et héritage : le portrait dans son contexte
La course effrénée aux commendes à laquelle le cardinal d’Auvergne se livra toute sa vie lui permit d’accumuler une fortune que sa succession estima à 700 000 livres[38]. Comme pour mieux afficher son opulence, il avait acquis à Paris, dans le faubourg Saint-Germain alors en pleine expansion, un hôtel nouvellement bâti par l’architecte Jan Cailleteau dit « Lassurance » (1690-1755) pour le compte du président François Duret (1673-1731), grand spéculateur foncier[39].
Rue de l’Université, non loin des hôtels d’Estrées, de Conti et de Maisons, il disposait ainsi, contre le prix de 133 840 livres, d’un bâtiment moderne, de deux étages sur cour et jardins, avec toutes les commodités destinées à la représentation. En 1738, il le fit profondément transformer par le décorateur Giovanni Niccolò Servandoni (1695-1766), fameux ordonnateur des fêtes aquatiques, données en 1730 quai Malaquais, à l’occasion de la naissance du Dauphin[40]. C’est là, à l’hôtel de Bouillon, que le cardinal d’Auvergne avait sans doute rencontré l’architecte, alors au service de son oncle, le cardinal de Bouillon.
Le devis des travaux, daté du 22 juillet 1738[41], fut négocié pour un total de 40 000 livres et le chantier s’acheva en février 1740, comprenant notamment l’élévation d’un célèbre escalier « d’autant plus beau que son emplacement est très resserré »[42]. Tous s’accordaient à dire que Servandoni « qui [avait] si bien profité du terrain sans nuire à la bâtisse ni diminuer la basse cour, [avait] élevé dans un endroit très resserré un des plus magnifiques escaliers qui se voient à Paris »[43].
Le décorateur fut, par ailleurs, à nouveau sollicité pour décorer les grands salons de l’hôtel d’Auvergne qui devaient accueillir une fête que le cardinal donna en février 1743 pour le mariage de sa petite cousine, Marie-Louise de La Tour d’Auvergne (1725-1793) avec le prince de Montbazon (1726-1788). Servandoni livra en huit jours neuf dessus de porte « représentant plusieurs sujets d'architecture et batimens antiques, paysages et diverses vues » [44] dont quatre ornèrent au rez-de-chaussée la grande salle de compagnie donnant sur le jardin[45], quatre autres la grande chambre de parade où ils répondaient à quatre petits dessus de porte anonymes (deux dans la chambre et deux dans le salon), représentant des paysages, des globes et des instruments de musique. Le neuvième, enfin, fut placé dans le petit cabinet du cardinal, donnant sur la cour. Plusieurs tableaux rythmaient également les murs de la salle de compagnie : une Assomption de la Vierge, une Chute des mauvais anges, le grand portrait du cardinal de Bouillon, une Sacristie ainsi « qu’une grande carte en parchemin représentant les armoiries du clergé de France, monté sur sa gorge et rouleau de bois doré ». Le cabinet jouxtant la chambre de parade présentait quant à lui une vue du Carnaval de Venise, un grand portrait de Louis XIV à cheval, deux autres du Grand Dauphin et du duc de Bourgogne (probablement des copies d’après Rigaud), ainsi qu’un tableau carré représentant le pape Benoît XIV.
plan en coupe de l’escalier de Servandoni à l’hôtel d’Auvergne tiré de Jean-François Blondel, Architecture françoise, 1752 © d.p
Les grands appartements d’apparat de l’hôtel d’Auvergne contenaient un grand nombre de meubles de prix, d’importantes tables à plateaux de marbre d’Italie ou olivâtre ainsi que plusieurs suites de grandes tapisseries de Gobelins (à figures de grotesques en sept pièces) ou de Bruxelles (l’Histoire de Moïse en dix pièces, les Quatre éléments en sept pièces, les Travaux d’Hercule en une pièce, des verdures en huit pièces et « autres grands personnages »). Comme pour son portrait, le cardinal avait soigné le cérémonial d’accueil des visiteurs. Après avoir admiré l’escalier de Servandoni, le public était ainsi convié à patienter dans une grande antichambre, décorée d’importants sofas, banquettes et chaises couvertes de cuir noir avant d’entrer dans la chambre de parade. Cette pièce, tendue de rideaux de taffetas cramoisi, offrait un décor particulièrement grandiloquent avec ses « quatre grandes portières de velours de même couleur, garnies d’une bordure d’or fin avec les armes du cardinal au milieu de chacune dans un cartouche de pareille broderie suportée par quatre anges, doublées en plein de satin cramoisi et garnies de franges et molete d’or fin ».
Dans la salle de compagnie trônait le buste en marbre blanc du cardinal, « sur son piédestal de marqueterie d’écaille en cuivre », œuvre réalisée à Rome en 1742 par Michel Ange Slodtz (1705-1764) et dont le peintre Jean-François de Troy (1679-1752), alors directeur de l’académie de France à Rome, vante la beauté dans une lettre adressée au cardinal le 8 août de la même année : « le buste de son Eminence est fini entièrement et parfaitement beau ; il ne tardera pas à l’envoyer et on pourra juger par ce morceau de ce qu’est capable de faire l’auteur » [46].
Si l’on considère parfois que ce buste fut une œuvre préparatoire à la statue du cardinal réalisée pour son mausolée érigé en la cathédrale de Vienne, Henri-Oswald de La Tour d’Auvergne avait entamé dès 1740 la construction de ce magnifique tombeau. Également conçu à Rome avec des marbres de Carrare et de bleu turquin, il reste encore aujourd’hui le chef d’œuvre de Slodtz qui fut aidé aidé des dessins de Jacques Germain Soufflot (1713-1780). La monumentalité de l'ensemble, toujours conservé in situ, illustre parfaitement de désir qu’avait eu le cardinal d’égaler le faste des tombeaux de la Basilique Saint Pierre du Vatican. Le Mausolée devait également contenir les restes du prédécesseur du cardinal, l’archevêque de Montmorin, que l’on voit encore couché, recevant l’hommage de son successeur debout à ses pieds. Estimé à plus de 40 000 livres le monument était resté inachevé à la mort de son commanditaire et ce n’est que le 28 mars 1748 que les cendres des deux prélats purent y être transposées[47].
Henri-Oswald goûtait également la douceur d’appartements plus privés. Outre de nombreuses tables de jeux de quadrille, de Berland ou de Picquet, il possédait un clavecin à ravalement avec son pupitre de bois de noyer fait par Antoine Vater (1689-1759), célèbre facteur parisien[48]. Plusieurs pendules « sonnantes » par Terrier[49] et Jean-Philippe Gosselin (1717-1766) s’affichaient aux côtés d’objets plus délicats encore à l’instar de ces deux « petites pagodes de porcelaine de Chine montées sur des pieds et avec deux petites branches d’arbre portant des fleurs blanches d’émail et aux extrémités des bobèches avec leurs bonnets, le tout de cuivre doré d’or moulu » ou de cet écritoire de bureau, « composé d’une petite figure chinoise de porcelaine ayant derrière elle la boiette à éponge de cuivre doré d’or moulu, et de deux crapauds de pareille porcelaine portant l’encrier et le poudrier de pareille cuivre, le tout posé sur une baze aussy de cuivre doré mouché et attaché sur un plateau de bois verny en verd ». Porcelaines chinoises, de Saxe, de Saint Cloud ou de Chantilly, faisaient son ordinaire.
Mais d’Auvergne était surtout connu pour ses goûts de bibliophile. Fin lettré, s’entourant de beaux esprits, il fut un ardent collectionneur de livres qu’il rassembla patiemment en une impressionnante bibliothèque composée de 9064 volumes[50]. La souche en avait été constituée dès 1610 par Henry de la Tour d'Auvergne (1555-1623), prince de Bouillon et « augmentée de celle du Cardinal de Bouillon à qui elle passa en 1670 devenue ensuite plus considérable entre les mains de Monseigneur le Cardinal d’Auvergne »[51]. Aidé dans sa tâche de collection par son bibliothécaire, Pierre-François Guyot Desfontaines (1685-1745)[52], notre archevêque étudiait patiemment ses manuscrits précieux sur des tablettes amovibles et s’aidait dans sa connaissance du monde de « deux moyens globes de Coronelli montés sur leurs pieds sculptés de bras » et de « deux autres, plus petits, montés sur des pieds de bois ornés de cercles de cuivre ». Tout près, une chambre aux archives était réservée aux papiers précieux, certains conservés dans un coffre fort de bois de chêne.
Épilogue
C’est dans son écrin parisien que le cardinal avait pris soin de dicter ses dernières volontés à son notaire attitré, maître Gérard Claude Bateste, le 19 janvier 1743, dans un cabinet au premier étage où le fonctionnaire le trouva « assis dans son fauteuil devant la cheminée »[53]. Outre différentes rentes léguées à ses serviteurs, ses médecins et son chirurgien, il insinua comme ses légataires universels ses deux cousins germains encore vivants, le comte d’Évreux (1674-1753) et la duchesse de Montbazon (1679-1750), ainsi que son petit-cousin, le 4e duc de Bouillon, Charles Godefroy (1706-1771). L’archevêque de Bourges, Frédéric Jérôme de La Rochefoucauld (1701-1757), qui officiait comme son coadjuteur à l’abbaye de Cluny et « sur l’amitié duquel j’ay toujours compté infiniment », fut nommé exécuteur testamentaire[54] conjointement avec le comte de Maurepas (1701-1781), ministre et secrétaire d’État « qui a toujours esté aussy de ma maison et amy en particulier »[55]. Le 1er avril, malade de corps, il rappelle son notaire qu’il convoque dans sa chambre « par bas ayant vue sur le jardin » pour ajouter à son testament un codicile nommant un énième exécuteur testamentaire, son cousin le comte d’Évreux, « qui lui a donné des marques de sa sure amitié dans la maladie dont je suis allité ». Malgré les soins attentifs des médecins Vallant et Condorcet, le cardinal mourut le 23 avril 1747, dans cette chambre du rez-de-chaussée où il avait fait accrocher aux murs un petit tableau « peint sur albâtre en quatre médaillons représentant des sujets de dévotion dans une bordure d’ébène garnie de bande de cuivre doré ciselé et de quelques fleurs et ornements d’argent » ainsi qu’une estampe représentant La Lorraine réunie à la France.
Si le portrait d’Henri-Oswald de La Tour d’Auvergne par Rigaud ne fut pas décrit dans l’inventaire après décès du principal intéressé, réalisé entre le 2 mai et le 31 octobre 1747, c’est qu’il avait déjà été légué par testament à sa petite cousine « à la mode de Bretagne », Louise Julie de La Tour d’Auvergne (1679-1750), épouse du duc de Rohan Montbazon : « Je prie Madame la duchesse de Montbazon ma cousine germaine, d’accepter l’original de mon portrait fait par Rigaut, lequel je la prie de garder par durant sa vie et le laisser ensuitte si elle le juge à propos à Monseigneur le Duc de Bouillon ou a son fils ayné ». Malheureusement, la duchesse mourut trois ans après cousin, et le portrait passa donc à son neveu, Charles Godefroy, 5e duc de Bouillon (1706-1771)[56]. Malgré la volonté du duc de mettre à l’encan la plupart de ses biens pour éponger ses dettes[57], les portraits de famille ne furent pas dispersés et restèrent quai Malaquais comme le prouve la description faite du contenu d’une chambre à coucher à balustrade étant en suite du grand salon ayant vue sur le jardin, à l’occasion de l’inventaire après décès du duc[58] : « À l’égard de deux grands tableaux peints sur toile, l’un représentant feu mgr le Duc de Boüillon père du deffunt et l’autre le cardinal Dauvergne, deux autres petits tableaux aussy peints sur toille lun représentant made la duchesse de bouïllon mere du deffunt et lautre le frere du deffunt tous dans leur bordure de bois sculpté et doré, il n’en a été fait aucune prisée comme portraits de famille c’est pourquoy ils seront icy tirés pour mémoire ».
Hyacinthe Rigaud, portrait de l'archevêque de Vienne, 1732-1735 (détail). Coll. Priv. © cabinet Turquin
Oncle et neveu, nos deux cardinaux s’étaient donc retrouvés sur les cimaises de l’hôtel de Bouillon et y restèrent au moins jusqu’au début du XIXe siècle. Les différentes éditions de la Nouvelle description des curiosités de Paris de Jacques Antoine Dulaure décrivent en effet le portrait du cardinal de Bouillon comme l’un des principaux attraits de l’hôtel : « On y voit deux des plus grands tableaux de Claude Le Lorrain ; un berger avec des moutons, par Teniers & le portrait du Cardinal de Bouillon, assis entre les Ducs d’Albret & de Bouillon, superbe ouvrage de Rigaud »[59]. Quant au portrait du cardinal d’Auvergne, sans doute moins ostentatoire, il passa plus inaperçu en échappant à la description, car sans doute relégué dans un garde meuble évoqué par Luc Vincent Thierry : « Cet Hôtel magnifique contenoit autre fois quantité de tableaux précieux, qui y existent bien encore, mais dans un garde-meuble où ils dépérissent, M. le Duc de Bouillon occupant rarement son Hôtel, réside presqu’habituellement au Château de Navarre »[60].
On le retrouve dans tous les cas dans l’inventaire après décès du 6e duc, Godefroy Charles Henri (1728-1792), réalisé le 11 février 1793 à Paris, dans une pièce ayant vue sur la grande cour : « Le bisaïeul de M. de Bouillon régnant, D’Auvergne, Le cardinal d’Auvergne, Mme de Montbazon Bouillon » [61]. La suite est plus complexe à établir. En pleine déconfiture (les biens des Bouillon ayant été mis sous séquestre par loi révolutionnaire du 30 septembre 1793), le dernier duc Jacques-Léopold (1642-1802) s’était retiré à Navarre (près dEvreux) et avait légué tous ses biens à son ancien régisseur, le futur ministre Antoine Roy (1764-1847), en échange du solde de ses dettes. Si le buste en marbre de Slodtz connut un destin particulier pour être conservé aujourd’hui au château du Lude[62], la plupart des œuvres d’art furent vendues de manière opportuniste, au gré des occasions, et réapparurent dans différentes ventes publiques entre 1801 et 1814. Ainsi, le grand portrait du cardinal de Bouillon par Rigaud figura au catalogue de seconde vente, en 1814, du marchand mercier Jean-Baptiste Pierre Lebrun (1748-1813)[63], avant d’être acquit sans que l’on sache de qui, par l’imprimeur perpignanais Amable Tastu, puis revendu par ce dernier en 1820 au musée de sa ville où il est toujours. Il n’est donc pas incongru de penser que l’effigie du cardinal d’Auvergne a pu connaître un sort assez similaire, probablement acquis de manière plus anonyme par des ascendants des actuels propriétaires.
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Jusqu'en 2013 le portrait de l'archevêque était considéré comme perdu. Etaient également inédites, la majeure partie des archives consultées aux archives nationales à Paris pour la rédaction de cet article.
p. 60-70. Marie-Claude Valaison, Le cardinal de Bouillon, Perpignan, 1990 puis « Le portrait du cardinal de Bouillon par Hyacinthe Rigaud », La revue des Musées de France. Revue du Louvre, 5 décembre 2007, Paris, RMN,