Pierre Le Roy d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de David Nicolas de Bertier, évêque de Blois (détail). 1709. coll. priv. © d.r.

Pierre Le Roy d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de David Nicolas de Bertier, évêque de Blois (détail). 1709. coll. priv. © d.r.

Depuis fort longtemps les évêques de Chartres déploraient leur incapacité à administrer ce qu’à Rome l’on appelait « le grand diocèse », l’un des plus vastes du royaume. Le décès, en 1690, de Ferdinand de Neufville de Villeroy, qui gouvernait cette église depuis 1657, avait relancé un ancien projet de découpage du territoire qui allait déboucher sur la création, en 1697, de l’évêché de Blois. D’abord pressenti à sa tête, l’abbé Michel Le Peletier (1660-1706), fils du contrôleur général des finances, avait finalement choisi Angers en 1692, laissant le champ libre pour Blois à l’abbé David Nicolas de Bertier (1652-1719), protégé du nouvel évêque de Chartres, Paul Godet des Marais (1647-1709).

C'est donc en tant que premier évêque de Blois que Bertier se présentera pour la première fois aux portes de l'atelier de Rigaud pour commander en 1702 un buste relativement simple valant 150 livres[1] dont on ne conserve pas d’original mais dont une version sera bientôt mise en vente à Lyon par la maison Bérard, Péron, Schintgen.

Anonyme français d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de David Nicolas de Bertier, évêque de Blois © Bérard, Péron, Schintgen

Anonyme français d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de David Nicolas de Bertier, évêque de Blois © Bérard, Péron, Schintgen

Si Roman signalait en 1919 une copie du portrait chez la marquise de Flers, au château de Saint Gervais, près de Blois, on ne connaissait jusqu'ici que la version assez moyenne conservée dans le salon d'apparat du palais archiépiscopal de blésois[2]. Le prélat est représenté jusqu'au dessus des mains, vêtu de sa mozette traditionnelle d'évêque, sur un fond neutre agrémenté d'une colonne.

Anonyme français d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de David Nicolas de Bertier, évêque de Blois. Blois, évêché © photo Stéphan Perreau

Anonyme français d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de David Nicolas de Bertier, évêque de Blois. Blois, évêché © photo Stéphan Perreau

L'exemplaire vendu à Lyon le 11 mars 2017, sous le lot 38, est d'évidence le fruit d'un suiveur de Rigaud, dans un format légèrement plus grand que l'exemplaire de Blois[3]. Elle offre un cadrage plus large qui montre le haut du revers de la mozette, détail déjà visible sur la principale estampe faite d'après l'original et due au burin du graveur blésois Pierre Le Roy[4]. L'estampe sera reprise peu de temps après par un anonyme[5].

Pierre Le Roy d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de David Nicolas de Bertier, évêque de Blois. 1709. coll. priv. © d.r.

Pierre Le Roy d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de David Nicolas de Bertier, évêque de Blois. 1709. coll. priv. © d.r.

La toile lyonnaise, malgré sa très moyenne qualité, a l’originalité d’être vendue avec une version du portrait de Jean-François-Paul Lefvre de Caumartin (1668-1733), second évêque de Blois, dont une copie est conservée dans le salon d'honneur de l'évêché de Blois, aux côtés de celle de Bertier, mais aussi dans le grand escalier du château de Breteuil, sous le vocable erroné de Charles-Louis-Auguste Le Tonnelier de Breteuil (1689-1732), évêque de Rennes. L'identification comme Caumartin est par ailleurs confirmée par une estampe de Crépy.

Anonyme français du XVIIIe siècle, portrait de Jean-François-Paul Lefevre de Caumartin, 2e évêque de Blois (à gauche, © Bérard, Péron, Schintgen, à droite, toile au château de Breteuil © photo Stéphan Perreau)

Anonyme français du XVIIIe siècle, portrait de Jean-François-Paul Lefevre de Caumartin, 2e évêque de Blois (à gauche, © Bérard, Péron, Schintgen, à droite, toile au château de Breteuil © photo Stéphan Perreau)

Clerc tonsuré du diocèse de Toulouse et prieur de Saint-Amans de Gillorgue, Bertier avait passé son enfance auprès de son oncle, Pierre (1606-1674), évêque de Montauban, lequel s’était montré un fervent convertisseur de protestants ce qui ne manqua pas de plaire à Madame de Maintenon lorsque l’affaire de l’élection du premier évêque de Blois fut l’un des sujets de cour[6]. Sulpicien comme l’évêque de Chartres, nommé abbé dès 1671 il fut prêtre du diocèse de Vabres et obtint le bénéfice de l’abbaye de Belleperche en Tarn-et-Garonne, détenu par son oncle qui s’en démit en sa faveur. Le 19 mai 1671, il en prit possession par l’intermédiaire d’un mandataire, Henri Le Bret, prévôt de l’église de Montauban et en conserva la commende jusqu’à sa mort[7].

Abbé de l’abbaye cistercienne Notre-Dame du Relecq, Bertier était issu d’une ancienne famille de parlementaires toulousains qui avait donné plusieurs évêques. Son père, Jean-François de Bertier, baron de Montrabé, seigneur de Saint-Geniez, époux depuis 1642 d’Antoinette de Flory, fut conseiller au Parlement de Toulouse de 1641 à sa mort en 1689[8]. Quant au frère de notre modèle, François de Bertier (1653- Toulouse, 1er septembre 1723), seigneur de Saint Geniez, il devint avocat au Parlement de Toulouse puis Premier Président au Parlement de Pau (1703) et de Toulouse (1710), et épousa Marie de Catelan, fille de François, conseiller puis président au parlement de Toulouse et donc soeur du futur évêque de Valence, Jean de Catelan. Ce dernier commandera d'ailleurs à Rigaud, en 1704, une copie du portrait de son nouveau parent évêque[9]. 

Anonyme français d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de David Nicolas de Bertier, évêque de Blois. Blois, évêché (détail) © photo Stéphan Perreau

Anonyme français d'après Hyacinthe Rigaud, portrait de David Nicolas de Bertier, évêque de Blois. Blois, évêché (détail) © photo Stéphan Perreau

Prêtre du diocèse de Vabres, abbé cistercien de Notre-Dame du Relecq, « pieux, éloquent et instruit » après avoir pris ses grades en Sorbonne, Bertier avait été très tôt associé à Fénelon dans les missions de prêche en Saintonge, haut lieu du calvinisme. Lorsque Godet des Marais fut sacré à la tête de Chartres, le 31 août 1692, lors d’une cérémonie présidée à Saint Cyr par l’archevêque de Paris François de Harlay de Champvallon (1625-1695), Bertier fut nommé « avec l’agrément de Sa Majesté » grand vicaire de Chartres avec la tâche d’administrer en son nom le Blésois et le Vendômois.

Après quelques tergiversations sur le nouveau lieu à choisir (on pensait à la belle abbaye des Bénédictins de Saint-Lomer), l’église Saint Solenne fut nommée cathédrale et restaurée à cet effet. Très charitable, le nouvel évêque nommé parcouru ses campagnes, soucieux de calmer les séditieux et de pallier à la pauvreté des fidèles. Sans verser dans l’image d’Épinal, Bertier fut unanimement reconnu pour sa tempérance, son affabilité et ses nombreuses charités, dépensant sur ses propres deniers pour venir en aide aux pauvres et se démenant pour faire venir un blé de Bretagne. Fort de sa bulle d’érection obtenue le 1er juillet 1697, l’homme acheva la réfection de sa cathédrale en imaginant de transformer complètement le chœur par un décor de stalles, de boiseries, grilles et dallages, établissant un rond-point à l’arrière « pour y pouvoir tourner en procession », remplaçant l’autel de pierre jugé « trop simple » par un autre en bois « à quatre faces » et bâtissant « une grande sacristie avec tous les logements nécessaires ».

Claude Bailleul, portrait de François de Salignac de La Mothe-Fénelon, 1718. Périgueux, musée Périgueux, musée des Beaux-arts. Inv. 75-1 © mba

Claude Bailleul, portrait de François de Salignac de La Mothe-Fénelon, 1718. Périgueux, musée Périgueux, musée des Beaux-arts. Inv. 75-1 © mba

Sacré à Saint Cyr le 15 septembre 1697 par le cardinal de Noailles assisté de l’évêque de Chartres et de Gaston de Noailles, évêque de Châlons, Bertier bénéficia d’une cérémonie que l’on décrivit comme hors du commun, rassemblant quatre cardinaux, six archevêques, dix évêques, quatre princes, quatre princesses et la duchesse de Savoie. C’est finalement le 26 juin 1698 que le nouvel évêque fit son entrée triomphale dans Blois comme le relate le Mercure galant du mois suivant[10].

« Vous ne serez pas fachée de savoir ce qui s’est passé à l’entrée de Mr de Bertier, que le Roy a fait premier évêque de Blois. Tous les ordres pour sa réception en cette ville là ayant esté donnez, é le jour de son entrée marqué au Jeudy 26 de juin, ce Prélat accompagné de la Maréchaussée, qui estoit allée au devant de luy jusqu’à sa maison de Champigny, à trois lieuës de la Ville, se rendit au son des Cloches et de la mousqueterie, en l’Abbaye de Saint Laumer, où il fut receu à la porte de l’Eglise par le Prieur, qui le harangua à la teste de sa Communauté. Le reste du jour & le lendemain matin, il receut les complimens & les harangues de tous les corps de Ville & de toutes les communautez séculières & régulières, ausquelles il répondit avec une présence d’esprit & des manières obligeantes qui le firent admirer de tout le monde. A deux heures précises, il partit de l’Abbaye précédé de toute la communauté, qui le conduisit jusqu’à l’entrée de la ville, où l’on avoir préparé un trône sur une estrade de plusieurs marches. Il y trouva tous les corps de Ville, la Chambre des Comptes, le présidial, l’Election ; & dans le même moment, les Religieux, les paroisses & tout le Clergé, arrivèrent processionnellement de toutes parts. Le Maire de Ville avec les échevins le harangua de nouveau. Le Chapitre de Saint Sauveur, choisi pour composer la Cathédrale fit la même chose. Ce prélat fut revêtu de ses habits pontificaux, & la marche commença. Depuis l’entrée de la Ville jusqu’à l’église paroissiale de Saint Solemne, destinée pour être la Cathédrale, toute la Bourgeoisie en armes formoit une double haye, afin d’empêcher autant qu’il se pourroit, que la foule du peuple, accouru de vingt lieuës à la ronde, ne rompist la marche. Le Clergé chantoit ses pseaumes & des Hymnes qui avoient rapport à la cérémonie, & le peuple l’accompagnoit d’acclamations & de cris de Vive le Roy. Cette marche fut longue & difficile par l’empressement que l’on eut de voir en ses habits pontificaux un Prelat dont rien ne peut surpasser la bonne mine & l’ai de piété & de douceur répandu dans toutes ses manières. Il arriva comme il put jusqu’à la porte de la Cathédrale. Cette Eglise qui avoit été renversée par une violente tempeste en l’année 1678, avoit esté presque entièrement rebâtie par les libéralités du Roy & c’estoit la plus belle paroisse de la Province. Messire Loüis Frotté, docteur en théologie, chanoine régulier de Sainte Geneviève, prieur de cette église, l’attendoit à la porte avec son clergé, & après les cérémonies ordinaires, il le harangua à son tour ».

Vue actuelle des jardins de l'évêché de Blois © photo d.r.

Vue actuelle des jardins de l'évêché de Blois © photo d.r.

« Nom respecté dans le monde & révéré depuis longtemps entre ceux des plus excellents Prélats, un extérieur engageant & prévoyant, des manières nobles et polies, un esprit pénétrant, un cœur généreux et sincère ; une piété sage et éclairée, une doctrine saine et sans reproche, beaucoup d’autorité jointe aux charmes d’une douceur incomparable, du zele, de l’exactitude, de la fermeté tempérée par une extrême condescendance » Bertier s’éteignit à Blois le 20 août 1719 dans la plus grande considération de ses ouailles. Durant les vingt et un ans de l’administration de son diocèse,  il « se montra organisateur méthodique, un apôtre inlassable et clairvoyant des protestants, ferme défenseur de la pure doctrine romaine, tout en ne renonçant pas à un gallicanisme modéré. Il resta un homme d’autorité […] mais sachant allier cette autorité à un souci judicieux de l’accommodement qui maintint en son diocèse un climat de paix »[11]. Il participa à l'Assemblée extraordinaire du Clergé de France de 1713-1714 et participa également à celle de 1715.

Bertier avait fait bâtir, entre 1700 et 1703, sur des terrains comprenant une partie des anciens remparts et en englobant l'ancien hôtel de Brisacier, un évêché agrémenté de somptueux jardins, bâtiment aujourd'hui siège de la mairie de Blois. Ce n'est qu'en mars 1704 qu'il prit officiellement possession de son évêché dont l'architecture est traditionnellement attribuée à Jacques Gabriel.

« Profil de la ville de Blois, veüe du costè d'occident » 1714, gouache Coll. priv © Rouillac svv.

« Profil de la ville de Blois, veüe du costè d'occident » 1714, gouache Coll. priv © Rouillac svv.

L'évêque de Blois reviendra chez Rigaud en 1705 et en profitera pour commander une copie du portrait de son frère, Bertier de Sauvigny, que Rigaud peint « en grand » en 1703, alors qu'il était président au parlement de Pau.

 

[1] ms. 624, f°20 v° : « M[onsieu]r l'Evêque de Blois Bertier » ; Hulst/3, p. 182 ; Roman, 1919, p. 94, 109 ; Perreau, 2013, cat. *P.764, p. 172 ; Perreau, 2016, Catalogue raisonné de l'oeuvre d'Hyacinthe Rigaud [en ligne], http://www.hyacinthe-rigaud.com/catalogue-raisonne-hyacinthe-rigaud/portraits/1453-berthier-david-nicolas-dez

[2] Huile sur toile d'après Rigaud. H. 73 ; L. 59,5. Voir aussi James Sarazin, 2016, II, cat. *P.813 (2003, n°667), p. 274-275.

[3] H. 77 ; L. 60 cm.

[4] Estampe réalisée en 1709 selon Hulst. H. 41,3 ; L. 30,5. L'état décrit : « Buste sans mains, grandeur de thèse » tourné à gauche, le visage de face, dans un ovale de pierre avec une colonne nue sur la gauche. Dans la bordure de l’ovale, la lettre suivante : « PRIMUS BLESENSIS EPISCOPUS DAVID NICOLAS DE BERTIER ». Sur le plat du socle, de part et d’autre d’une composition aux armes : « Rigaud pinxit - P. Le Roy Blesensis Sculp. » Dans la moulure du socle : « Se vend à Paris chez Le Roy graveur rue St Jacques à la Croix d’or et chez He le Roy à Blois. »

[5] Buste tourné à droite dans un ovale. Dans la bordure, la lettre suivante : « DAVID NICOLAS DE BERTHIER, PREMIER EVÊQUE DE BLOIS EN 1698 - Primus Blesensis Episcopus ». Dans le socle au dessous : « Poli, doux, faisant tel était ce prélat / il soutenoit avec éclat / la charge à son zèle commise / on le vit à la cour, il sçut s'y faire honneur / Mais il n'y brigua la faveur / que pour le bien de son église »

[6] Jean Armand, Les évêques et les archevêques de France depuis 1682 jusqu’à 1801, Paris, 1891, p. 293.

[7] Paul Fontanié, « Monographie de l’abbaye de Belleperche », Recueil de l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Tarn et Garonne, 2e série, tome IV, 1888, p. 299.

[8] Alphonse Brémond, Nobiliaire toulousain inventaire général des titres probants de noblesse et de dignités nobiliaires, Toulouse, 1863, p. 99.

[9] « Une [copie] en buste de Mons[ieu]r l'évêque de Valence » pour 75 livres (ms. 624, f°23). Jean de Catelan allait être nommé évêque de Valence le 15 août 1705. L'atelier de Rigaud produisit également « une [copie] en grand [sic] de Mons[ieu]r l'Evêque de Blois » vendue 250 livres (ms. 624, f°23), probable adaptation du buste sur une attitude jusqu'aux genoux inspirée d'un modèle antérieur inconnu.

[10] Mercure galant, juillet 1698, p. 196 et suivantes.

[11] Jules Gallerand, « l’érection de l’évêché de Blois (1697) », Revue d’histoire de l’Eglise de France, tome 42, 1956, pp. 175-228.

Retour à l'accueil