Signature de Gaspard Rigaud sur l'acte de baptême de sa nièce et filleule, 13 juin 1700. Perpignan, Registres de l'église Notre-Dame-de-La-Réal © ADPO

Signature de Gaspard Rigaud sur l'acte de baptême de sa nièce et filleule, 13 juin 1700. Perpignan, Registres de l'église Notre-Dame-de-La-Réal © ADPO

C’est au détour de plusieurs glanes d’archives, effectuées dans le cadre de nos recherches sur les Ranc[1], que deux documents liés aux frères Rigaud ont fortuitement ressurgit : l’un à Perpignan, l’autre à Montpellier. Totalement inédits, ils permettent de préciser un pan de l’histoire familiale en Roussillon mais aussi d’éclairer le passage d’Hyacinthe en Languedoc.

Hyacinthe Rigaud, portrait de Gaspard Rigaud, 1691. Perpignan, musée Rigaud  © Stéphan Perreau

Hyacinthe Rigaud, portrait de Gaspard Rigaud, 1691. Perpignan, musée Rigaud © Stéphan Perreau

Le premier acte, en catalan, concerne le frère de ce dernier, le peintre Gaspard (1661-1705), dont le magnifique portrait a récemment fait l’actualité. On savait, grâce à Julien Lugand, que l’artiste avait effectué, tout comme son frère avant lui, un bref retour en Roussillon au début du nouveau siècle, alors qu’il était installé dans la capitale depuis au moins 20 ans. Sa présence était en effet attestée à Perpignan entre le 19 mars et le 22 avril 1701, période durant laquelle il signa comme témoin d’un acte notarié[2].

Acte de baptême de Franscisa Maria Clara Lafita, 13 juin 1700. Perpignan, Registres de l'église Notre-Dame-de-La-Réal © ADPO

Acte de baptême de Franscisa Maria Clara Lafita, 13 juin 1700. Perpignan, Registres de l'église Notre-Dame-de-La-Réal © ADPO

L’acte que nous avons découvert y a peu dans les archives des Pyrénées Orientales, indique que le peintre était en réalité arrivé un peu plus tôt dans sa ville natale. Le 13 juin 1700[3], en l’église Notre-Dame-de-La-Réal de Perpignan, Gaspard « peintre deu Roy », signait en effet en tant que parrain au baptême du dernier enfant de sa sœur, la belle Clara Rigau-Lafita (1663-1700) que Hyacinthe avait peinte, en 1695, dans un triple portrait désormais mythique, aujourd’hui conservé au Louvre.

Hyacinthe Rigaud, portrait de Clara dans l'effigie de la famile Lafita, 1695. Paris, musée du Louvre © photo Stéphan Perreau

Hyacinthe Rigaud, portrait de Clara dans l'effigie de la famile Lafita, 1695. Paris, musée du Louvre © photo Stéphan Perreau

« Vuy als tretza de Juiny mil set cens Io Thomas Tricat, prt y Curar de la Parroquial Iglesia insigne ÿ collegiada de Ma Sa Da de la Real de la port vila, he baptejat segon la forma ÿ ritto de Sta Maria Iglesia chatolica Romana a Francisca Maria y Clara, nata als dotse de dirmes filla legitima ÿ natural del Sr Joan Lafita mercader ÿ de la Sa Clara Conjuges foren Padrins monsieur Gaspard Rigaud ÿ la Sa Maria Geli ÿ Rigaud viuda, Interpellats si sabien de escriver la padrina ha declarat que no ÿ en fe de la qual dirmo die ÿ anÿ »

« Le treize juin mil sept cent, moi Thomas Tricat, prêtre et curé de la paroisse, église et collégiale de Notre-Dame-de-Lé-Réal de la présente ville, ai baptisé selon la forme et rites de la Sainte Mère Eglise catholique et Romaine, Franscisa Maria Clara, née le douze du dit mois, fille légitime et naturelle de Sieur Jean Lafita, marchand et de la demoiselle Clara, sa femme, furent parrains Monsieur Gaspar Rigau et la dame Maria Geli y Rigau, veuve, interpellée si elle savait écrire, la marraine a déclaré ne savoir […] ».

Née la veille, le 12 juin, la petite Francisca Maria Clara avait également comme marraine son aïeule, Maria Geli y Rigaud (1638-1721), et fut probablement la cause d’une relevée malheureuse des couches de sa mère : Clara mourut en effet deux jours après la naissance de sa fille, le 15 juin 1700, et fut inhumée le lendemain en la cathédrale Saint-Jean[4].

Hyacinthe Rigaud, portrait de Maria Serra (Geli y Rigau), 1695. Thaon, château de Fontaine-Henry © d.r

Hyacinthe Rigaud, portrait de Maria Serra (Geli y Rigau), 1695. Thaon, château de Fontaine-Henry © d.r

Le second acte, conservé dans les archives de l’Hérault, renvoie à la période de formation d’Hyacinthe Rigaud à Montpellier[5]. Le 6 mai 1670, s’unissaient en effet sur la paroisse Sainte Anne, Marguerite Marine et le graveur Hubert Viennot (v. 1654-1704) qui deviendra l’un des proches du peintre à son arrivée à Lyon[6]. Rien jusqu’ici ne laissait penser que Viennot était venu en Languedoc avant de faire carrière dans la capitale des Gaules alors que le jeune Hyacinthe était encore à Perpignan (puisque ce dernier n'arriva à Montpellier que le 10 novembre 1673). À cette date, Viennot avait d’ailleurs peut-être déjà quitté la cité puisque l’un de ses dix enfants, Charles, naquit à Lyon le 3 juillet 1674.

Acte de mariage d'Hubert Viennot. Montpellier, Registres de la paroisse Sainte Anne. 6 mai 1670 © ADH

Acte de mariage d'Hubert Viennot. Montpellier, Registres de la paroisse Sainte Anne. 6 mai 1670 © ADH

« Lan mil six cent septante et le sixiesme jour du mois de May aprez la publication de douze annonces faicts dans l’Eglise et parroisse de Sainte Anne par douze divers dimanches et sa dispence du mois obtenu de Mr le grand vicaire de Monseigneur de Montpellier, ont espousé Mr Hubert Viennot, fils légitime de Nicolas Viennot et de Françoise Laurens, mariés, habitans daxe en Barrois doicèze de Langres et Marguerite Marine fille légitime de Dieudonné Marin et de Françoise Carbonnelle, mariés, habitans de Montpellier, en présence de Sr Anthoine Verdier, de Pierre Marin, et Mre Louys Pillier et de plusieurs autres et de moy »

Intéressant à plus d’un titre, l'acte nous apprend donc que Viennot était originaire d'Arc-en-Barrois, près de Langres (aujourd'hui Haute-Marne) et, par la présence d’un témoin particulier, Antoine Verdier, qu’il entretenait quelque relation avec cette dernière dynastie, très proche des Ranc à Montpellier.

Selon Rondot, Viennot sera nommé graveur de la monnaie du roi en 1680. Il semblait très intégré dans sa corporation ainsi que dans le milieu artistique de la ville car, lors de son inhumation, le 24 juin 1704, et outre l’un de ses fils, Claude Viennot (1679-ap. 1720), étaient présents Bertrand (ou Clair I) Jacquemin, graveur de la monnaie et Germain Audran (1631-1710), membre d'une dynastie de graveur d’estampes très proche du cercle d'Hyacinthe Rigaud. Le 13 février 1679 d'ailleurs, Viennot et Rigaud faisaient parti de la cohorte de témoins au mariage d’Hugues Béguinot, bourgeois de la paroisse Sainte-Croix de Lyon...

On sait que le graveur entretenait probablement une relation amicale avec le jeune Catalan qui fit son portrait avant d’arriver à Paris en 1681. Dans son testament du 24 Juin 1705, le fils d’Hubert, Charles, qui avait d'ailleurs fait carrière à Paris comme aide d’atelier de Rigaud, avait pris soin de léguer à son frère Claude, resté à Lyon où il officiait lui aussi comme graveur de la monnaie, « les deux portraits de deffunt le sieur leur père dont l’un peint par ledit sieur Rigault et l’autre par ledit sieur testateur, et son portrait de luy mesme fait par ledit sieur Leprieur »[7]. Mais les liens entre les deux hommes se tissèrent sans doute naturellement grâce à un autre artiste, venu de Montpellier lui aussi, le peintre Henri verdier (1655-1721). D'une ancienne famille languedocienne, Verdier avait été l'un des élèves d'Antoine Ranc (1634-1716) dans l'atelier duquel le jeune Rigaud avait fait son œil. Il n'est donc pas incongru de penser que les deux peintres ait pu être accueillis à Lyon par Hubert, sur recommandation de Ranc.

Coussin d'après Henri Verdier, portrait de Stefan Caesar Pestalozzi. v. 1690. Zürich, Zentralbibliothek © photo d.p.

Coussin d'après Henri Verdier, portrait de Stefan Caesar Pestalozzi. v. 1690. Zürich, Zentralbibliothek © photo d.p.

Le style des portraits de Verdier, pour les rares exemples qui sont identifiés, s'apparente grandement à celui du Rigaud des jeunes années. La mise du Suisse Stefan Caesar Pestalozzi (1663-1691), par exemple, au regard faussement nostalgique, n'est pas sans évoquer celle du Claude Hénin de Rigaud, dont nous avions suivi en 2014 la restauration et la découverte de la signature.

 

Il n'est alors pas incongru de constater une judicieuse interaction entre toutes ces influences, Rigaud et Verdier confondues, lesquelles résonneront quelques années plus tard, dans l’œuvre de Gaspard, fervent imitateur de ses aînés. Peu à peu, on commence à mieux cerner le pinceau de ce cadet grâce aux copies ou aux originaux qui réapparaissent. La façon qu'a Gaspard Rigaud de représenter ses modèles avec ces regards figés et presque « interdits » se lit aisément dans la réplique qu'il fit du portrait de François Bégon, dont l'original avait été fait en 1695 par son frère. Gaspard justement avait été rémunéré 50 livres pour deux copies, probablement celle vendue par Tajan en mars dernier.  

A gauche : Gaspard Rigaud, portrait de François Bégon. 1695. Coll. priv. © photo Tajan / A droite : Gaspard RIgaud, portrait d'homme. v. 1700. Coll. priv. © Isbilya Subastas

A gauche : Gaspard Rigaud, portrait de François Bégon. 1695. Coll. priv. © photo Tajan / A droite : Gaspard RIgaud, portrait d'homme. v. 1700. Coll. priv. © Isbilya Subastas

On y reconnait bien la manière très scolaire qu'a l'artiste de représenter les traits de ses modèles, avec des yeux très ronds et très dessinés, quoique la touche générale (notamment dans la perruque et la vêture) soit très précieuse et tout à fait fidèle à l'œuvre primaire. Et ceci même si elle manque de ce « souffle inspiré » que l'on rencontre chez son frère. Une semblable parenté est sans doute à mettre au crédit d'un autre portrait d'homme, inédit, attribué par erreur selon nous à Hyacinthe Rigaud lors de sa vente par la maison de vente Isbilya à Séville le 22 juin 2017 (le tableau fut présenté deux fois dans l'été). La vêture, en effet, est identique au portrait d'homme récemment acquis avec son pendant féminin par le musée Rigaud de Perpignan et, lui, donné sans hésitation à Gaspard. 

 

On mesure alors combien la fragile frontière existante entre les deux frères peut être légitimement difficile à appréhender pour certains au premier coup d’œil, le cadet tentant d'égaler « par l'effet » son aîné ; ce dernier évoluant pourtant, par ses originaux attestés,  dans des sphères de perfection autrement plus élevées. Sinon, comment comprendre que Hyacinthe Rigaud ait pu peindre, en cette même année 1695, à la fois l'archétype de l'excellence avec le triple portrait de la famille Lafita (ci-dessous à gauche) et celui de sa mère (ci-dessous à droite), aux pinceaux si libres, si voluptueux..

 

 

Hyacinthe Rigaud : détail du visage de Clara Rigau-Lafita, 1695 (Paris, musée du Louvre) et du visage de Maria Geli y Rigau. 1695 (Paris, musée du Louvre) © photo Stéphan Perreau

Hyacinthe Rigaud : détail du visage de Clara Rigau-Lafita, 1695 (Paris, musée du Louvre) et du visage de Maria Geli y Rigau. 1695 (Paris, musée du Louvre) © photo Stéphan Perreau

...en même temps qu'une effigie de Bégon bien léchée (ci-dessous à droite) mais qui dénote indéniablement par son aspect mécanique et sans véritable de profondeur d'esprit ?[8].

A gauche : Gaspard Rigaud (attr.), portrait de parlementaire (détail), v. 1690. Perpignan, musée Rigaud © ville de Perpignan / A droite : Gaspard Rigaud (attr.), portrait de François Bégon (détail). 1695. Coll. part. © photo Tajan

A gauche : Gaspard Rigaud (attr.), portrait de parlementaire (détail), v. 1690. Perpignan, musée Rigaud © ville de Perpignan / A droite : Gaspard Rigaud (attr.), portrait de François Bégon (détail). 1695. Coll. part. © photo Tajan

Mais ce serait faire un bien mauvais procès au toiles de Gaspard qui gardent un « je ne sais quoi » de précieux et d'attendrissant qui enchante toujours comme dans le portrait d'un parlementaire, conservé dans les réserves du musée Rigaud (ci-dessus à gauche)...

 


[1] Stéphan Perreau, « Antoine, Guillaume et Jean Ranc, peintres de Montpellier, Nouveaux documents inédits », Études Héraultaises, n°50, septembre 2018, p. 5-27.

[2] Découverte publiée pour la première fois par James-Sarazin, 2016, I, p. 228.

[3] ADPO, GG185, f°20-21. Perreau, Études Héraultaises, op. cit., p. 16. Nous profitons de cet article pour apporter un correctif à la traduction de l'acte en catalan que nous avions fait faire pour l'édition papier et qui comportait une erreur de lecture de la date de baptême et de l’âge de l’enfant.

[4] ADPO, GG36, f°51

[5] ADH, GG 154, f°35.

[6] Sur Viennot, voir notamment Natalis Rondot, 1888, p. 17. 

 

[7] Paris, archives Nationales, minutier central des notaires parisiens, étude VII/175, 24 juin 1705. Il fit rédiger l’acte « dans la maison du sieur Rigaud, à l’entrée de la rue Neuve des petits Champs, paroisse Saint Eustache, trouvé au lit malade de corps en une chambre au quatrieme estage ayant vue sur la rue des petits Champs, dépendante de ladite maison où il demeure […] ».

 

[8] On peut pousser ainsi la comparaison avec le magnifique portrait de Léonard de Lamet (Lyon, musée des Beaux-arts), peint en 1696 qui donne également un très bon maître étalon dans la qualité du « beau fini » d'Hyacinthe Rigaud.

 

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