Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait de femme, v. 1699 (détail). Coll. priv. © d.r.

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait de femme, v. 1699 (détail). Coll. priv. © d.r.

Après l’éclatante vente Christie’s qui voyait la dispersion des deux Rigaud de la collection Remilleux, plusieurs autres belles pièces se firent remarquer. Le 3 octobre, chez maître Pousse Cornet à Blois, on découvrait ainsi sous le lot 56 d’une vente de prestige, « une jolie brunette » (pour reprendre les termes de Louis Hourticq), lumineuse de couleur et de prestance. La modèle, malheureusement difficilement identifiable, était présentée en buste, la tête et le regard complètement tournés vers la droite. Ses cheveux, ordonnés en un chignon volumineux dégageant l’oreille, sont disposés assez haut et sont ici retenus par un ruban ondulant qui retombe sur l’épaule[1]. Sur le front, une boucle en « cruche » s’échappe de cet ensemble bien ordonné. Le mouvement de l’épaule droite prouve que la composition originale, dont découle ce portrait réduit au seul buste, devait figurer à l’origine des bras.

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait de femme, v. 1699. Coll. priv. © d.r.

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait de femme, v. 1699. Coll. priv. © d.r.

En examinant attentivement l’ensemble de la vêture, du corsage légèrement défait agrémenté de perles jusqu’à l’ordonnance du grand drapé en bas à droite, le spectateur est immédiatement renvoyé à l’œuvre phare de Rigaud en matière de représentation de femmes, le portrait de Catherine-Marie Le Gendre de Villedieu (1682-1749), peint en 1701 et superbement gravé par Simon Valée[2]

Simon Valée d'après Hyacinthe RIgaud, portrait de Madame Le Gendre de Villedieu. Coll. priv. © d.r.

Simon Valée d'après Hyacinthe RIgaud, portrait de Madame Le Gendre de Villedieu. Coll. priv. © d.r.

Représentée à mi-corps, vêtue d’une somptueuse robe de soie aux plis harmonieusement agencés, la jeune Madame Le Gendre semblait flâner dans un parc, s’arrêtant sous les douces frondaisons d’un arbre, près d’un grand vase à anses dans lequel poussent divers œillets. D’une main délicate, elle en prélève un de couleur rouge, symbole de la fécondité et de l’amour, et pose son autre main sur l’épaule d’un jeune serviteur maure qui lui tend, au premier plan, une corbeille généreusement garnie de fleurs coupées entourant une très belle rose. La composition rencontra un grand immense succès et fut reprise plusieurs fois pour différentes modèles désireuses d’égaler, par le faste de la mise en scène, les grandes compositions militaires et parfois arrogantes de leurs époux. La marquise de Louville (1708) ou la comtesse Eva Bielke Oxsternstiern  (1710) furent de celles-là.

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait de femme, v. 1699 (détail). Coll. priv. © d.r.

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait de femme, v. 1699 (détail). Coll. priv. © d.r.

« Quoique Rigaud fut naturellement galant avec les Dames, il n’aimoit point à les peindre : Si je les fais telles qu’elles sont, elles se trouveront pas assez belles ; si je les flatte trop, elle ne ressemblerons [sic] pas ».

 

À la vue du portrait de la jeune de Blois comme de l’image de Madame Le Gendre, il est difficile pour l’œil contemporain d’accorder quelque crédit aux dires de Dezallier d’Argenville, aussi justes soient-ils. Le chroniqueur, proche des artistes de son temps, donnait ainsi à l’historien moderne l’argument principal plaidant en faveur d’un Rigaud « peintres des hommes », pour qui seule la ressemblance importait, opposé à un Largillierre plus arrangeant avec la vérité de certains visages féminins.

 

Au travers du portrait de la belle blésoise, on perçoit l’envie qu’avait Rigaud de fixer pour longtemps sa vision des femmes, de les sublimer par des couleurs chatoyantes et des drapés volants, tout en respectant scrupuleusement la vérité de leurs traits. En témoignent le petit nez mutin de la modèle et l’air joyeux avec lequel elle semble regarder quelqu’un à l’extérieur de son propre portrait, aisément datable des années 1699-1700. Malgré quelques soulèvements et l’intervention évidente de l’atelier de Rigaud pour le vêtement, le portrait atteignit rapidement les 6800 euros sans les frais.

Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portraits de Madame Le Gendre de Villedieu et de Madame de La Ravoye en Pomone. Paris, marché de l'art © Sotheby's

Atelier d'Hyacinthe Rigaud, portraits de Madame Le Gendre de Villedieu et de Madame de La Ravoye en Pomone. Paris, marché de l'art © Sotheby's

Par un curieux hasard, on retrouva chez Sotheby’s, un mois plus tard, le 4 novembre 2016 (lot 566), l’image même de Madame Le Gendre à travers la seule copie qui nous soit parvenue d’un original considéré comme perdu. Cette réplique d’atelier était bien connue des amateurs pour être déjà passée en vente plusieurs fois. Elle fut réalisée en 1703 par Adrien Leprieur en pendant d’une copie du portrait de Marie-Anne Varice de de Valières-La Ravoye (1672-1732), travestie sous les traits de Vertumne et Pomone et peint par Rigaud en 1703 (Fontenay-le-Comte, château de terre-Neuve).

 

Leprieur fit quelques changements dans l’effigie de Madame Le Gendre, notamment en remplaçant l’arrière fond de montagne par une statue de sphinx, assis sur un entablement de pierre. Commandes du marquis de Brignole-Sale pour orner les murs de son palais, ces deux images féminines ne furent pas choisies au hasard par le noble génois. Les compositions comptent en effet parmi les plus belles du peintre[3] et, comme l’a démontré le professeur Daniele Sanguinetti, elles remportèrent un vif succès à leur arrivée en Italie.

 

On ne compte plus aujourd’hui les pastiches qui en furent réalisés, notamment par les peintres Giovanni Maria delle Piane ou Domenico Parodi. Giovanni Enrico Vaymer ira même jusqu’à fusionner sans vergogne l’attitude de Madame Le Gendre avec celle du portrait de la duchesse de Mantoue également créée par Rigaud en 1706[4]. Estimés 12000 à 15000 euros, les deux copies, très décoratives, firent le bonheur du galeriste Gilles Linossier, partant à leur estimation haute.

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait de Monsieur Bignon de Blanzy, 1699. Paris, coll. priv. © cabinet Turquin

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait de Monsieur Bignon de Blanzy, 1699. Paris, coll. priv. © cabinet Turquin

Beaucoup moins ostentatoire que ces dames et sans doute plus émouvant, un très bel ovale figurant un magistrat pointait son nez, le 12 novembre, lors d’une grande « vente collégiale » qui avait été organisée à l’hôtel Drouot par différentes sociétés de vente et cabinets d’expertise. Si le lot phare restait le superbe buste de Colbert par Coysevox, on y voyait aussi un grand Christ en croix attribué à Jean Ranc qui fut judicieusement acquis par le musée de Stockholm. Notre Rigaud, sous le lot 14, tranchait avec ces grands formats. Petit ovale au cadrage serré[5], il dévoilait les traits présumés d’Armand-Roland Bignon de Blanzy (1666-1724), intendant des finances dont l’iconographie avait été fixée par Rigaud en 1699[6].

A gauche : Hyacinthe Rigaud, Portrait de Monsieur Bignon de Blanzy, 1699. coll. priv. © Christie's LTD / A droite, dessin par Charles Viénot, 1700. NYMM © documentation des peintures du Louvre

A gauche : Hyacinthe Rigaud, Portrait de Monsieur Bignon de Blanzy, 1699. coll. priv. © Christie's LTD / A droite, dessin par Charles Viénot, 1700. NYMM © documentation des peintures du Louvre

Frère du célèbre abbé Bignon, autre modèle du peintre, Bignon de Blanzy avait initialement été représenté en buste assez large, vêtu d’un habit caractéristique de ses fonctions, tout en camaïeu de noir. L’original, après avoir appartenu à une collection argentine était passé en vente chez Sotheby’s en 2001. Il fut également transcrit à la pierre noire par Charles Viénot en 1700 (New York, Metropolitan Museum of Art).

 

La réplique présentée par la maison Daguerre appartient incontestablement aux meilleurs exemplaires connus, dont on sait que certains furent réalisés par Leprieur, Legros, Leclerc et Vialy de 1699 à 1708[7]. Ici, si le vêtement trahit une facture d’atelier, le visage semble pleinement devoir revenir au maître. La virtuosité de Rigaud à rendre vivants les traits les plus simples fascine toujours. Par pure magie, Bignon donne l’air de sortir d’une ombre pour offrir à la lumière toute la perfection de ses chairs. Le regard pétillant nous accroche et nous invite sans nul doute à la conversation…

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait d'homme, v. 1698. Coll. priv. © d.r.

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait d'homme, v. 1698. Coll. priv. © d.r.

Enfin, pour finir ce tour d’horizon 2015, nous avions noté la réapparition chez Coutau Bégarie le 27 novembre (lot 134) d’une œuvre peu vue, tout à fait caractéristique des portraits d’hommes produits par Rigaud dans les années 1695-1700. D’un format traditionnel mais ovale (80 x 62 cm), l’image était celle d’un personnage dans la force de l’âge, au visage gras et la mine paisible, les bras rendus invisibles par l’omniprésence d’un ample manteau de velours gris-bleu. La position du buste n’était pas sans rappeler celle utilisée en 1698 pour le portrait du comte d’Harrach[8], tourné vers la gauche et le visage de face, mais avec une vêture proche de celle qui habilla Nicolas Mesnager la même année[9].

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait d'homme, v. 1698 (détail). Coll. priv. © d.r.

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait d'homme, v. 1698 (détail). Coll. priv. © d.r.

Au dos, sur la traverse du châssis moderne, avait été conservée une ancienne étiquette manuscrite en partie déchirée, donnant le nom du dernier propriétaire du tableau qui en avait également donné l’identité présumée : « Portrait de Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau par Hyacinthe Rigaud, ce portrait qui parait avoir été peint vers 1686, provient de la collection de M. Tillette d'Arceux, membre de la Société des Antiquaires de Picardie ».

Cette proposition de l’ancien amateur amiénois, pour séduisante qu’elle pouvait être, ne reposait malheureusement sur aucune donnée scientifique autre que l’appréciation personnelle. On comprend toutefois que le propriétaire avait trouvé à son portrait un air de ressemblance avec la véritable effigie du marquis de Dangeau, peinte en 1702 et conservée au musée du château de Versailles[10] car tous deux partageaient un certain embonpoint et portaient une perruque similaire.

Hyacinthe Rigaud, portrait du marquis de Dangeau, 1702. Versailles, musée national du château © photo S; Perreau

Hyacinthe Rigaud, portrait du marquis de Dangeau, 1702. Versailles, musée national du château © photo S; Perreau

S’il n’était pas incongru de penser que Dangeau avait pu commander un second portrait, absent de ce fait des livres de comptes de l’artiste[11], le marquis avait une pilosité brune alors que « l’homme picard » possédait incontestablement des sourcils blonds[12] (de même il avait la pupille bleue alors que Dangeau avait les yeux marrons). La présence de la croix de l’ordre militaire de Saint Louis, même si d’évidence elle fut rajoutée par la suite[13], ne pouvait correspondre aux « honneurs » de Dangeau, lui qui portait ostensiblement les distinctions de l’ordre de Saint Lazare et du Mont Carmel ainsi que le cordon bleu de l'ordre du Saint Esprit.

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait d'homme, v. 1698 (détail). Coll. priv. © d.r.

Hyacinthe Rigaud et atelier, portrait d'homme, v. 1698 (détail). Coll. priv. © d.r.

Si le tableau semblait correspondre à une autre version (que nous n'avons pas vu) mais qui autrefois était située au château de La Biche, il faudra se livrer à une recherche de correspondance entre les modèles peints par Rigaud ayant été décorés de l’ordre de Saint Louis, sachant que nombreux furent ceux dont les noms ne figurèrent pas dans les célèbres recueils de d’Hozier. Parti au prix de l’estimation basse, soit 3000 euros hors frais (ce qui est tout à fait honnête compte tenu des restaurations restant à faire[14]), notre bonhomme a désormais rejoint un nouveau foyer gardois.

[1] Parfois le ruban est remplacé par un petit bijou en forme de diadème perlé.

[2] Perreau, 2013, cat. *PC.709, p. 163-164.

[3] Une copie du prototype « Le Gendre, se retrouvera en 1771, dans la vente du filleul de Rigaud, Hyacinthe Collin de Vermont, attestant du succès de la composition : « 92 – Un grand Portrait de femme tenant un œillet avec un nègre, par idem » (Chapitre « tableaux », p. 13).

[4] Notamment dans la main gauche, reposant sur les genoux de la modèle. Gênes, coll. Durazzo Pallavicino Negrotto Cambiaso. Cf Sanguinetti, 2001, repr. p. 47, fig. 41.

[5] 64,5 x 53 cm.

[6] Perreau, 2013, cat. PC.623, p. 147.

[7] Deux copies furent produites la même année, avec une participation de Leprieur. En 1701, deux autres furent payées à Le Clerc et, en 1703, une autre « pour son commis » (l'habit fut réalisé par Delaunay). En 1712, enfin, René Vialy en fit une énième.

[8] Perreau, 2013, cat. PC.283, p. 141.

[9] Perreau, 2013, cat. P.547, p. 137.

[10] Perreau, 2013, cat. PC.746, p. 169-170.

[11] Mais sans doute pas en 1686 car il y aurait eu une invraisemblance entre le style des perruques, ici marqueuse de la période 1700.

[12] La position des yeux, celle du nez est également assez diférente.

[13] L’agencement du ruban rouge, assez maladroit, se lite d’ailleurs assez mal.

[14] L’ensemble de la couche picturale présentait notamment des multiples petites lacunes de rétractation, dues sans doute à un rentoilage un peu sévère ainsi que des soulèvements.

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