Hyacinthe Rigaud, enfant sous la figure d'Apollon, v. 1710 (détail). Paris, collection particulière © d.r.

Hyacinthe Rigaud, enfant sous la figure d'Apollon, v. 1710 (détail). Paris, collection particulière © d.r.

Influencé, dit-on, par l’image solaire dont s’était emparé Louis XIV, le thème du portrait en Apollon rencontra un certain succès en France au début du XVIIIe siècle. Il s’inscrivait pourtant dans une mouvance déjà ancienne qui faisait du travestissement mythologique un genre dans le genre, moyen aussi pour les modèles, comme pour les peintres, de mettre un pied dans le monde de l’Histoire. Si les hommes eurent cependant moins recours aux divinités que les femmes – leur préférant l’image du buveur ou du chasseur –, certains gravirent allègrement les flancs de l’Olympe, faisant fi des éventuelles railleries dont leurs effigies parfois pompeuses furent sujettes.

Nicolas de Largillierre, homme sous la figure d'Apollon, v. 1730, Londres, Tate Gallery, inv. T00894 © d.r.

Nicolas de Largillierre, homme sous la figure d'Apollon, v. 1730, Londres, Tate Gallery, inv. T00894 © d.r.

Robert Gence, Portrait du chevalier Jean de Larrétéguy en Apollon jouant de la lyre, 1715, huile sur toile, 135 x 103 cm. Bayonne, musée Basque © musée Basque

Robert Gence, Portrait du chevalier Jean de Larrétéguy en Apollon jouant de la lyre, 1715, huile sur toile, 135 x 103 cm. Bayonne, musée Basque © musée Basque

Les figures d’enfants s’en tirèrent mieux. Peints par François de Troy (1645-1730) et Nicolas de Largillierre (1656-1746) vers 1710, deux exemples viennent de faire l’actualité du marché de l’art, rappelant combien ce thème, partagé également par Hyacinthe Rigaud avec un opus tout récemment redécouvert, avait été cher au célèbre triumvirat.

Si Rigaud et Largillierre ont finalement partagé dans leurs œuvres, une vision évocatrice de l’Apollon du Belvédère (c’est du moins à cette image que nombre d’historiens de l’art n’hésitent pas à renvoyer), le plus âgé du trio, François de Troy, a opté pour un parti plus audacieux. Son portrait de jeune adolescent sur des nuées, que la maison Artcurial a vendu le 16 juin dernier (lot 262)[1], propose en effet un cadrage très serré qui pourrait faire penser à une composition initialement plus vaste : le drapé est presque amputé à gauche et l’index de la main à droite, suggère une scène qui se laisse deviner…

François de Troy, portrait d'homme en Apollon, v. 1720. Collection particulière © photo Artcurial

François de Troy, portrait d'homme en Apollon, v. 1720. Collection particulière © photo Artcurial

L’œuvre n’en est donc que plus surprenante. Dans des tons très doux d’un rose fané et avec cette touche poétique qui le caractérise, de Troy positionne son modèle le visage de face, une main posée sur une lyre dont l’état d’inachèvement procède à l’atmosphère évanescente de l’ensemble. Comme à son habitude, l’artiste fait montre d’une grande poésie dans ses carnations. L’agencement nerveux de ses drapés, composés de petits plis froissés de manière presque imaginaire, est satiné par une lumière crue, sans ombres tranchées.

Hyacinthe Rigaud, portrait d'enfant sous la figure d'Apollon. v. 1710. Paris, collection particulière © d.r.

Hyacinthe Rigaud, portrait d'enfant sous la figure d'Apollon. v. 1710. Paris, collection particulière © d.r.

Chez Rigaud, l’idée est plus solennelle et la facture, quoique très inachevée dans son enfant en Apollon, aux antipodes de de Troy. Adepte de l’extrême correction du dessin et friand des larges aplats que créent l’ordonnance quasi scientifique des drapés née d’une fine étude de la nature, le Catalan ne cède en rien à l’affect. Il le dompte et impose sa vision de la poésie raisonnée. Son enfant en Apollon, récemment redécouvert, est d’une composition presque royale[2].

Hyacinthe Rigaud, portrait d'enfant sous la figure d'Apollon. v. 1710 (détail). Paris, collection particulière © d.r.

Hyacinthe Rigaud, portrait d'enfant sous la figure d'Apollon. v. 1710 (détail). Paris, collection particulière © d.r.

Si l’on ne détecte pas dans la mise en scène un quelconque élément de royauté (pas de couronne, pas de lauriers, pas de tissus fleurdelisé) l’image de ce garçon vêtu à l’antique, assis sur un tabouret de velours bleu devant un grand drapé théâtral justifie à lui seul d’être passé un temps pour une effigie du jeune Louis XV. Les cheveux au naturel, le regard déterminé vers le lointain (une destinée illustre ?), il pose une main sur sa lyre comme un prince l’aurait fait sur son sceptre. À l’aide de grands pans de tissus, dont il traite la brillance par une opposition subtile entre lumière crue et ombres profondes, Rigaud ordonnance le manteau rouge à la manière d’un décorateur. Jamais le « retombé » des plis (au premier plan sur le bassin et le genou du modèle), ne paru si naturel par son économie. La vie naturelle de l’étoffe procède de ce « beau fini » qui « n’ôte pas l’effet » du jeu des textures voulues par le maître. Cette rigueur vraie dans la touche, jusque dans la physionomie du garçon, tranche avec le reste de la composition, à peine esquissée et parsemée de repentirs.

Hyacinthe Rigaud, portrait d'enfant sous la figure d'Apollon. v. 1710 (détail des repentirs et du travail d'esquisse). Paris, collection particulière © d.r.

Hyacinthe Rigaud, portrait d'enfant sous la figure d'Apollon. v. 1710 (détail des repentirs et du travail d'esquisse). Paris, collection particulière © d.r.

Cette juxtaposition achèvement/inachèvement qui, aujourd’hui ajoute au charme du tableau, pourrait s’expliquer par le décès du modèle qui empêcha l’artiste de finir son œuvre. Elle illustre dans tous les cas sa manière de travailler : après avoir préparé au rouge-brun sa toile, dont il creusait peu à peu les formes, après avoir esquissé les contours et brossé la mise en place, Rigaud, s’attachait au visage, aux mains et aux carnations. Les accessoires et le fond venaient au terme, lui laissant toute latitude pour bouger une jambe, remonter un bras ou déplacer un pied…

Nicolas de Largillierre, portrait d'enfant en Cupidon, v. 1740. Ancienne collection Sortais. Grasse, musée Fragonard © d.r.

Nicolas de Largillierre, portrait d'enfant en Cupidon, v. 1740. Ancienne collection Sortais. Grasse, musée Fragonard © d.r.

Mais avec autre Amour tenant une flèche (ou enfant en cupidon) Rigaud ne semble pas avoir davantage versé dans le genre. Son ami Largillierre fut beaucoup plus prolixe. Dans dans une recension de la rétrospective qui fut consacrée à l’artiste au Petit Palais à Paris, du 15 mai au 1er juillet 1928, Georges Pascal semblait lui accorder les plus méritantes des palmes. Ses figures d’enfants furent, selon lui, une révélation l’exposition[3] :

« La vogue du portrait mythologique a permis à Largillierre de travestir – si peu – ses petits modèles en Éros, en Apollon ou en Hercule ; il leur a réservé les plus fraîches couleurs de sa palette, et les délicieuses peintures de la collection de Bonneval et de M. Sortais[4], nous montrent avec quelle manière délicate et raffinée Largilliere a su exprimer le charme de l’enfance ».

Nicolas de Largillierre, portrait dit du duc de Bourgogne en Apollon. À gauche : Paris, galerie Marc Ségoura © M. Ségoura / À droite : ancienne collection Bonneval © photo documentation des peintures du Louvre

Nicolas de Largillierre, portrait dit du duc de Bourgogne en Apollon. À gauche : Paris, galerie Marc Ségoura © M. Ségoura / À droite : ancienne collection Bonneval © photo documentation des peintures du Louvre

Vendu à l’hôtel des ventes d’Enghien le 2 février dernier (lot 32) et restauré depuis par son nouveau propriétaire (la galerie Marc Ségoura), un portrait dit du duc de Bourgogne en Apollon semble lui donner raison. Dans un format chantourné[5] et avec quelques variantes par rapport à l’original que la vicomtesse de Bonneval avait exposé en 1928 (cat. 124)[6], il présente un jeune garçon en majesté, debout, une lyre à la main, auréolé et magnifié par l’éclat du rouge d’un grand drapé volant au somptueux réseau de plis.

D’un geste assuré, le petit dieu montre, en arrière plan, le groupe des muses alangui dans l’ombre du mont Hélicon, au sommet duquel se cabre le fougueux Pégase. Cette mise en scène, très prisée par Largillierre pour ses effets baroques, inspirera d’ailleurs tard dans le siècle d’autres figures divines comme ce portrait de John Bateman (1721-1802) en Cupidon, conservé au Marquette University Haggerty Museum of art de Milwaukee (Inv. 2002.17)[7].

Nicolas de Largillierre, portrait de John Baterman en Cupidon, v. 1735-1738. Milwaukee, Marquette University Haggerty Museum of art © d.r.

Nicolas de Largillierre, portrait de John Baterman en Cupidon, v. 1735-1738. Milwaukee, Marquette University Haggerty Museum of art © d.r.

Elle se ressentira également dans une étonnante composition allégorique des arts, mêlant la figure du cupidon brandissant son flambeau aux divers attributs de la poésie, de la musique, de la sculpture et de la peinture.

Nicolas de Largillierre, portrait d'enfant en Cupidon ou allégorie des arts. Collection particulière © photo documentation des peintures du Louvre

Nicolas de Largillierre, portrait d'enfant en Cupidon ou allégorie des arts. Collection particulière © photo documentation des peintures du Louvre


[1] Huile sur toile, 117 x 89 cm. On a autrefois proposé d’identifier le personnage comme Louis Armand de Bourbon-Conti (1695-1727) ou Louis IV Henri, prince de Condé (1692-1740).

[2] Nous remercions le propriétaire du tableau ainsi que la restauratrice de l’œuvre de nous avoir fourni les clichés pour illustrer cet article.

[3] L’art Vivant, 4e année, n°81, 1er Mai 1928, p. 380.

[4] Portrait présumé de Geneviève Houzé de La Boulaye en Éros, Huile sur toile, 131 x 95 cm. Grasse, musée Fragonard. Les six autres portraits d’enfants (n° 125 à 129) représentaient différents membres dits de la famille d’Ormesson, (collection du baron Alfred de Rosée).

[5]  Huile sur toile, 178 x 127 cm.

[6] Enfant en Apollon ou portrait présumé d’un membre de la famille Houzé de La Boulaye, 144 x 108 cm.

[7] Vers v. 1728-1729. Voir catalogue de l’exposition Largillierre, Paris, musée Jacquemart-André, Philéas Fogg, 2003, cat. 57, p. 170.

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